The World is Mine – Nina Paley (Copyleft, CC-BY-SA).
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En 2012 sortait cette courte séquence d’animation, intitulée The World is Mine, réalisée par l’artiste Nina Paley Elle met en scène la dynamique guerrière d’une humanité soumise à l’instinct de survie à travers le temps, laissant présager le pire pour l’avenir à moins que cette même humanité ne parvienne à s’extraire du paradigme civilisationnel dans lequel elle se trouve embourbée depuis des millénaires en dépit des rappels à l’ordre récurrents des sages et des prophètes.
Dans la vidéo, à mesure que les conflits se succèdent entre les clans, les ethnies et les nations, on réalise que cette dynamique guerrière est effectivement une constante et que seuls changent les types d’équipement et d’armement utilisés pour faire la guerre.
Au terme de cette courte animation, on constate que les belligérants ont toujours été manipulés par une « entité » démoniaque. L’ensemble des camps qui ont participé à ses conflits, bien qu’étant tous persuadés de se battre contre le « mal » au nom du « bien », étaient sous l’influence du « Prince de ce monde », dont l’empire est le monde sensible, d’où le titre de l’animation de Nina Paley (the world is mine : « le monde est à moi »).
Errare humanum est, perseverare diabolicum
Depuis la date de sortie de la vidéo, la dynamique guerrière est évidemment toujours la même et l’histoire se répète. L’artiste aurait pu ajouter quelques séquences à sa vidéo, avec le conflit entre la Russie et l’Ukraine en plus de celui qui oppose Israël aux Palestiniens. En réalité, l’humanité n’est toujours pas prête à tirer les leçons de son passé et à apprendre de ses erreurs.
Dans ce contexte, l’expression « l’erreur est humaine, persévérer [dans l’erreur] est diabolique » prend tout son sens. Cela est d’autant plus triste que nous réalisons que le développement des connaissances scientifiques et les innovations technologiques ont servis la guerre et le chaos bien davantage que la paix et l’harmonie entre les peuples.
Alors que le slogan « Plus jamais la guerre ! » avait été repris en cœur au sortir de la première guerre mondiale, beaucoup de conflits armés ont continué à éclater au cours des dernières décennies. Et à l’heure où je rédige ce texte, l’humanité n’a jamais aussi proche d’une troisième guerre mondiale (qui pour certains a déjà commencé), un conflit planétaire qui pourrait s’avérer beaucoup plus dévastateur que les précédents à cause des nouveaux types d’armements et de l’intelligence artificielle.
La logique binaire et le diable
Face à ce constat, nous pourrions dédouaner l’humanité et accuser une petite minorité de pervers paranoïaques d’être les grands responsables de toutes ces guerres qui créent tant de souffrance. Cela serait fondé mais seulement d’un point de vue superficiel, car la racine du problème se situe bien au niveau individuel, comme nous allons le voir en détail dans cet article.
Le grand responsable des guerres mais aussi de la plupart des conflits entre les membres d’une même famille, entre les communautés, entre les sexes, entre l’élite et le peuple, etc., et aussi entre l’individu et certains aspects de la personnalité qu’il incarne, est un principe inhérent à la nature humaine. C’est le Principe de la division, le « Prince de ce monde » dont a parlé Jean l’Évangéliste, pour signifier que tout ce qui appartient au monde sensible est sous son influence directe (seul l’Esprit ou le Soi en est libre, raison pour laquelle l’être humain porte en lui la possibilité de sa rédemption et de sa Délivrance, lui permettant de « vaincre le monde », comme l’a fait le Christ et comme nous pouvons le faire nous-mêmes également).
Au niveau de ce microcosme qu’est l’être humain, ce « diable », je l’assimile plus spécifiquement à l’instinct de survie sur le plan psychologique. Il a pour fonction de créer puis de défendre le sens de l’individualité, c’est-à-dire le sens que l’on a de soi-même en tant qu’ego. Quand l’individu est sous l’influence de cet instinct de survie, il fonctionne de manière « égocentrée » au travers de la logique binaire exclusivement : il attire ce qui est plaisant, agréable et « bon » pour lui dans la mesure où cela renforce positivement son sentiment de soi et, pour la raison exactement opposée, repousse ce qui est déplaisant, désagréable et « mauvais » de son point de vue.
Cette logique binaire s’applique autant sur le plan extérieur que sur le plan intérieur. Extérieurement, l’individu dont les pensées, les paroles et les actes sont déterminés par les impulsions d’attraction et de répulsion inhérentes à l’instinct de survie, ressent du désir, de l’attirance et de l’attachement pour tout ce qui peut faire les intérêts de son ego, et éprouve naturellement de l’aversion, de la répulsion et du rejet pour tout ce qui ne satisfait pas directement ses intérêts.
