Dharma et Perfection absolue

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  • Dernière modification de la publication :10 mai 2024

Les Sages nous enseignent que la réalité est absolument parfaite telle qu’elle est, et qu’il n’y a rien à changer, pas même un seul atome…

Ils nous enseignent également que, dans l’absolu, le mal n’existe pas et que, par conséquent, la dualité non plus. Selon eux, il n’y a, en effet, que la Perfection absolue, le Bien suprême qui est Dieu, sans opposée.

Ils nous apprennent ainsi que la dualité n’existe pas réellement, qu’elle n’est qu’une illusion et que, en réalité, il n’y a que « Non-dualité », ce qui signifie que l’Illusion (Mâyâ) est aussi le Réel (Brahma), formant l’un et l’autre une irréductible unité, dans un mouvement constant qui s’apparente à une Danse cosmique ou à un grand Ordre cosmique, que certains ont appelé le Tao[1].

Pourtant, personne ne peut ignorer que nous vivons dans un monde qui manque cruellement d’harmonie, d’ordre et de paix. À bien des égards, on peut même parler de « chaos ».

Alors comment peut-on concilier deux visions des choses aussi diamétralement opposées, avec d’un côté une Perfection totale qui ne peut contenir en elle une once d’imperfection et, de l’autre, un monde chaotique, source de souffrance pour les âmes sensibles.

En fait, concilier ces deux visions des choses n’est pas vraiment possible, car elles sont vraies toutes les deux, du moins sur leurs plans respectifs : le plan absolu et le plan relatif.

Percevoir la Perfection absolue ou, à l’inverse, percevoir l’imperfection relative à une situation particulière, dépend ainsi uniquement de l’état de conscience de la personne qui perçoit, autrement dit de son degré d’éveil ou d’endormissement, ou si l’on préfère, de son degré de connaissance ou d’ignorance.

Une question d’état de conscience

Là où le Sage perçoit les choses à partir d’une conscience pure, un état de « présence éveillée », réalisant l’unité absolue entre tout ce qui est, la plupart des individus perçoivent le monde au travers de leur structure mentale, qui par nature divise (la connaissance du « bien » et du « mal ») et déforme la perception de la réalité. Agissant comme un filtre, la structure mentale teinte la réalité, en projetant sur elle son tissu de croyances, de conditionnements, d’illusions, etc.

Ainsi, il est compréhensible que celui dont la conscience n’est pas éveillée à l’essence spirituelle de la réalité, ne puisse percevoir que cette réalité est parfaite telle qu’elle est. Il va percevoir les guerres, la pédocriminalité, les inégalités sociales, la pollution de l’environnement, l’exploitation des plus faibles, et tout ce qu’il y a de disharmonieux en ce monde, en perdant de vue la vision d’ensemble, qui relève d’un état d’équilibre parfait.

Ceci dit, le Sage aussi perçoit également ces différents aspects de la réalité, mais sans perdre de vue le plan plus vaste au sein duquel ils prennent place, qui est cette Perfection absolue, totale. De plus, voyant au-delà des apparences, il est aussi capable de percevoir des dimensions inaccessibles au commun des mortels qui n’a pas fait le même travail de purification et d’illumination de sa psyché. C’est une capacité qui lui procure une capacité à l’émerveillement souvent inconcevable pour l’individu lambda.

Celui qui n’est pas en mesure de percevoir cette perfection inhérente au Réel, devrait se garder de s’en convaincre mentalement, au risque de créer un conflit d’ordre psychotique. Car on ne décrète pas mentalement que la réalité est parfaite[2], on le réalise spirituellement. Il ne saurait y avoir de demi-mesure.

Toutefois, même sans le réaliser spirituellement, on peut tenter de concevoir intellectuellement en quoi la réalité est parfaite. C’est possible en réfléchissant en termes de Loi naturelle et d’équilibre, deux notions étroitement liées. Je prends pour cela l’exemple cité par le Dr. Jean Marchal : « si une personne lance une pierre au-dessus d’elle, elle va la recevoir en retour sur la tête et ce sera d’autant plus douloureux qu’elle l’aura lancée très haut, et que la pierre est lourde. »[3]

Cette personne va alors considérer que cela est dangereux pour elle, que cela peut lui faire mal et donc la faire souffrir. Elle va alors comprendre que ce geste n’est pas approprié si elle veut vivre heureuse et en santé. En Orient, il y a un mot pour parler du mode de vie qui évite autant que possible de générer du chaos, du désordre et donc de la souffrance : ce mot est « Dharma ».

Vivre selon le Dharma, qui est une notion universelle au sens où elle ne se limite pas au bouddhisme et à l’hindouisme, c’est vivre d’une manière qui s’inscrit dans une dynamique (actes, paroles, gestes, pensées, etc.) qui fait le moins de vagues possibles, comprenez qui engendre des conséquences qui ne sont pas source de souffrance comme celles que nous endurons aujourd’hui à l’échelle de l’humanité et de la planète.

La transgression du Dharma

Aujourd’hui, nous vivons dans un monde caractérisé par la transgression généralisée ; nous avons, collectivement, un mode de vie hyper transgressif, très éloigné du Dharma. Dans ces conditions, il est normal que les conséquences soient douloureuses, et que personne ou presque n’y échappe. Et pourtant, le « mal » qui est la conséquence naturelle de ce mode de vie transgressif, fait aussi partie de la Perfection totale, et en cela, il est donc PARFAIT lui aussi.

