Spiritualité et lutte anti-Système, est-ce compatible ?

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De plus en plus d’acteurs de la lutte anti-Système parlent de spiritualité voire du “sacré” tout en diffusant en parallèle énormément d’analyses plus ou moins pertinentes en rapport à l’actualité, aux mensonges d’État, aux complots en tout genre, aux conflits armés, aux manipulations de toutes sortes, etc.

Mais cela fait-il sens de mêler la spiritualité à la lutte anti-Système ?

Avant de répondre à cette question, il me semble important de donner une définition de ces deux domaines :

1) La spiritualité est relative à l’esprit qui, par définition, est ce qui est immatériel (en l’être humain). Au sens où j’utilise ce terme, c’est aussi la démarche qui vise à libérer l’esprit de son attachement à la matière, et plus spécifiquement à l’ego, au niveau duquel cet attachement prend racine. La libération de l’esprit, qui concerne autant le voyage que la destination, est appelé « éveil ».

2) La lutte anti-Système englobe tout type d’action visant à remettre en cause le Système[1] et ses promoteurs, en en dénonçant les mensonges, les simulacres, les manipulations, les récits, etc. J’inclus dans ce mouvement de lutte les chercheurs de vérité, dissidents, lanceurs d’alerte, résistants, révolutionnaires et ceux qu’on nomme désormais “complotistes”, parfois à juste titre tant ils ont tendance à voir des complots partout.

Parmi ces acteurs, certains affirment que la spiritualité et le retour du sacré feraient partie de la solution pour vaincre le Système. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à parler d’un “combat spirituel”, un combat entre le “bien” et le “mal”, entre la lumière et les ténèbres. 

De mon point de vue, cela peut induire en erreur non seulement parce que cela suggère que la spiritualité implique une forme ou une autre de lutte contre le Système, ce qui est faux, mais aussi et surtout parce que la spiritualité, lorsqu’elle est authentique, implique au contraire de détourner l’attention des « bruits du monde » pour la retourner à l’intérieur de soi, dans un mouvement salutaire de conversion intérieure. Cela, du moins, jusqu’à ce que le processus d’éveil ait pu arriver à son terme, après quoi l’être libéré des illusions de l’ego peut agir dans le monde sans risquer d’empirer les choses en dépit de ses bonnes intentions. 

En cela, on peut dire qu’il y a une réelle antinomie entre le processus qui vise l’éveil spirituel et la démarche qui consiste à lutter contre le Système. Car dans une telle démarche, on reste enfermé dans la dualité (celle du « bien » et du « mal » en tout premier lieu), alors que la spiritualité vise à transcender toute forme de dualisme pour réaliser l’unité au cœur de la diversité.

En vérité, si l’on s’en réfère à certains textes sacrés tels que la Bhagavad-Gîtâ[2] par exemple, seul celui qui est suffisamment détaché du résultat de ses actions (donc libéré de l’ego) est capable de mener un combat extérieur, dans le monde, sans risquer de faire le jeu de la dualité. Autrement, comme l’a fait comprendre Blaise Pascal, celui qui veut faire l’ange fait la bête…

Mon royaume n’est pas de ce monde

Servir ses propres intérêts en surfant sur l’actualité tout en espérant, à travers cette démarche, évoluer spirituellement, est une illusion, dommageable autant pour celui qui y investit du temps et de l’énergie que pour celles et ceux dont il va détourner l’attention en leur proposant, en fin de compte, une autre forme de divertissement que celui que le Système leur propose déjà…

En effet, il n’est pas possible d’être dans une recherche continue d’information pour décrypter ce qui se joue dans les coulisses du Système et, en même temps, d’avoir le regard tourné vers l’intérieur dans une optique de réunification, passage obligé pour quiconque souhaite s’éveiller.

Les Maîtres spirituels ont toujours été très clairs à ce sujet, invitant leurs disciples à se détourner des préoccupations liées aux affaires du monde, pour chercher premièrement la conjonction harmonieuse des contraires en eux-mêmes, qui seule peut les mener à la paix et la joie du cœur.

C’est pourquoi, comme l’a dit Nisargadatta Maharaj : « S’il est réellement important pour vous de sauver le monde, sortez-en. » (tout comme on sortirait de la caverne de Platon)

Crédit image : Christian Bodhi / Illustration colorée de la “Gravure du pèlerin”, rendue célèbre par Camille Flammarion dans son ouvrage L’atmosphère : météorologie populaire. Pour un aperçu de l’illustration d’origine : L’Atmosphère : météorologie populaire — ORAEDES

Certes, comprendre dans quel monde on vit peut avoir son importance, ne serait-ce que pour réaliser qu’on n’y trouvera jamais le bonheur et la liberté à laquelle on aspire. Mais une fois que cela a été compris, on sait qu’il est vain de garder son attention sur lui et on devient relativement indifférent à toute l’agitation qui y règne.