Est-il utile de préciser que l’instinct de survie n’est évidemment pas mauvais en soi. C’est un principe naturel qui participe à l’Ordre des choses. Il devient un « mal » (car source de souffrance) que lorsque les impulsions qui en déterminent l’action prennent la forme du désir et de l’aversion sur le plan psychologique et qu’elles sont orientées par l’ego dans le seul but de servir ses intérêts, égoïstement donc, avec qui plus est un attachement au fruit de ses actions.
Entre ombre et lumière
Ce fonctionnement est universel, ce qui veut dire que tous les êtres humains sont concernés, qu’ils soient croyants, agnostiques ou athées. La référence au diable des religions ne doit donc pas nous faire perdre de vue qu’il s’agit d’un mécanisme psychologique avant toute chose, inhérent à la nature humaine, dans ce qu’elle a de plus basique et de plus inférieur. Soit dit en passant, c’est cette « nature inférieure » que la quête spirituelle a pour but, non pas de détruire, mais de transmuter et de sublimer, dans une optique de dépassement et de transcendance.
Sur le plan extérieur, cette logique binaire va naturellement générer des conflits entre soi et les autres, puisque la survie de l’ego dépend de la capacité à mettre hors d’état de nuire tout ce qui peut représenter un danger ou une menace pour sa survie, tant physique que psychologique.
Intérieurement, maintenant, la logique binaire produit également une dynamique conflictuelle entre ce qui est « bien » et ce qui est « mal ». En fonction des valeurs en vigueur dans le collectif au sein duquel l’individu grandira, il comprendra très tôt qu’il y a des aspects de lui-même qui sont « bien » parce qu’ils sont valorisés, reconnus, honorés, et d’autres qui sont au contraire « mal » parce qu’ils sont humiliés, rejetés, méprisés, etc. Pour être accepté et aimé par le monde extérieur – puisqu’il en va de sa survie dans le monde – il va rapidement mettre en place des mécanismes psychologiques destinés à occulter tout un pan de sa personnalité, qui va devenir le « mal en soi » ou « l’ombre en soi », c’est-à-dire tout ce que l’individu n’aime pas, dont il a honte et dont il se sent coupable, et qu’il va donc s’efforcer de maintenir caché, « voilé ».
Satanisme à l’état pur
Seulement, les tensions que ce conflit interne va produire chercheront constamment à se résoudre en s’extériorisant, d’où le mécanisme de « décharge » ou de « projection » que les psychologues connaissent bien.
Puisque, tant qu’il est prisonnier de la logique binaire, l’individu est incapable de fonctionner autrement qu’au travers du prisme de la dualité « bien versus mal », le « mal », quelles que soient ses modalités de manifestation, va devenir l’ennemi à abattre, le « méchant » dont il faut se débarrasser pour être « bien », tant en soi-même qu’à l’extérieur.
Ainsi, sur le plan extérieur, l’individu cherchera constamment à vaincre le « mal » en faisant le « bien », alors que sur le plan intérieur, il n’aura de cesse de réprimer le « mal » et d’en projeter les aspects refoulés sur les autres, à travers la stratégie du bouc émissaire.
Plus l’individu est sous l’influence de la logique binaire, plus l’instinct de survie détermine son rapport à lui-même et aux autres. Quand la conscience spirituelle est totalement atrophiée, l’individu est alors sous l’influence exclusive de l’instinct de survie, ce qui fait de lui un « agent du chaos », dont la personnalité est diabolique au sens étymologique du terme, puisqu’un tel individu ne peut faire autrement que de diviser, séparer, tant les autres que sa propre personne.
Les personnes dites perverses narcissiques, toxiques, paranoïaques, anti-sociales, de même que ceux qu’on appelle des psychopathes et des sociopathes, sont des individus dont la psyché est exclusivement rationnelle, froide, contrôlante, calculatrice. Agissant toujours par intérêt personnel, leur but est de faire croître leur ego et d’en assurer la survie par tous les moyens, justifiant la quête de la toute-puissance et de l’immortalité. Du satanisme à l’état pur !
Lorsque de tels « profils psychologiques » sont à la tête de gouvernements, de cabinets de conseil, de ministères, d’organisations religieuses, de multinationales ou d’ONG puissantes, vous pouvez imaginer l’impact désastreux que cela peut avoir sur l’ensemble de la société. Par leur irrépressible soif de pouvoir et de contrôle, de telles personnes sont prêtes à tout pour servir leurs intérêts au détriment de ceux des autres, à moins qu’ils ne convergent. Mensonge, corruption, fraude et manipulation sont inhérents à leur nature et on imagine donc sans peine que leur pouvoir de nuisance est proportionnel à leurs moyens financiers et à leur degré de pouvoir au sein du Système.
