Vaincre le monde

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  • Dernière modification de la publication :16 janvier 2024

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Dans notre monde, « bien » et « mal » sont des forces opposées qui coexistent à parts égales pour le maintien de l’équilibre. Ce sont les deux faces d’une même médaille, celle de la dualité. Il n’est pas possible que l’un prenne le dessus sur l’autre sans que ce dernier rétablisse rapidement l’équilibre, et inversement. Mais entendons-nous bien ici sur le sens donné au bien et au mal…

Au sens où je l’entends, faire le bien ou faire le mal sont deux ordres de réalité qui implique un sujet, l’ego humain, avec ses croyances, ses conditionnements, ses préférences, ses illusions, ses désirs, etc., dont le panel peut être extrêmement large et varier énormément d’un individu à l’autre.

Je précise d’entrée cela car il est clair que si l’on transcende le point de vue individuel, celui de l’ego limité et relatif, la réalité absolue est une, sans second, et le bien et le mal se résolvent dans un Ordre cosmique d’une perfection absolue, un Bien suprême sans opposée, que l’on peut rapprocher de notions telles que le Dharma, le Tao, le Royaume de Dieu et sa justice, l’Esprit ou la Réalité ultime à l’arrière-plan des illusions du monde sensible.

Le bien et le mal dans le relatif

Du point de vue de l’individu, ce qui est bien et ce qui est mal est relatif. Relatif, parce que la représentation que l’individu s’en fait dépend de lui et de lui seul. Ce qui est bien ou mal pour lui, c’est-à-dire de son point de vue, ne le sera peut-être pas de manière équivalente pour un autre individu, qui aura lui aussi ses croyances, ses conditionnements, ses préférences, ses désirs, etc., s’inscrivant qui plus est dans un contexte socio-culturel particulier qui influence forcément toutes ses caractéristiques individuelles.

Ce rapport au bien et au mal, purement personnel, singulier, est en rapport avec la « connaissance du bien et du mal » dont il est question dans le livre de la Genèse[1]. Cette connaissance, relative, a été donnée à Adam et Ève après qu’ils se soient laissés tenter par le serpent, symbole du diable, et qu’ils aient goûté au fruit défendu de l’arbre de la science, la science, au sens de connaissance, celle du bien et du mal justement.

Désormais dotés de la faculté de connaître le bien et le mal, ils sont contraints de quitter le jardin d’Éden, qui symbolise l’état de conscience primordial de l’être, l’attention pure, c’est-à-dire l’équanimité parfaite de la conscience qui transcende le jeu des contraires, en l’occurrence le bien et le mal, permettant à l’être de connaître (par l’expérience directe) l’unité avec Dieu, au-delà de la dualité.

Sa conscience personnelle étant en unité avec la Réalité suprême et absolue, l’être qui atteint cet état de conscience pleinement éveillée, est libéré de l’impression de la séparation et n’a donc plus aucun intérêt à défendre la personnalité qu’il incarne. Il est de ce fait libéré de la connaissance du bien et du mal, c’est-à-dire de désirer ce qui est bien parce que cela lui procure du plaisir, et de rejeter ce qui est mal parce que cela est source de déplaisir ou de souffrance pour lui.

La félicité qu’il éprouve en permanence grâce à son état d’union consciente avec la Réalité est largement supérieure à ce que la satisfaction de ses désirs pourrait lui apporter sur le plan de la personnalité à laquelle il n’est donc plus identifié, sans pour autant perdre la conscience de l’âme qu’il anime et du corps qu’il incarne.

Je disais que la connaissance du bien et du mal est relative, car elle dépend du sujet lui-même. Elle n’est pas absolue, ce qui veut dire que cette connaissance ne permet pas à l’être de savoir ce qui juste dans l’absolu, au-delà du bien et du mal, « juste » parce que cela participe à l’éveil de sa conscience et à l’ouverture de son cœur à l’amour, pour réaliser la véritable Connaissance qui est l’union sacrée à la Réalité, ce qu’on appelle la Gnose.

À l’inverse, la connaissance relative du bien et du mal empêche l’éveil de la conscience et ferme le cœur, car elle renforce l’égocentrisme. Au travers du prisme de cette connaissance relative, le bien est recherché par intérêt, parce qu’il soulage l’être de sa souffrance ou parce qu’il lui procure du plaisir. Quant au mal, il est considéré comme tel pour l’être parce qu’il lui cause de la souffrance ou du déplaisir. Et bien évidemment, ce qui est bien pour un individu parce que cela lui procure du plaisir, peut être mal pour un autre être, parce que cela lui procure du déplaisir. C’est pourquoi on parle de connaissance relative du bien et du mal.