Pour citer l’enseignement du Christ, ce qui nous rendra libres et heureux, c’est de chercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice. Il s’agit d’un royaume qui n’est pas de ce monde, parce qu’il est avant tout un état de conscience : l’état de l’être éveillé. Quant à la « justice », ce n’est pas celle des hommes, mais celle de Dieu, à laquelle l’être éveillé se soumet en vivant une vie « non-transgressive », conforme au Dharma.

Tel est l’enjeu de la quête spirituelle véritable !

Ainsi, de deux choses l’une, soit on dépense de l’énergie pour maintenir l’attention des gens hors d’eux-mêmes en exposant continuellement leur cerveau à des informations relatives aux bruits du monde, soit on leur enseigne le chemin pour en sortir et réintégrer l’état de conscience édénique qui existe en potentiel à l’intérieur d’eux.

Croire que l’on peut faire les deux en même temps, c’est se leurrer soi-même autant qu’on leurre les autres…

La spiritualité authentique doit inévitablement passer par un travail d’intégration des ombres intérieures, sans quoi il n’est pas possible de vivre l’éveil. Comme l’a dit Jung : « Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire. »

En effet, vivre spirituellement implique ce travail d’intégration des ombres, qui peut s’avérer désagréable.

Les nouveaux marchands du temple

Celui qui lutte contre le Système et qui délivre en parallèle un enseignement spirituel doit être conscient qu’il ne peut progresser sur la voie qu’il transmet s’il n’est pas détaché du fruit de ses actions. S’il y a attachement à l’ego et aux conséquences de ses actes, l’esprit n’est pas libre, et il n’y a donc pas de vécu spirituel authentique. Dans ces conditions, ce serait comme de vanter les mérites d’une alimentation saine tout en s’empiffrant de chocolat en parallèle.

Toute la question est de donc de savoir si l’on peut être légitime pour parler de spiritualité tout en s’attaquant au Système. Pour le savoir, il suffit simplement de déterminer si l’on cherche à tirer des avantages personnels de son combat, notamment en termes d’exposition médiatique (incluant les réseaux sociaux) et de revenus financiers. Si honnêtement nous reconnaissons que c’est le cas, alors notre attachement et notre intéressement personnel renforcent l’illusion de l’ego, ce qui nous éloigne d’autant du but de la spiritualité : libérer l’esprit de son attachement à la matière.

Entendons-nous bien, je ne suis pas en train de dire qu’il n’est pas juste de recevoir de l’argent pour subvenir à ses besoins et avoir ainsi les moyens de lutter contre le Système ou faire de la réinformation en utilisant habilement les vecteurs actuels de la communication. Non, je souhaite simplement faire remarquer que cette démarche entre en contradiction avec la spiritualité, sauf bien sûr si par “spiritualité” on entend simplement “religiosité”, celle qui sert d’opium aux masses pour les maintenir dans l’espoir d’un changement imminent, depuis des siècles (cherchez l’erreur !…).

S’il est question de religiosité et non de spiritualité authentique, alors c’est moins grave, car on évite de pervertir le sens d’une démarche qui est proprement « sacrée ».

Méditons sur l’exemple du Christ face aux marchands du temple. Sa colère témoigna du fait que les marchands se servaient de la religion pour s’enrichir tout en induisant en erreur le peuple sur sa fonction primordiale. En effet, selon Jésus, faire du commerce une fin en soi et vivre une spiritualité authentique ne sont pas compatibles, nul ne pouvant servir deux maîtres à la fois [3], en l’occurrence Dieu et Mammon, c’est-à-dire l’enrichissement personnel comme source de bonheur et d’accomplissement.

Ce n’est pas le commerce en tant que tel que Jésus dénonça, mais l’attachement à l’argent, la cupidité et l’appât du gain des marchands du temple. Aussi, c’est l’objet du commerce en question qui suscita l’ire du Christ, à savoir la vente d’animaux en vue de leur sacrifice au cours de rituels, dans un but d’expiation des péchés. Cette croyance, qui prenait racine dans la religion juive de l’époque, rejoignait la pratique du bouc émissaire [4], que le grand prêtre chassait dans le désert après l’avoir rituellement et symboliquement chargé des péchés de la communauté. Ces croyances trouvaient leurs fondements dans l’idée qu’il était possible de restaurer la relation avec Dieu en effaçant, par le sacrifice ou la projection symbolique, les fautes morales de l’individu et du collectif.

Indigné par ces pratiques rituelles exotériques, Jésus proposa une réforme spirituelle majeure, fondée sur une spiritualité vivante, tournée essentiellement vers l’intérieur. Il insista sur la responsabilité individuelle et le repentir personnel, comme en témoignent les paraboles du pardon, la conversion du cœur et l’invitation à la recherche prioritaire du Royaume de Dieu.