L’exemple de la non-violence
On a souvent reproché aux religions d’être à l’origine des guerres et des conflits qui ont jalonné l’histoire de l’humanité en dépit de leur promotion de la non-violence. C’est justifié, du moins à chaque fois que les institutions religieuses (à ne pas confondre avec les enseignements de sagesse sur la base desquels elles ont été édifiées) ont été infiltrées par des personnalités dont le profil psychologique coïncidait avec ceux que je viens d’évoquer.
La non-violence et les autres vertus prônées par les religions, telles que le pardon, la compassion, l’amour, la bienveillance, l’esprit d’unité, etc., sont de nobles principes, mais tant que la logique binaire prévaudra au sein de la civilisation humaine, il sera impossible de les vivre sans avoir à subir l’assaut de tout ce qui leur est contraire.
Pourquoi ? Parce que « qui veut faire l’ange fait la bête », comme disait Blaise Pascal. Au nom de la non-violence par exemple, un clivage se crée entre ce qui est « non-violent » et ce qui est « violent » en l’être humain. La violence étant considérée comme quelque chose de négatif sur le plan moral, l’individu devra la réprimer ou la refouler en lui s’il veut continuer à vivre normalement au sein de la société.
Aussi puissant que soit le pouvoir en place dans sa force de répression de la violence, l’ombre refoulée par l’ensemble des individus reviendra hanter le collectif, d’une manière ou d’une autre, inévitablement. D’où la fonction des rituels sacrificiels de jadis – celui du bouc émissaire par exemple – utilisés pour expurger la violence au sein des sociétés où la logique binaire prévalait.
Bien qu’on n’utilise plus aujourd’hui de tels rituels, la stratégie du bouc émissaire demeure très présente et de manière plus perverse et pernicieuse que jamais dans la mesure où, justement, elle n’est plus ritualisée.
C’est pourquoi, il est nécessaire de passer à une nouvelle éthique morale qui est celle de la logique ternaire, avec l’inclusion d’un troisième terme, le médiateur (l’Esprit ou le Soi), qui seul peut réaliser la conciliation de l’ombre et de la lumière, du féminin (voilé) et du masculin.
Jésus le Christ, Maître des maîtres
L’intégration de cette nouvelle éthique morale passe par une conversion de l’attention, qui neutralise la tendance instinctive à projeter sur un bouc émissaire tout le « mal » et la « violence » que l’on porte en soi.
C’est en ce sens que l’on peut interpréter ces deux paroles du Christ : « Convertissez-vous »[1] et « le Royaume de Dieu appartient aux violents »[2]. Comprenez : seul celui qui est parvenu à intégrer son ombre (son « mal », sa « violence », refoulés) en se « faisant violence » par la dynamique de l’effort de conversion de l’attention, peut redevenir entier et ainsi retrouver son état d’être édénique, ce que le Christ appelait le « Royaume de Dieu », qui n’est donc pas autre chose qu’un état de conscience paisible, joyeux, aligné sur la Justice divine, c’est-à-dire en phase avec les Lois universelles ou Dharma.
L’enseignement de Jésus fut révolutionnaire en cela qu’il relevait entièrement de la logique ternaire à une époque où prédominait le fameux « œil pour œil dent pour dent », la loi dite du Talion, qui procède a contrario de la logique binaire. En lieu et place, il enseigna la voie de l’amour pour sortir de la dualité et entrer dans l’unité, l’amour étant le facteur suprême de réunification de ce que le diable (diabolos) a contribué à séparer, tant sur le plan horizontal (soi-même et les autres) que sur le plan vertical (soi-même et l’Esprit en soi).
« Jésus lui répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Matthieu 22:37-39
Dans d’autres articles, j’ai également expliqué en quoi la logique ternaire était au cœur de l’enseignement du Christ. Pour en savoir plus, je vous invite en particulier à lire Faut-il tendre l’autre joue ? et La logique du bouc émissaire.
