L’éternel retour du refoulé

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  • Dernière modification de la publication :11 novembre 2024

Par cet article, j’aimerais vous parler de la problématique du « retour du refoulé« , non pas à l’échelle individuelle, mais à l’échelle collective.

Le principe du « retour du refoulé », qui trouve son origine dans les travaux de Sigmund Freud, est simple à comprendre : tout ce qui a été refoulé, c’est-à-dire maintenu occulté sous le seuil de la conscience, par interdit moral, ne s’efface pas ou ne meurt pas, mais reste bien vivant et « attend son heure » pour remonter au conscient, sous différentes formes, en vue d’être accepté et réintégré par la conscience.

Si l’on croit à l’existence d’un inconscient collectif (théorie élaborée par Carl G. Jung), alors on peut imaginer sans peine qu’il existe aussi un retour du refoulé au niveau du collectif.

Ce retour du refoulé pourrait expliquer la raison d’être profonde de certains mouvements d’émancipation et de revendication, comme ceux des populations et des minorités qui ont été brimées, stigmatisées ou opprimées pendant des siècles (esclavages, génocides, exclusions, etc.).

Les multiples formes du refoulé

Ainsi, des mouvements tels que le wokisme, le féminisme, la cancel culture, le LGBTQ+, le New Age, de même que le populisme ou le complotisme dans une autre mesure, pourraient prendre racine dans ce « retour du refoulé ».

Le cas du mouvement #MeToo est particulièrement représentatif. Après avoir été contraintes au silence sous le poids écrasant de la domination des sociétés patriarcales, les femmes parlent de plus en plus ouvertement des agressions sexuelles qu’elles subissent et qu’elles ont subies de la part des hommes. De leur côté, les minorités homosexuelles et transsexuelles revendiquent leurs droit à l’égalité après avoir été longtemps méprisées et stigmatisées. Les affaires liées au trafic d’enfants et à la pédophilie, longtemps considérées comme « tabou » au sein de la société, tendent également à sortir de plus en plus de l’ombre. Fondé sur le même mécanisme du « retour du refoulé », les nouvelles formes de spiritualité comme le New Age, tout comme les mouvements sectaires, sont en plein essor après avoir été brimés pendant des siècles par des systèmes religieux exclusifs, intolérants et dogmatiques. De même, certaines thérapies dites non-conventionnelles ou alternatives, semblent vivre un nouvel essor face à l’industrie du médicament soutenue par l’idéologie scientiste.

Ce qu’il faut comprendre à travers ces exemples, est que peu importe le temps que cela peut prendre, toutes les réalités et toutes les possibilités humaines qui ont été meurtries, ostracisées ou méprisées, revendiqueront, tôt ou tard, leur sortie de l’ombre pour retrouver la lumière et solliciter l’acceptation et l’intégration de la conscience.

La logique du bien contre le mal

Or, que faisons-nous face à ce « retour du refoulé » lorsqu’il parvient à notre conscience et qu’il ne correspond pas à notre représentation idéalisée du « bien », à nos valeurs ainsi qu’à notre vision du monde ? Eh bien, influencés par la logique binaire, nous considérons instantanément cette réalité au travers du prisme de la dualité « bien versus mal », et nous la rejetons.

Par exemple, sur la base de ce mode de fonctionnement, pour un ultraconservateur qui incarne, de son point de vue, les valeurs du « bien », le mouvement LGBTQ+ sera l’incarnation du « mal », voire carrément l’œuvre du diable lui-même ! Le même jugement s’abattra sur la société du divertissement et les nouvelles formes d’art contemporain, qui peuvent également exprimer à leur manière et sous différentes formes, ce retour du refoulé.

Pour un rationaliste scientifique, l’essor des thérapies alternatives et toutes les croyances plus ou moins irrationnelles qui s’y rattachent, serait assimilé à un retour de l’obscurantisme qu’il faut combattre grâce à l’esprit critique et à la méthode scientifique.

Faisant face à cette opposition, le refoulé qui est parvenu à retrouver une place dans la lumière sera tenté de durcir sa position, pour ne plus jamais avoir à subir ce qu’il a subi par le passé. En conséquence, il pourra se radicaliser et devenir exagérément provocateur, pour revendiquer encore davantage son droit légitime à l’acceptation de sa différence et de sa singularité. Il pourra même chercher à dominer et à prendre le pouvoir, devenant aussi répressif que ce qui par le passé lui causa tant de souffrance.

