Faut-il tendre l’autre joue ?

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  • Dernière modification de la publication :28 mai 2024

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Face à la violence avec laquelle les forces des ténèbres se déchaînent en cette fin de cycle, « tendre l’autre joue » apparaît aux yeux de beaucoup comme un acte de lâcheté, de faiblesse voire de soumission face à l’Ennemi. Pourtant, c’est bien l’attitude à laquelle le Christ invita ses disciples, comme l’atteste ce verset :

Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. » Matthieu 5:39-40

Il n’y a pas d’équivoque possible, le Christ dit bien de ne pas riposter au méchant. Pourtant, beaucoup d’acteurs de la lutte anti-Système justifient leur implication dans un combat « spirituel » contre l’Ennemi en citant le Christ en exemple, s’appuyant notamment sur cet autre verset de l’Évangile selon Matthieu, qui semble entrer en contradiction avec le précédent cité :

Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. » Matthieu 10:34

En effet, beaucoup justifient leur combat contre le « mal » en citant ce verset en exemple, supposant que si le Christ n’est pas venu apporter la paix mais l’épée, c’est pour nous inviter à nous révolter et à combattre frontalement le « mal ».

C’est une interprétation qui semble faire sens, mais si on replace ce verset dans son contexte en prenant notamment en considération le verset qui vient directement après dans le même Évangile, la signification est toute autre :

Car je suis venu séparer le fils de son père, la fille de sa mère, et la belle-fille de sa belle-mère ; et on aura pour ennemis les gens de sa propre maison. » Matthieu 10:35-36

Très clairement, on comprend que le Christ n’est pas venu apporter l’épée pour faire la guerre, mais symboliquement pour trancher les liens d’attachement qui existent entre les membres d’une même famille, pour les libérer de ce qui les empêchent de « faire la volonté du Père », comme il le disait.

Soit dit en passant, d’aucuns diraient aujourd’hui que le Christ était « sectaire » puisqu’il voulait séparer les membres d’un même clan familial. Certes, mais si le Christ fut « sectaire », étymologiquement, ce n’est pas pour cette raison, mais parce qu’il enseigna une philosophie de vie[1] nouvelle, en rupture avec certains aspects de la tradition juive de l’époque.

Suivre le Dharma

En l’occurrence, la voie incarnée par le Christ était en parfaite adéquation avec le Dharma, qu’il eut pour mission de transmettre à travers son exemple vivant et son enseignement pour faire évoluer la religion juive et le paganisme dont certains « éléments » n’étaient plus en phase avec l’époque.

Le Dharma, quelles que soient les formes qu’il a pu revêtir au cours du temps en fonction des contextes sociaux et culturels, est une voie universelle qui, selon l’enseignement du Christ, permet à celui ou celle qui s’applique à le suivre sincèrement, d’entrer dans le Royaume de Dieu, qui est paix, joie et justice – l’un des sens du mot Dharma – en l’Esprit saint[2]. C’est une voie qui, pour être suivie, implique naturellement l’effort sur soi-même, le détachement, le sacrifice et le renoncement.

C’est donc bien la paix (comme la joie et la justice) et non la guerre que le Christ est venu apporter, même si pour parvenir à la paix (comme à la joie et à la justice), cet effort sur soi-même s’avère nécessaire.

C’est le sens du mot djihad, que l’on traduit généralement par « guerre sainte »[3] mais qui signifie avant toute chose « effort suprême » ou « effort redoublé », un effort qui s’avère incontournable pour s’extraire de la logique binaire qui détermine le fonctionnement de notre nature inférieure et pour s’établir dans la logique ternaire propre à notre nature supérieure, qui intègre en elle la nature inférieure au lieu de s’opposer à elle (toute opposition relevant de la logique binaire).

Le grand djihad, ou la grande guerre sainte, est donc un effort suprême qui permet de sortir de la dynamique du « lutter contre » propre à l’ego en lui substituant la dynamique de l’intégration visant la réunification intérieure propre à l’Esprit en soi. Car ce n’est qu’en redevenant « entier », c’est-à-dire unifié intérieurement, qu’il est possible d’entrer dans le Royaume de Dieu.

C’est dans ce sens-là qu’il faut comprendre le « tendre l’autre joue » (j’y reviendrai un peu plus loin).

Le symbolisme de l’épée

Si l’épée (ou le glaive) fait tout naturellement penser à la guerre, il faut aussi considérer que c’est un symbole de la lumière de l’Esprit[4] qui, à la manière du bâton, de la foudre ou du rayon solaire, représente dans beaucoup de traditions cette « claire lumière » de l’attention pure, éveillée.

Celui ou celle qui fait l’effort d’aligner sa propre conscience sur cette « axe vertical », par un effort de conversion de l’attention ou de détachement, sort de la logique binaire propre au fonctionnement de la nature inférieure (l’âme, la psyché), pour entrer dans la logique ternaire propre à la nature supérieure (l’esprit).

