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Comme l’a chanté Keny Arkana, “Celui qui voit le diable partout porte certainement le diable en lui“. Cette intuition profonde nous invite à une vigilance particulière lorsque nous nous donnons pour fonction de dénoncer le mal, les manipulations et les perversions que nous percevons chez les autres – qu’il s’agisse du “Système”, des élites, de tout groupe ou individu désigné comme responsable des maux de notre société.
Quand on lutte contre des monstres, il faut prendre garde de ne pas devenir monstre soi-même. Friedrich Nietzsche
Le mécanisme de projection
Quand on passe son temps à pointer du doigt les vices, les dérives ou les injustices des autres, à tort ou à raison, c’est souvent pour détourner l’attention de nos propres zones d’ombre. Ce mécanisme de projection psychologique nous permet de nous donner l’impression rassurante que nous sommes exempts de cette laideur que nous dénonçons à l’extérieur. Pourtant, c’est cette “stratégie du bouc émissaire” qui est à l’origine de la plupart des conflits entre êtres humains, tant à l’échelle globale qu’individuelle.
Ce n’est pas parce qu’on se proclame “journaliste citoyen”, “lanceur d’alerte”, “dissident”, “résistant” ou “chercheur de vérité” qu’on est automatiquement au-dessus de tout soupçon. Ces étiquettes, aussi nobles soient-elles, ne constituent pas un totem d’immunité contre les travers humains, ni une garantie d’intégrité.
Soyons également conscients qu’il est facile de dispenser de nobles principes philosophiques ou spirituels, comme de distribuer à tout-va des leçons de morale, tout en se gardant bien de pratiquer soi-même ce que nous prêchons avec tant de zèle. La congruence entre les paroles et les actes reste le meilleur indicateur de l’authenticité d’un engagement, à plus forte raison lorsque celui-ci s’inscrit dans une quête de réalisation spirituelle.
La dissidence comme business
Dans ce contexte, un phénomène particulièrement troublant mérite notre attention : celui de la “dissidence-business” ou de la “dissidence-spectacle”. Combien d’acteurs en vue de ces mouvements de résistance n’hésitent pas à travestir les faits qui les concernent ou à les instrumentaliser pour valoriser leur action autant que leur petite personne, et stimuler l’intérêt pour leurs produits et services ?
Face à ces pratiques, il n’est jamais vain de se poser la question : “cui bono ?” c’est-à-dire “à qui profite (le crime) ?” Une analyse lucide révèle souvent que ceux à qui nous avions accordé notre confiance (et parfois une partie de nos ressources pour soutenir leur “combat”) reproduisent en esprit exactement les comportements qu’ils prétendent combattre.
La marchandisation de la lutte anti-Système est un fait observable : la dissidence est aussi devenue un marché, avec ses produits, ses influenceurs et ses stratégies marketing sophistiquées – souvent identiques à celles employées par le Système qu’elle s’évertue de critiquer.
Il y a dénonciation et dénonciation !
Entre parenthèses, n’y a-t-il pas ici une contradiction à critiquer ceux qui dénoncent, tout en faisant moi-même une forme de dénonciation ? Cette question légitime mérite d’être abordée frontalement.
En fait, le fait de dénoncer n’est pas répréhensible en soi du moment où il s’appuie sur une volonté noble de mettre en lumière ou dévoiler des injustices ou des abus.
Toute la difficulté est de pouvoir le faire avec suffisamment de détachement pour ne pas accompagner la dénonciation d’une condamnation ou d’une stigmatisation. Nous pouvons ici prendre en exemple le cas du Christ, qui a passé une grande partie de son ministère à dénoncer les injustices et les abus, tout en insistant en parallèle sur la nécessité d’aimer son prochain comme soi-même (cf. Marc 12:31). C’est aussi le sens profond de l’enseignement de Krishna, qui enjoint son disciple Arjuna à faire la guerre mais tout en cherchant en parallèle l’équanimité de sa conscience, c’est-à-dire sans s’attacher au succès ni à l’échec (cf. Bhagavad-Gîta, chapitre 2, verset 48).
C’est évidemment un positionnement difficile à trouver et à tenir, mais l’important est avant tout d’en être conscient et d’y aspirer sincèrement – la perfection, spirituellement parlant, étant bien davantage une question de dynamique que de résultat.
La dénonciation est une posture délicate, car trop souvent elle s'accompagne d'une condamnation.
— Le pèlerin (@LePelerin111) May 18, 2025
Or, il est possible de mettre ne lumière ou dévoiler les "schémas" sans stigmatiser celles et ceux qui les incarnent.
Une bonne piqûre de rappel pour les aspirants à la sagesse 🎯 https://t.co/QWyyUW98p2
L’éthique des moyens et des fins
Certains justifieront ces manipulations en affirmant que la fin justifie les moyens, autrement dit que de telles pratiques sont légitimes si, in fine, elles permettent de faire avancer “la cause”. Cette position pose de sérieuses questions éthiques sur la nature même des résultats ainsi obtenus.
En effet, si, comme le suggère la sagesse orientale, “le but est le chemin”, comment peut-on espérer atteindre un but harmonieux en empruntant un chemin qui, lui, ne l’est pas ? Les moyens que nous employons façonnent inévitablement les résultats que nous obtenons.
Dans l’environnement hautement polarisé des réseaux sociaux, le sentiment d’appartenir au “bon camp” peut nous dispenser subtilement de notre engagement envers l’honnêteté intellectuelle et la rigueur factuelle. Ce piège redoutable nous fait baisser la garde et nous rend vulnérables aux manipulations de certains “loups déguisés en agneaux”.
Face à cette complexité, une exigence s’impose : maintenir le même niveau d’analyse critique face à toutes les sources d’information, qu’elles soient “officielles” ou “alternatives”, tout en identifiant en parallèle, autant que faire se peut, l’influence de nos propres biais cognitifs. Car la vérité et l’honnêteté intellectuelle ne peuvent pas être des valeurs à géométrie variable selon notre position dans un débat ou notre sympathie pour une cause.
Le discernement comme voie d’éveil
Le discernement fait cruellement défaut dans notre paysage médiatique contemporain, médias alternatifs inclus. C’est pourtant la qualité la plus précieuse pour naviguer dans cet océan d’informations contradictoires.
Tout ne se réduit pas à une lutte manichéenne entre le bien et le mal, entre un camp et l’autre. Le mal que nous percevons avec tant de facilité chez les autres réside aussi en nous, et c’est d’abord en nous-mêmes qu’il convient de l’identifier et de le transmuter si nous voulons véritablement contribuer au changement de société auquel nous aspirons sincèrement.
L’éthique et l’esprit de justesse devraient constituer la colonne vertébrale de toute personne affirmant mener un combat au nom de la vérité. Sans cette exigence personnelle, c’est la loi du talion qui risque d’animer nos cœurs et nos esprits, perpétuant ainsi les cycles de conflits que nous affirmons vouloir résoudre, pour instaurer en lieu et place un monde de paix, d’abondance, d’harmonie et de fraternité entre tous.
Dans notre quête de vérité et d’accomplissement de soi, n’oublions jamais que le premier terrain de transformation est celui de notre propre conscience.
- Dernière mise à jour : 19 mai 2025
- 17:56