Ainsi, en cherchant à faire la guerre à ce « refoulé » que nous considérons comme une incarnation du « mal » en ce monde, nous alimentons la dynamique de l’opposition et nous contribuons à renforcer le refoulé qui, même s’il est vaincu temporairement, reviendra nous hanter avec une puissance d’autant plus grande qu’il aura été violemment brimé.

Du binaire au ternaire

Ces considérations ne sont que théoriques bien entendu, mais si elles sont fondées sur un mécanisme bien réel tel que je le suppose, elles pourraient nous amener à revoir complètement notre rapport à l’ombre dans nos sociétés, c’est-à-dire à tout ce qui vient nous heurter dans nos valeurs. Cela pourrait nous inviter à dépasser l’opposition du bien contre le mal, pour nous placer dans un juste positionnement de la conscience qui transcende cette dualité afin de trouver l’unité synonyme d’acceptation et d’amour inconditionnel de l’ombre, en vue de l’intégration harmonieuse et de la conciliation des oppositions, tant sur le plan du microcosme (l’individu) que du macrocosme (les sociétés).

Face à une telle possibilité, immédiatement, le réflexe de refus semble s’imposer à notre conscience, tant est ancré en nous le paradigme de la logique binaire, celle du combat entre le bien et le mal. Dans cette logique, nous avons naturellement peur que l’ombre, si elle est aimée telle qu’elle est, se sente pousser des ailes et qu’elle devienne un monstre incontrôlable, qui détruira tout ce que notre civilisation a pu construire de beau, de noble et de sain.

À y réfléchir, c’est le même mécanisme qui nous influence par rapport à nos propres ombres intérieures. Face à la possibilité qu’elles soient vues et ressenties, la peur de la décompensation s’active et nous utilisons nos mécanismes de défense pour les maintenir occultées. L’apaisement qui résulte de ce mécanisme d’évitement n’est toutefois que temporaire, car il est dans la nature même de l’ombre que d’aspirer à retrouver la lumière, ce qui fait qu’elle reviendra donc régulièrement nous rappeler à son « bon souvenir » !… Afin de nous en prémunir, nous devrons maintenir nos systèmes de défense en alerte, générant tensions nerveuses, fatigue et maladies (les maladies dites « psychosomatiques »). 

Pour éviter l’effondrement

Selon l’hypothèse que j’ai développé dans cet article, ce mécanisme intérieur peut être transposé au collectif, donc à nos sociétés. Dès lors, si les tentatives de contrôle de l’ombre en soi sont sources de tensions et d’épuisement sur le plan individuel, cela peut être également le cas à l’échelle de la civilisation. Le fait de combattre l’ombre sous toutes ses formes, dans le but de maintenir la civilisation à flots, pourrait précisément être ce qui finit par l’amener au bord de l’effondrement. 

Considérer l’ombre sous toutes ses formes, l’accueillir, l’aimer et même l’encourager, serait donc la voie à suivre pour concilier les contraires et retrouver la paix, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, dans le monde. La nature des choses étant bien faite, cette dynamique n’aboutirait pas à la dictature de l’ombre, mais à l’harmonisation des contraires et donc à leur cohabitation équilibrée et ordonnée, où la diversité serait célébrée comme un enrichissement et non plus comme une menace pour la cohésion sociale. 

Le seul moyen pour que ceci puisse fonctionner est d’aimer, selon la logique ternaire, tel que cela a été enseigné par les Sages de toutes les traditions. Pour en savoir plus sur cet enseignement, je vous invite à lire mon article « Faut-il tendre l’autre joue ? » 

Faut-il tendre l'autre joue ?

Face à la violence avec laquelle les forces des ténèbres se déchaînent en cette fin de cycle, « tendre l’autre joue » apparaît aux yeux de beaucoup comme un acte de lâcheté, de faiblesse voire de soumission face à l’Ennemi. Pourtant, c’est bien l’attitude à laquelle le Christ invita ses disciples, comme l’atteste Matthieu 5:39-40.

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