Dans le relatif, ce qui est cause de souffrance est mal, ce qui soulage est bien. Dans l’absolu, ce qui nous ramène à la réalité est bien et ce qui l’obscurcit est mal. » Nisargadatta Maharaj

Le Bien et le Mal dans l’absolu

Ce qui est Bien dans l’absolu, au sens de la « justice » ou de la « justesse », peut être source de souffrance temporairement. Ainsi, ce que l’être considère comme un mal pour lui sur le plan relatif parce que cela lui cause de la souffrance, ou du déplaisir, peut lui être utile en vue de sa prise de conscience, de son éveil. « Un mal relatif pour un Bien absolu », pourrais-je dire, en paraphrasant un peu l’expression issue de la sagesse populaire.

Plus l’être se libère de sa tendance à faire le bien ou à faire le mal de manière intéressée dans le relatif, plus il fait le Bien dans l’absolu. Nul ne peut servir deux Maîtres à la fois, comme l’a dit le Christ. Il n’y a pas de demi-mesure à ce niveau : soit on fait le bien ou le mal sur le plan relatif, soit on fait le Bien sur le plan absolu.

Faire le bien ou le mal par intérêt, pour obtenir du plaisir et éviter le déplaisir, empêche le Bien suprême de se manifester, ce qui revient à faire le Mal. Ainsi, une personne qui croit faire le bien, en agissant à partir de son ego, fait le Mal, d’où cette expression également issue de la sagesse populaire : « l’enfer est pavé de bonnes intentions ».

Ici-bas, c’est-à-dire dans le monde sensible, les Lois universelles sont telles que lorsque l’on fait le bien avec un intérêt à ce que les choses changent dans le bon sens, sur la base de nos croyances, de nos préjugés, de nos préférences, alors inévitablement, cela engendre une réaction de force égale et opposée (conformément à la troisième loi de Newton), en l’occurrence le mal.

Comme l’a dit Saint Paul : « Je trouve donc cette Loi au-dedans de moi, que quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi. »[2] Et selon le philosophe français Jean Baudrillard : « Le Bien ne réduit pas le Mal, ni l’inverse d’ailleurs : ils sont à la fois irréductibles l’un à l’autre et leur relation est inextricable. Au fond, le Bien ne pourrait faire échec au Mal qu’en renonçant à être le Bien, puisque, en s’appropriant le monopole mondial de la puissance, il entraîne par là même un retour de flamme d’une violence proportionnelle. »[3] Le psychanalyste et alchimiste suisse Carl Gustav Jung en a également parlé à sa manière, en apportant la solution à cette problématique : « Tout ce à quoi l’on résiste persiste et tout ce que l’on embrasse s’efface. »

Par-delà l’opposition du bien et du mal

Le seul moyen d’éviter de renforcer le mal en faisant le bien, c’est d’agir dans le plus complet détachement, à condition d’en être capable bien entendu.

Pour celles et ceux qui connaissent la référence, c’est ce que Krishna enseigne à Arjuna sur le champ de bataille dans l’un des textes sacrés de l’hindouisme, la Bhagavad-Gîtâ. En résumé : « Sois-totalement dévoué à ce que tu fais, et garde ta conscience équanime quoi qu’il arrive. »[4]

Si l’on évite de faire le bien à partir des impulsions de l’ego séparé, alors on dispense l’univers d’avoir à actionner les forces du mal pour rétablir l’équilibre. C’est d’une implacable logique !

Et c’est sans doute la raison pour laquelle beaucoup de Saints et de Sages ont choisis de se retirer du monde pour vivre paisiblement. On aurait pu leur reprocher leur passivité, leur immobilisme, leur absence de pugnacité ; on aurait pu les condamner en citant cette célèbre formule d’Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui le regardent sans rien faire. » Mais en vérité, ils ont toujours été de bien plus puissants moteurs de paix et d’harmonie en maintenant leur conscience fermement établie dans la « sainte indifférence », que les révolutionnaires, militants et autres activistes qui en faisaient des tonnes en étant « agis » par la réactivité et les intérêts personnels de l’ego.

L’équanimité, ou la sainte indifférence

La liste est longue de tous ces philosophes, maîtres spirituels ou artistes qui ont partagé l’idée qu’aucune révolution extérieure ne pourrait donner de bons fruits sans une révolution intérieure préalable, révolution intérieure qui prend ici le sens d’un retournement, d’une conversion, d’une métanoïa.

Nombreux sont les individus qui considèrent aujourd’hui avec fierté qu’ils sont engagés dans un combat « spirituel » qui oppose les ténèbres à la lumière. Mais combien parmi ceux-ci seraient très étonnés de savoir qu’ils renforcent ce qu’ils croient combattre, en dépit de leur bonnes intentions (dont on sait, encore une fois, à quel point l’enfer en est pavé…).

Si je vous parle de cela, c’est parce qu’il est très tentant de réagir avec virulence face aux injustices et aux affaires sordides qui nous sont présentées dans les médias et sur internet, avec une fréquence et une intensité qui semble aller crescendo à mesure que le temps passe. 