La nécessité d’une nouvelle éthique
Élève surdoué de Jung, le psychologue Erich Neumann a élaboré une théorie qui promeut également la logique ternaire, qu’il exposa en détail dans son ouvrage intitulé Depth Psychology and a New Ethic, dont voici le résumé du 4ème de couverture :
« Le monde moderne a été témoin d’une percée spectaculaire des forces obscures et négatives de la nature humaine. L’“ancienne éthique”, qui poursuivait une perfection illusoire en réprimant le côté obscur [de l’être, N.d.A.], a perdu sa capacité à résoudre les problèmes contemporains. Erich Neumann était convaincu que le péril le plus mortel auquel l’humanité était confrontée résidait dans la psychologie du “bouc émissaire” associée à l’ancienne éthique. Nous sommes aux prises avec cette psychologie lorsque nous projetons notre propre part d’ombre sur un individu ou un groupe identifié comme notre “ennemi”, sans parvenir à la voir en nous-mêmes. La seule alternative efficace à cette dangereuse projection d’ombre est la prise de conscience de l’ombre, sa reconnaissance et son intégration dans la totalité du Soi. La plénitude, et non la perfection, est le but de la nouvelle éthique. »[3]
Dans son livre Apprivoiser son ombre, Jean Montbourquette a brillamment résumer la théorie de l’éminent psychologue allemand :
« Erich Neumann considère qu’une éthique uniquement préoccupée de déterminer ce qui est bien et ce qui est mal est déficiente, car elle n’aide pas la personne à découvrir en elle-même les racines du mal et à se donner les moyens de le supprimer. En opposition à cette éthique qu’il nomme The Old Ethic, Neumann en propose une nouvelle – The New Ethic – pour laquelle l’essentiel de la formation de la conscience morale consiste avant tout à opérer la réintégration de son ombre. Il voit dans ce travail psychospirituel un élément déterminant pour la formation d’une véritable conscience morale. Loin de projeter sur les autres les tendances désordonnées de son ombre, le nouvel être moral les reconnaît en lui-même, en assume la responsabilité, puis les réintègre dans une vie morale cohérente.
The Old Ethic conduit éventuellement à créer une mentalité de bouc émissaire, mentalité qui se manifestera d’abord sur le plan de la vie personnelle comme une source d’antipathies et de conflits de nature relationnelle. Par ailleurs, elle risque de prendre des proportions gigantesques transposée à l’échelle nationale. L’ombre, à ce niveau, aura tendance à diaboliser les nations voisines et, par la suite, à se donner la mission de les détruire. N’est-ce pas là l’origine de nombreux conflits dans l’histoire ? [4] Selon la même logique, les étrangers, les minorités et les gens “différents” seront davantage la cible de projections et deviendront éventuellement des boucs émissaires. Pour Neumann, seule une nouvelle éthique permettra aux nations de reconnaître leurs propres tendances perverses au lieu de les projeter. Faut-il rappeler ici que les projections de l’ombre collective ne sont pas inoffensives, mais qu’elles peuvent engendrer des persécutions et des hécatombes, comme l’extermination des juifs par les nazis ? »[5]
Guerre intérieure
Nous voyons donc que la dynamique guerrière qui résulte de la mentalité du bouc émissaire est à remplacer par la logique ternaire, qui nous place dans une guerre d’une toute autre nature puisqu’elle concerne en tout premier lieu l’intériorité de l’être.
Si le Christ est « venu apporter l’épée », c’est pour parler, symboliquement, de l’arme de l’Esprit, l’épée d’or que l’on retrouve dans certains mythes comme celui qui met en scène l’affrontement entre Thésée et le Minotaure.
Comme nous l’apprend Annick de Souzenelle, Thésée a combattu le Minotaure – soit symboliquement l’expression du « mal » en lui – à partir de la logique binaire, c’est-à-dire avec les armes du diable en lui. Dans ces conditions, même s’il a pu le terrasser le monstre, il ne l’a pas intégré en lui-même et il a donc perdu son « combat spirituel ».
En réalité, Thésée a combattu le monstre en étant identifié au « Principe de la division », le diable en lui, au travers de l’image positive du héros incarnant le « bien » qui livre bataille contre le « mal » pour le détruire. S’il avait compris la ruse du diable qui, à travers cette logique guerrière, le maintenait sous son influence « duelle », il aurait fait l’effort de le neutraliser en réalignant son attention sur l’axe de l’Esprit en lui. C’est ainsi et seulement ainsi qu’il aurait pu résoudre le conflit avec son ombre au lieu de la renforcer en s’y opposant. Là est tout le symbolise de l’épée d’or, l’épée royale, que le Christ est venu apporter.
Il convient donc d’être plus rusé que le diable lui-même, comme l’a expliqué Annick de Souzenelle : « La ruse est un art de guerre, ici de la “guerre sainte” connue de toutes les traditions et qualifiant le grand œuvre de la matrice de feu. Cet art est un savoir-faire d’une extrême subtilité dont le but est de vaincre le “rusé” par plus rusé que lui et de gagner la guerre. »[6]
Comme le Christ nous y a invité, il s’agit d’être tout à la fois « serpent et colombe »[7], c’est à dire rusé comme ce dernier mais avec quelque chose de plus que lui qui fera toute la différence : l’intelligence de l’Esprit, que la colombe symbolise. C’est le troisième terme, le « médiateur » qui permet de sortir de la logique binaire et d’entrer dans le ternaire.