À cette rectification de l’attention, il est souvent fait allusion dans les enseignements des Maîtres de Sagesse et des Prophètes. Il s’agit de l’amour le plus pur qui soit, celui qui accorde sa lumière sans distinction, sans condition, pour la seule joie d’aimer.

C’est à cet amour en tant que lumière du cœur qu’il est fait mention dans cette autre parole du Christ :

Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. » Matthieu 5:44-45

Chacun pourra en convenir, ce sont là des propos qui sont fort éloignés d’une logique guerrière dans laquelle se placent beaucoup de ceux qui font de la lutte anti-Système une mission voire un combat « spirituel », tout en se référant au Christ pour justifier leur démarche.

Si le Christ était parmi nous aujourd’hui, sans doute s’adresserait-il à eux comme il l’avait fait il y a deux mille ans en Palestine :

Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur ! n’entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux. Plusieurs me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé par ton nom ? N’avons-nous pas chassé des démons par ton nom ? et n’avons-nous pas fait beaucoup de miracles par ton nom ? Alors je leur dirai ouvertement : Je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. » Matthieu 7:21-23

Pour revenir au symbolisme de l’épée, en cela qu’elle représente la lumière de l’Esprit, elle peut donc être vue comme un symbole de la Volonté, du Verbe ou encore de la Justice[5] divine, qui concilie les oppositions et résout ainsi toute forme de conflits.

Dans la logique ternaire, la lumière de l’Esprit apparaît comme le troisième terme qui permet de sortir de l’opposition entre le « bien » et le « mal » pour permettre à l’être de retrouver l’unité de son essence spirituelle, l’unité au cœur de la diversité, l’équanimité de la conscience.

La conciliation des contraires

Dans un autre registre, il est fait allusion à cette logique ternaire qui apporte une résolution de l’opposition conflictuelle des contraires, dans cette prophétie d’Isaïe :

Le loup habitera avec l’agneau, la panthère reposera avec le chevreau ; le veau, le lion et le bœuf gras vivront ensemble, et un jeune enfant les conduira. La vache et l’ourse iront au même pâturage, leurs petits auront un même gîte ; et le lion mangera du fourrage comme le bœuf. » Isaïe 11:6-7

On comprendra qu’il n’est pas possible de parvenir à cette conciliation des opposés, gage de paix, de joie et de justice en l’Esprit Saint, si l’on maintient la conscience individuelle dans la logique binaire du « lutter contre » avec un intérêt égotique à se débarrasser du « mal » ou de « l’ennemi », à l’extérieur de soi comme en soi-même.

Je précise bien « en soi-même » car beaucoup parmi ceux qui sont engagés sur la voie spirituelle, parfois avec beaucoup de passion et d’ardeur, croient que leur libération ou leur souveraineté sera obtenue quand ils seront enfin parvenus à détruire l’ego et à se débarrasser de tout ce qui ne correspond pas à l’idée (souvent fantasmagorique) qu’ils se font de l’Éveil spirituel.

Lorsque la spiritualité est vécue à partir d’un tel état d’esprit, elle ne peut que renforcer cet ego dont l’être cherche à se libérer puisqu’il lutte avec les mêmes armes que lui, qui sont celles des impulsions contraires : attachement et rejet, désir et aversion.

Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée. » Matthieu 26:52

La spiritualité authentique implique au contraire de s’extraire de la dynamique naturelle propre à l’instinct de survie qui maintient l’être dans la logique binaire, celle des impulsions contraires, pour positionner la conscience dans le « juste milieu », ce troisième terme qui lui permet de s’élever au-delà de la dualité et d’entrer dans l’unité propre à la logique ternaire.

Tendre l’autre joue

L’injonction du Christ à « tendre l’autre joue » peut être comprise symboliquement en rapport à la voie spirituelle et à cette logique ternaire qui seule permet d’y progresser avec justesse.

Dans ce contexte, « tendre l’autre joue et ne pas riposter au méchant » évoque le fait de renoncer à toute forme de contrôle ou de lutte contre notre « ennemi intérieur », c’est-à-dire contre tout ce que nous n’aimons pas en nous, tout ce qui nous fait souffrir et tout ce qui, croit-on, nous empêche d’accéder au bonheur et à la paix correspondant à l’Éveil spirituel.

C’est une croyance lourde de conséquence car la dynamique du contrôle et de la lutte qu’elle alimente au sein de la conscience est précisément ce qui va empêcher son éveil, puisque celui-ci est la conséquence de l’illumination de l’ombre en soi, et non de sa destruction. Si c’est à partir du plomb que l’on peut faire de l’or, on comprend bien que l’on n’arrivera à rien en détruisant le plomb.

« Tendre l’autre joue » implique l’amour de cet « ennemi intérieur », un amour tel qu’on l’encourage même à nous faire davantage de mal encore. Cela veut dire que, dans cette dynamique, nous incitons la nature du « mal en soi » à se manifester dans toute sa virulence, dans toute son intensité.