Il est tout naturel, et totalement humain, de trouver une justification à la révolte et à l’indignation face à certaines abominations. Mais pour les raisons évoquées, il faut comprendre que réagir à partir de cet état de conscience-là, est le meilleur moyen d’alimenter les forces du mal en retour.

Réfléchissez-y un instant : pourquoi l’emprise du mal sur notre monde est si grande alors que tant et tant d’hommes de bonne volonté l’ont combattu depuis des siècles, voire des millénaires ?

Précisément parce que faire le bien, quand c’est l’ego qui est aux commandes (ce qui est le plus souvent le cas malheureusement), ne fait que donner plus de force au mal, comme un feu qu’on essaierait d’éteindre avec de l’essence.

Faudrait-il donc cesser de faire le bien pour « couper l’herbe » sous le pied au mal ?

C’est très exactement la seule solution véritablement efficace, et quand je parle de « cesser de faire le bien », vous aurez compris que je parle du « bien » intéressé, celui qui est fait par l’ego qui vit dans l’illusion de la séparation et qui n’a nullement conscience qu’en réalité tout est interrelié, et qu’aucune pensée, comme aucune émotion ou aucun geste, n’est sans conséquence.

La pierre angulaire des Sages

C’est pourquoi, l’enseignement ésotérique des Sages et des Maîtres spirituels, je pourrais même dire la pierre angulaire de leur enseignement, a toujours été de cultiver une forme d’indifférence à l’égard du monde et de concentrer notre attention de manière à trouver l’équilibre de la conscience, l’équanimité, synonyme de calme, de paix, une paix qui ouvre le cœur à la joie et à l’amour, menant à l’action juste, désintéressée et détachée.

Contrairement à une idée largement répandue, cette sainte indifférence qu’est l’équanimité, est sans rapport avec la passivité et l’immobilisme. Elle a tout à voir avec l’ « agir sans agir » de la doctrine taoïste (wei wu wei), où un être, par son état de conscience et la tonalité vibratoire qu’il émet, est en soi vecteur de changement, qu’il soit actif ou non par la pensée, les paroles et les gestes. 

Comprenez que l’action juste peut autant se manifester par l’immobilité que par le mouvement. Des Sages se sont retirés du monde et sont restés isolés, vivant à l’écart des bruits du monde, dans le silence intérieur, le recueillement, alors que d’autres ont entrepris des actions concrètes dans le monde.

Partant de là, on peut comprendre qu’il vaut parfois infiniment mieux ne rien faire sur le plan extérieur, en cherchant la justesse inhérente à l’équanimité, que remuer ciel et terre à partir d’un ego réactif, dont les pensées, les paroles et les actes sont déterminés exclusivement par les impulsions contraires de désir et d’aversion, en rapport à la connaissance relative du bien et du mal dont il a été question plus haut.

Une question d’état de conscience

Cependant, comme Arjuna sur le champ de bataille, il est aussi bien sûr possible d’agir dans le monde, sans risque de voir les choses inexorablement empirer en dépit de nos bonnes intentions, à condition que l’on cherche d’abord l’état d’équanimité, synonyme de détachement.

Lorsque le Christ nous demande de « chercher d’abord le Royaume de Dieu et sa justice »[5], il ne nous invite pas à détourner notre attention du monde pour la maintenir focalisée sur des cieux lointains, mais à « vaincre le monde », c’est-à-dire y évoluer sans être sous l’emprise des impulsions contraires qui en régissent le fonctionnement, cherchant premièrement cet état d’équanimité de la conscience, sachant que cet état est ce « Royaume de Dieu » qui, selon Saint Paul, est « paix, joie et justice, en l’Esprit Saint »[6].

Car en fin de compte, harmonie ou dysharmonie, ordre ou chaos, équilibre ou déséquilibre, ne dépendent que de notre état de la conscience

[1] Genèse 2:9

[2] Romains 7:21

[3] Source de la citation : https://cutt.ly/2wsy9VCb

[4] Chapitre 2, texte 48

[5] Matthieu 6:33

[6] Romains 14:17

À méditer...

« Arjuna, l’équanimité est nécessaire. […] Par-dessus tout, l’équanimité est ce qui aide le chercheur à s’élever au-dessus du monde, à s’élever au-delà des paires d’opposés et à se diriger vers Dieu. »

Adaptation libre du verset 45, chapitre 2 de la Bhagavad-Gîtâ. (Source)

En complément à cet article :

Quand faire le "bien" engendre le "mal"

Dans une vision manichéenne des choses, la vie est un combat permanent entre les forces du "bien" et les forces du "mal". C'est également la vision exotérique des religions, qui nous propose d’un côté et de l’autre, de façon diamétralement opposée, Dieu et l’Adversaire, Satan.

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Cette publication a un commentaire

  1. Bernard

    Merci Frédéric je vais lire cela à tête reposée.
    Cordialement

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