Après l’exil, le retour
Pour citer à nouveau Annick de Souzenelle : « Notre intelligence ne peut accéder [au Divin, N.d.A.] qu’en recouvrant la dynamique ontologique dans le retournement proposé par Dieu à l’Adam du mythe de l’exil. Dans cette dynamique notre être profond peut entrer dans une logique autre, que l’on pourrait appeler “ternaire” et seule capable de soulever le toit plombé de la contradiction ; les deux termes de celle-ci se dépassent alors, non pas dans une synthèse accommodant thèse et antithèse dans une sorte de compromis des deux termes, mais en portant ceux-ci à un niveau plus haut du réel, dans un troisième terme qui les unit tous deux sans altération d’aucun d’eux. »[8]
Comme je le répète souvent, la plus redoutable et pernicieuse ruse du diable, c’est de détourner notre attention de ce qui se joue dans notre intériorité en la concentrant sur tout ce qui est extérieur à soi, pour en dénoncer l’influence maléfique dans le monde et tout particulièrement chez les autres, car ainsi il est sûr de pouvoir nous manipuler à notre insu, à l’intérieur de notre propre conscience, et de renforcer ainsi son emprise sur nous là où il devrait pourtant être identifié, neutralisé et vaincu en priorité (en soi-même donc).
La ruse par la diversion fait partie de la stratégie privilégiée du Principe de la division. C’est aussi pour cette raison que Satan est « diabolique », car si l’attention de la conscience est dirigée vers l’extérieur, elle n’est pas tournée vers l’intérieur, et ne peut donc pas s’unir à la dimension féminine de l’être, créant de fait une séparation entre ses pôles complémentaires.
Satan est un Principe universel qui n’a pas de frontière, pas de visage, pas de nationalité, pas de religion, mais qui fait insidieusement croire qu’il se limite à une ou plusieurs formes, visages, nationalités ou religions, pour en faire autant de supports de projection de ce qu’il est lui-même. En faisant ainsi diversion, il détourne l’attention vers l’extérieur et peut subsister en soi-même, incognito.
Lorsque cette ruse est reconnue, ses effets en sont atténués et même totalement annihilés pour peu que nous nous donnions les moyens d’en neutraliser l’influence, par notre propre conversion, par notre propre retournement. Si l’on veut que les choses changent vraiment, et que l’histoire cesse de se répéter, alors cela doit nécessairement passer par là !…
Citations à méditer
« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou comment peux-tu dire à ton frère : Frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton œil, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille qui est dans l’œil de ton frère. » Luc 6:41-42
« Le rôle de la philosophie ne serait-il pas ici de nous amener à une perception plus complète de la réalité par un certain déplacement de notre attention ? Il s’agirait de détourner notre attention du côté pratiquement intéressant de l’univers et de la retourner vers ce qui, pratiquement, ne sert à rien. Cette conversion de l’attention serait la philosophie même. »[9] Henri Bergson
« Muni du pouvoir que l’Homme lui donne, le Satan devient diabolique ; il “sépare” (dia-bolein en grec) le couple ’Adam-’Ishah, l’Homme et son féminin ontologique porteur de la semence divine. Là est le divorce fondamental, tragique, car la semence est stérilisée. »[10] Annick de Souzenelle
[1] Matthieu 3:2
[2] Matthieu 11:12.
[3] Depth Psychology and a New Ethic, Shambala Publications, Inc., 1990, 4ème de couverture.
[4] Comment ne pas penser ici aux conflits entre Russes et Ukrainiens, ou entre Israéliens et Palestiniens. Nous pouvons aussi nous rappeler de l’ « axe du mal », qui était l’expression employée par George W. Bush pour désigner les ennemis des États-Unis et plus largement du « monde libre ». Probant exemple de la logique du bouc émissaire.
[5] Éditions Novalis / Bayard, 2006, pp. 20-21.
[6] Le Seigneur et le Satan, Éditions Albin Michel, 2016, p. 100.
[7] Cf. Matthieu 10:16.
[8] Le Seigneur et le Satan, Éditions Albin Michel, 2016, p.120.
[9] La Pensée et le mouvant, Presses Universitaires de France, 1938, p. 153.
[10] Le Seigneur et le Satan, Éditions Albin Michel, 2016, p .101.
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