Pour quelle raison ? D’une part parce que le « mal », quelle que soit sa manifestation, est nécessaire pour rétablir les équilibres lorsque ceux-ci ont été perturbés par des actions (au sens de « karma », qui inclut autant les pensées, les paroles que les actes) qui transgressent le Dharma – dussent ces actions découler de « bonnes intentions ». D’autre part, le « mal » est parfait parce qu’il participe à l’évolution de l’être humain en lui apprenant à conformer sa vie au Dharma, le poussant à rectifier le tir pour s’en rapprocher après s’en être éloigné. C’est le sens de l’expression « un mal pour un bien ».

Ainsi, plus l’action est éloignée du Dharma, plus la réaction est « maléfique » et source de souffrance pour la personne qui doit en subir les effets. Mais il n’en demeure pas moins « parfait » au sens où il participe au maintien de l’équilibre universel et où il permet à la personne qui en souffre – et il peut s’agir ici de l’humanité dans son ensemble – de comprendre les conséquences de ses actes et de corriger le tir. Si elle ne le fait pas, elle aura à subir à nouveau les conséquences de son mode de vie transgressif (du Dharma) et donc à souffrir davantage encore, dans une spirale infernale qui, si elle n’est pas interrompue par un effort de repentance et de rédemption, peut conduire la personne – ou l’humanité – à sa perte.

« Détruit, le Dharma détruit ; protégé, il protège. » Mahâbhârata

En toute logique, on peut donc comprendre de cela que la solution n’est pas de combattre le « mal » frontalement, mais de cesser de lui permettre d’exister en tant que qu’effet ou conséquence, en agissant d’abord au niveau causal, cela en vivant le plus en phase possible avec le Dharma sur tous les plans (physique, mental, émotionnel, spirituel).

C’est le but fondamental de l’enseignement transmis par les Prophètes, à toutes les époques, selon un message adapté à travers le temps à mesure que les mentalités évoluaient sous l’effet propre à l’écoulement du cycle cosmique. Les commandements que l’on rencontre dans les religions, de même que les codes de conduites justes transmis au sein des mouvements initiatiques, ont également cette fonction.

Soit dit en passant, apprendre à l’être humain à vivre en phase avec le Dharma en l’aidant à comprendre les Lois universelles, devrait aussi être le but fondamental de la Science. Malheureusement, elle a été détournée de sa fonction primordiale par l’homme orienté exclusivement vers la matière dans une optique de contrôle et de domination, au point de devenir l’un des deux aspects de la « Bête de l’événement[4] » : la technoscience, qui est actuellement en train d’accélérer le déclin de la civilisation à une vitesse vertigineuse.

Passer la porte du Dharma

C’est la raison pour laquelle les grands Maîtres de Sagesse, ces grands Instructeurs de l’humanité, l’ont toujours invitée à se détourner des chimères pour revenir à l’essentiel : un mode de vie simple et humble, fait de tempérance et de renoncement, avec en parallèle un travail sur soi-même visant la purification et l’éveil de la conscience. Car ils étaient conscients que le monde ne peut pas devenir « meilleur » si l’on ne devient pas soi-même meilleur, le fruit étant toujours en rapport à l’arbre qui le produit.

Beaucoup s’investissent aujourd’hui corps et âme dans une forme de lutte contre ce qu’ils considèrent être l’expression du « mal » en ce monde sans être conscient de l’importance fondamental de ce travail intérieur, alchimique. Ils combattent le monde à partir de leurs conditionnements sans se rendre compte qu’ils ne font en réalité qu’améliorer l’enfer ici-bas.

En effet, en dépit de leur sincérité et de toute l’énergie qu’ils dépensent à cette fin, leur démarche est autant vaine que contre-productive, car ils combattent le « mal » tout en l’invitant à se manifester en réaction à leur état d’esprit et à leur mode de vie, un peu comme s’ils cherchaient à éteindre un feu avec de l’essence. C’est une spirale infernale qui génère toujours davantage de souffrance, et la dérive actuelle du monde en est la triste expression.

La voie juste à suivre est donc de « passer la porte du Dharma » ou, dans un sens strictement équivalant, de « chercher d’abord le royaume de Dieu et sa justice[5] », pour reprendre l’expression chère au Prophète Jésus.

C’est pourquoi, s’il n’est pas interdit de combattre le mal à l’extérieur, il serait plus juste de le faire en étant soi-même suffisamment détaché de son propre ego. D’où le conseil donné par Krishna à son disciple Arjuna : « Sois ferme dans l’accomplissement de ton devoir, Ô Arjuna, en abandonnant l’attachement au succès et le rejet de l’échec. Une telle équanimité s’appelle Yoga [« Union », N.d.A.]. »[6]

De ceci, il faut donc comprendre que l’important est de s’efforcer de retrouver l’équilibre dans notre propre vie, en cherchant la voie du « juste milieu ». Car si la conséquence d’un mode de vie transgressif est la souffrance, la conséquence d’un mode de vie non-transgressif – centré sur le Dharma – est la paix et la joie.

Ainsi, celui qui s’efforce de vivre sa vie en phase avec le Dharma, contribue à illuminer le monde et y dissiper les ténèbres[7]. À l’inverse, celui qui lutte contre le « mal » sur la base des impulsions de désir et d’aversion de son ego, lui fournit en réalité le combustible dont il a besoin pour continuer à mettre le monde à feu et à sang.

Toutefois, même dans ce cas-là, eu égard à ce qui a été dit, l’enfer sur terre sera parfait aussi, puisqu’il poussera l’être à réaliser ses erreurs à s’engager sur la voie rédemptrice, la voie du Dharma

« