Dans l’antiquité, la grande majorité des sociétés incluaient la spiritualité à leur paradigme. Leur représentation ontologique de l’être humain était tripartite : « corps-âme-esprit ».
Puis, le fil de l’histoire s’est déroulé et la dimension spirituelle de l’être, autrement dit son esprit, a été progressivement réduite à celle de l’âme.
Ainsi, avec le temps, l’esprit est devenu l’âme ; il a été confondu avec elle, au point de devenir la conscience mentale de l’être, la conscience de son âme, alors que traditionnellement l’esprit occupait une position supérieure, transcendante par rapport à cette même conscience de l’âme.
Aujourd’hui, le paradigme qui détermine le fonctionnement de notre civilisation et le devenir des individus, considère uniquement le corps et l’âme, cette dernière étant la psyché, c’est-à-dire la dimension psychologique de l’être.
La dimension spirituelle (l’esprit) de l’être est donc passée à la trappe et, avec elle, tout ce que la science expérimentale n’est pas capable de valider par sa méthodologie uniquement basée sur ce qui est observable et mesurable.
La science contemporaine, exclusivement matérialiste, est dépendante de l’état actuel de ses connaissances et surtout de ses instruments de mesure. Comme les connaissances scientifiques et la technologie évoluent à mesure que la science évolue elle-même, la science moderne devrait se montrer ouverte et humble, car ce qu’elle n’est pas encore capable d’observer, de comprendre et de valider aujourd’hui par sa méthode (elle aussi évolutive), elle en sera peut-être capable demain.
Inquisition et police de la pensée
Partant de ce constant, le fait de rejeter les disciplines et domaines qui, pour cette même science, relèvent encore du mystère, comme le paranormal, les états modifiés de conscience ou les perceptions extrasensorielles, n’est pas une attitude véritablement scientifique. Ce rejet marque au contraire une attitude de défiance et de fermeture qui s’avère anti-scientifique.
De même, ce n’est pas faire preuve de raison que d’affirmer qu’un individu qui témoigne de ses expériences voire qui en a fait une vocation, est systématiquement un illuminé, un gourou ou un charlatan. C’est pourtant le jugement proféré par une grande partie des défenseurs de la science matérialiste. L’usage du scepticisme devrait plutôt les pousser à faire des recherches, à questionner et à comprendre au lieu de condamner de la sorte.
Certes, il y a des dérives dans ces domaines et les dénoncer s’avère nécessaire, mais mettre tout le monde dans le même panier relève de l’amalgame, du procès d’intention et donc du sophisme.
Des biais cognitifs importants influencent également ceux qui affirment faire preuve de rigueur et d’esprit critique, mais ils sont souvent plus prompts à les dénoncer chez ceux qu’ils se donnent pour mission de combattre qu’à les reconnaître chez eux (biais connu sous le nom de « tâche aveugle »).
Aujourd’hui, les scientifiques matérialistes n’admettent comme valable et digne de confiance que ce qui a été validé par la méthode scientifique et qui a fait l’objet de publications dans des revues à comité de lecture.
Comment ces scientifiques se positionneraient-ils face au Bouddha, au Christ ou à Socrate (de même qu’à tant de philosophes et maîtres à penser qui incluaient l’esprit dans leur weltanschauung[1]) s’ils vivaient à notre époque et qu’ils transmettaient leurs méthodes pour aider les êtres à réaliser l’esprit et donc à se libérer des illusions inhérentes à l’ego et à un mode de vie centré sur la matière ?
Il est à peu près certain qu’ils les verraient comme de dangereux gourous de secte, des charlatans, des manipulateurs, qu’il faudrait empêcher de nuire et dénoncer publiquement.
Le scientisme comme nouvelle religion
Plusieurs parallèles peuvent être établis entre le scientisme et la religion dans ce qu’elle a de plus exotérique. Les adeptes de la pensée rationnelle, de l’esprit critique, de l’art du doute (ou zététique) agissent aussi en missionnaires qui se donnent pour fonction de « sauver » ceux qui ne croient pas en « leur » Dieu la science exclusive. Ils se donnent pour mission de les « déconvertir » comme ils disent, ce qui constitue une conversion, mais à l’envers, et qui est fort révélateur de l’intention qui sous-tend une telle démarche.
Le paradigme matérialiste moderne a supplanté le paradigme spiritualiste de jadis. Si, autrefois, c’est l’esprit qui créait l’âme et le corps, aujourd’hui, l’inversion est totale puisque c’est le corps qui crée l’âme (et l’âme uniquement puisque l’esprit a été jeté aux oubliettes).
Du point de vue matérialiste, le corps crée la conscience, et cette doctrine affirme par conséquent que toutes les perceptions extrasensorielles ne peuvent être créées que par le corps, en l’occurrence par le cerveau.
Rien ne prouve toutefois que la conscience soit produite par le cerveau et qu’elle soit cantonnée à cette seule composante matérielle de l’être.
La science matérialiste considère que le cerveau produit la conscience, comme si un téléviseur produisait l’image qui défile sur son écran. Or, si l’on prend l’exemple d’une émission transmise en direct à la télévision, on sait pertinemment que le téléviseur ne produit pas lui-même l’émission, mais qu’il ne fait qu’en transmettre les images.
Et s’il en était exactement de même pour le cerveau ? Les expériences de sorties du corps[2] ne seraient-elles pas là pour le démontrer ?
Si la conscience n’est pas créée par le cerveau, c’est parce que ce n’est pas le corps qui crée l’âme. Cette dernière est le produit de l’esprit, qui n’est pas limité au corps et à l’âme. Cette dimension spirituelle de l’être occupe tout l’espace ; elle est comme l’infini[3] par rapport au point ; elle est comme l’absolu par rapport au relatif ; elle est comme la non-dualité par rapport à la dualité ; elle est comme le centre par rapport à la périphérie, elle est comme l’immuable par rapport au changeant.
Toutes les grandes Traditions s’accordent à dire que l’être est « porteur » de cette dimension spirituelle qui constitue sa véritable essence, immuable, éternelle.
L’esprit est ce « dieu personnel » dont elles parlent toutes également, en employant des formules[4] et des images qui, si elles peuvent diverger dans la forme, convergent dans leur signification profonde.
Ceci ne saurait toutefois constituer une preuve aux yeux du matérialisme scientifique. Selon cette doctrine, c’est à ceux qui affirment que l’esprit (ou Dieu) existe de le prouver.
Mais comment démontrer la réalité de quelque chose qui n’est pas observable, mesurable, quantifiable ? La méthode scientifique a été conçue pour observer la matière, car elle est le produit d’un paradigme exclusivement matérialiste. Il est donc absolument normal qu’elle ne puisse admettre et prouver la réalité de la dimension spirituelle.
Sa méthodologie est à l’image de l’ego : il s’est construit de sorte à pouvoir assurer sa propre survie. En effet, tout comme l’ego a peur de mourir si l’esprit est réalisé, le matérialisme scientifique a peur de disparaître si la dimension spirituelle de l’être venait à être réalisée. Il est donc normal que sa méthodologie et la mentalité de ceux qui l’appliquent soient orientées de manière à en nier la réalité, tout comme les mécanismes de défense de l’ego ont été mis en place pour lui éviter de mourir sur le plan identitaire.
Les axiomes de base du matérialisme scientifique peuvent être résumés ainsi :
- Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié (ou réfuté) sans preuve.
- La charge de la preuve repose sur celui qui affirme quelque chose, pas à celui qui en nie (ou réfute) l’existence.
- Une affirmation extraordinaire nécessite des preuves plus qu’ordinaires.
Ce sont là des dogmes devenus irréfutables. Ils ont été arbitrairement imposés par le matérialisme scientifique et représentent par conséquent un apport récent dans l’histoire des sciences expérimentales.
Cependant, dans la perspective d’un paradigme qui inclut la spiritualité sans toutefois rejeter la matière, ces propositions peuvent et doivent être réfutées, et c’est d’ailleurs là une démarche tout à fait… scientifique.
L’œil ne peut se voir lui-même…
Ainsi, selon ces trois axiomes, si la science matérialiste ne parvient pas à prouver l’existence de la dimension spirituelle de l’être, c’est que l’esprit (ou Dieu) n’est pas réel.
Or, comme nous l’avons vu, la méthode scientifique n’est pas conçue pour prouver ce qui n’est pas observable, quantifiable et mesurable. Elle ne peut appréhender la dimension spirituelle puisque celle-ci est précisément « ce » qui est à la source même de l’observation par la conscience mentale du scientifique.
Pour employer une métaphore parlante, l’esprit est à l’image de l’œil qui ne peut pas s’observer lui-même ; il lui faut son reflet dans un miroir.
C’est là où cela devient intéressant, car ce « reflet » de l’esprit (ou de Dieu), ce sont les « effets » de celui-ci dans la dimension matérielle, et ils peuvent tout à fait être attestés scientifiquement.
En effet, les effets de la réalisation spirituelle sont bien réels et l’universalité des témoignages tend à démontrer leur objectivité : paix intérieure, sentiment d’unité (libération de l’impression de séparation), détachement de l’ego, bonheur, félicité, émerveillement, amour, compassion,…
En tant que « reflets » de l’esprit dans l’âme, ces états sont psychiques, ils appartiennent donc au domaine des phénomènes et peuvent par conséquent être constatés par la méthode scientifique.
On peut donc dire que l’esprit a des effets sur le réel (avec lequel il ne fait qu’un, soit dit en passant), mais pour que ces effets puissent se manifester, il faut que l’individu s’ouvre à la dimension spirituelle de son être.
Et c’est là où le paradigme matérialiste est pernicieux, car il va déterminer un mode de pensée ou de croyance qui va fermer l’individu qui y adhère à la possibilité de cette « réalisation spirituelle ». En effet, puisque cet individu ne croit pas que l’esprit puisse être réalisé par certaines voies ou pratiques spirituelles (yoga, méditation, arts martiaux internes, etc.), il ne va pas tenter l’expérience, et il va donc se fermer à cette possibilité (à moins qu’une telle réalisation survienne par grâce).
Il pourra ainsi se conforter dans son paradigme matérialiste en affirmant que Dieu n’existe pas. Mais se faisant, c’est à un bonheur et à des bienfaits merveilleux que la matière ne pourra jamais lui offrir, qu’il se ferme également. C’est d’autant plus triste pour lui que, en dépensant autant d’énergie pour convaincre que l’esprit ou Dieu ne relève tout au plus que du domaine des croyances et de la superstition, il risque d’influencer les autres et de les empêcher de s’ouvrir à la spiritualité et de jouir de ses « fruits ».
En cela, c’est une posture qui est diabolique, au sens étymologique du terme.
Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain
Bien entendu, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. La méthode scientifique a aussi son intérêt dans la mesure où elle sert de « garde-fou » à des dérives réelles aux conséquences parfois dramatiques.
En effet, il arrive que des individus malhonnêtes se servent de la spiritualité pour servir leurs seuls intérêts, en manipulant des êtres sincères en quête d’épanouissement, de guérison ou simplement de bien-être.
Mais les adeptes de la méthode scientifique ne devraient pas eux-mêmes faire l’erreur de jeter le bébé avec l’eau du bain. Ils devraient éviter les biais d’associations, les amalgames, les procès d’intention.
La méditation, le yoga, les arts martiaux internes, de même que les pratiques énergétiques, l’occultisme, le magnétisme, les facultés extrasensorielles, les états modifiés de conscience, les thérapies non conventionnelles, les médecines douces, etc., tout cela ne devrait pas être diabolisé au seul motif que des individus malhonnêtes en font un usage déviant pour servir leurs seuls intérêts. Procéder ainsi relève du syllogisme grossier et il est déplorable que des individus qui se réclament du scepticisme et de l’esprit critique ne se rendent pas compte qu’ils en usent et abusent et qu’ils font de ce fait plus de tort que de bien à la science.
Un scientifique doit être ouvert, il doit être capable de remettre en question ses propres doctrines, ses propres croyances, dont font partie le matérialisme scientifique. C’est là la fonction même de l’épistémologie, en tant que garante du caractère évolutif et non-dogmatique de la science.
[1] En philosophie, une weltanschauung est une vision métaphysique du monde, qui détermine un paradigme particulier, autrement dit un modèle cohérent qui fait sens et qui permet à l’être humain de vivre le plus en phase possible avec son environnement et lui-même.
[2] Sur ce sujet, je vous invite à vous intéresser aux expériences menées avec Nicolas Fraisse.
[3] Les scientifiques matérialistes reconnaissent la notion d’infini. L’infini mathématique, ils le conçoivent ; ils l’incluent à leur logiciel. Pourtant ils ne peuvent pas l’observer, le mesurer ou quantifier. Pourquoi ne pourraient-ils pas envisager qu’il en soit ainsi de la dimension spirituelle de l’être ou Dieu puisque cela revient au même ?
[4] Par exemple : le « royaume de Dieu », le « Soi », le « Nirvana », le « Tao », etc.
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