Aujourd’hui, il dénoncerait également les nouveaux marchands du temple, ceux qui donnent une fausse image de la spiritualité en l’associant à leur combat contre le « mal » identifié à l’extérieur d’eux-mêmes, incarné par le Système et ses tenants. Justifiant leur démarche en considérant leur appartenance au « camp du bien », ils ne se rendent pas compte qu’ils sont influencés par ce biais psychologique qu’on appelle « projection ». En projetant ainsi leurs ombres, ils vivent dans l’impression réconfortante mais illusoire d’en être exempts et perpétuent à leur manière l’ancienne pratique rituelle juive que le Christ eut pour volonté de réformer.  D’une part ce mécanisme de défense inconscient les empêche de faire la paix avec eux-mêmes et, d’autre part, il alimente le cycle de la souffrance en suscitant la réaction de ceux qu’ils attaquent.

Cette dynamique de projection, qui consiste à rejeter ses propres ombres sur l’extérieur pour mieux se croire du « bon côté », repose en réalité sur un ancien paradigme de justice, celui de la loi du Talionœil pour œil, dent pour dent – où le mal perçu doit être identifié, dénoncé et combattu à l’extérieur de soi. Or, Jésus a explicitement rejeté cette logique de réciprocité punitive pour lui substituer une nouvelle éthique, radicalement différente, fondée non plus sur la vengeance ou la séparation, mais sur l’amour inconditionnel de soi et de l’autre, impliquant l’intégration de l’ombre en soi (plutôt que sa projection hors de soi).

C’est là la véritable révolution spirituelle que Jésus a proposée : non plus la lutte extérieure contre le mal, mais la transformation intérieure par l’amour, le pardon et la réconciliation.

Ce glissement de la spiritualité vers un combat contre le mal extérieur est un piège anthropologique ancien : détourner la quête spirituelle pour éviter la conversion intérieure. C’est ce même mécanisme qui animait les anciens rituels sacrificiels que Jésus est venu réformer en profondeur. En projetant leurs propres ombres sur le monde, les marchands de spiritualité perpétuent cette dérive en lui donnant une forme contemporaine – plus subtile, mais tout aussi aliénante.

Toute prétention à incarner une spiritualité authentique devrait s’inspirer non de la logique du bouc émissaire, mais de l’appel radical à l’amour inconditionnel, de Dieu comme de soi-même et des autres.

Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force; Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que ceux-là.

[1] Le Système, au sens où je l’entends, est l’ensemble des infrastructures, gouvernementales autant que privées, dont nous sommes dépendants pour vivre et sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle.

[2] Cf. en particulier chapitre 2, verset 48.

[3] Cf. Matthieu 6:24.

[4] Voir l’article La logique du bouc émissaire.

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Cet article a 3 commentaires

  1. Allemand

    Pour vivre heureux, vivons cachés.

  2. Mrowka Marcelle

    Merci Frédéric pour ton article.

    Je suis entièrement d’accord avec le fait que la spiritualité est un chemin personnel destiné à faire évoluer notre niveau vibratoire et ne doit surtout pas être prétexte pour une lutte contre le système établi et encore moins pour faire du commerce. Si on définit la spiritualité comme une lutte, il s’agit bien d’une lutte contre soi-même pour éliminer ses parts d’ombre et tendre vers l’Un. Il s’agit donc d’un acte d’amour! La démarche est utile pour chacun, mais aussi pour les autres puisque les pensées sous-jacentes qui vont en ce sens influencent l’inconscient collectif (Le Soi). Donc plutôt que de mener un combat guerrier, il faut plutôt tisser patiemment une toile qui un jour ou l’autre portera ses fruits, d’autant que nous sommes à la fin d’un cycle de 26000 ans (cycle de précession des équinoxes), période d’élévation du niveau vibratoire collectif.

    1. Frédéric

      Merci Marcelle pour votre commentaire, je suis pleinement en accord avec ce que vous dites.
      Juste un point qui me paraît important, afin que les choses soient tout à fait claires : l’ombre en soi ne doit pas être éliminée, mais transmutée, illuminée. La symbolique guerrière, qu’on retrouve dans le djihad islamique, concerne l’effort que l’on accomplit sur soi-même pour se maîtriser, en évitant d’alimenter la dynamique du contrôle propre à l’ego qui n’a de cesse de réprimer/refouler l’ombre en soi, alors que la maîtrise de soi vise au contraire à l’intégrer pleinement en soi-même. C’est la seule manière de réaliser l’unité intérieure, passage obligé pour quiconque souhaite vivre l’éveil de sa conscience et réaliser “moi et le Père nous sommes Un”.

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