C’est une dynamique qui est diamétralement opposée à celle qui consiste à combattre le mal pour échapper à la souffrance dont il est responsable. En effet, à l’inverse, nous en acceptons la présence et nous l’invitons même à se dévoiler dans toute sa puissance.

C’est l’acte d’amour le plus pur et inconditionnel qui soit puisque, à travers lui, le mal en soi comprend qu’il a le droit d’exister tel qu’il est, y compris dans ses manifestations habituellement rejetées par la conscience.

Point de masochisme toutefois dans un tel positionnement car comme nous le savons, l’amour est la plus puissante force de métamorphose et donc de changement, ce que l’éminent psychanalyste Carl Gustav Jung avait parfaitement su résumer à travers cette formule devenue célèbre :

Tout ce à quoi l’on résiste persiste et tout ce que l’on embrasse s’efface. » 

Quand je parle du « mal en soi », ou de ce que l’on peut considérer comme tel au travers du prisme de la dualité, je parle d’une manière générale de notre nature inférieure, qui comprend autant notre structure mentale (mécanismes de défenses, névroses, stratégies d’évitement, etc.) que l’ensemble des formes de souffrances que cette même structure mentale a pour effet de réprimer et de refouler. En somme, il s’agit de tout ce qui semble nous éloigner, peu ou prou, de l’idéal de bien-être, de santé, de beauté, de réussite, de perfection et d’éveil auquel on aspire.

Ainsi, au lieu de rester tiraillée entre l’ombre et la lumière, dans un combat perpétuel entre le bien et le mal, la conscience peut s’établir dans « l’invariable milieu », par un effort de conversion de l’attention. Grâce à cet effort, elle se réaligne sur sa nature supérieure, son essence spirituelle. Cela lui permet de substituer la dynamique de l’intégration qui concilie et réunifie à la dynamique de la lutte qui sépare et divise.

Pour que cette alchimie intérieure puisse avoir lieu, l’ego et l’ombre qu’il porte en lui doivent être aimés inconditionnellement, c’est-à-dire encouragés à se manifester dans tous leurs aspects, dans un dévoilement total, sans aucune attente ou volonté que cette mise en lumière intégrale s’accompagne d’un changement de leur nature. En effet, si l’encouragement est « intéressé », alors l’amour n’est plus inconditionnel, et l’alchimie ne peut se produire.

En pratique

Vous l’aurez compris, il s’agit d’encourager tout ce qui, en soi-même, est identifié à une forme ou une autre de « mal » et de souffrance.

Au lieu de rejeter cela, dans une dynamique de fuite ou de lutte, on s’y ouvre et on l’invite à se révéler totalement, dans la présence du Soi qui est pure lumière de perception. En cela, c’est un véritable processus de dévoilement, une « apocalypse intérieure ».

Si c’est une émotion de peur qui se fait sentir, par exemple, on ne la rejette pas (ou alors on accueille cette part de soi-même qui ne peut faire autrement que de rejeter). Au contraire, on l’invite à se manifester dans tous ses aspects et même à se révéler dans toute l’intensité vibratoire dont elle est capable. Idem pour la tristesse ou la colère, en précisant toutefois bien que cette dynamique ne doit pas s’accompagner de paroles et de gestes qui pourraient blesser les autres (autant que soi-même), puisqu’il s’agit uniquement d’un rapport bienveillant entre Soi et soi-même. Il en va de même pour les états désagréables de malaise, de mal-être et pour la maladie, qui est à juste titre un « mal a dit », que l’on va donc également inviter à s’exprimer à travers ses innombrables manifestations symptomatiques, tant psychologiques que physiques.

Cette dynamique de l’encouragement, dans l’accueil inconditionnel, ne dispense évidemment pas d’agir sur le plan extérieur ou d’aider le corps en cas de maladie par exemple, si cela s’avère nécessaire, car accepter ne veut pas dire « ne rien faire ».

Il s’agit avant toute chose d’un positionnement intérieur dont la fonction est de nous permettre de sortir de la dynamique du rejet (répression, refus) sur le plan psychologique, qui est le plus souvent à l’origine des tensions et des blocages d’énergie qui causent les maladies dites psychosomatiques.

En complément à ces explications, je vous invite à lire le chapitre « application pratique » de l’article Peut-on imaginer le pire ?

[1]  « A l’origine, le mot vient du latin secta qui découle de sequi, « suivre ». Et non pas de secare, « couper », ni de secedere, « se retirer », qui va donner sécession. » Source

[2] Selon l’expression empruntée à saint Paul (Romains 14:17).

[3] Lire à ce sujet l’article L’art du Guerrier spirituel.

[4] Lire à ce sujet la symbolique de l’épée Excalibur.

[5] La déesse de la Justice est souvent représentée avec une épée à la main droite.

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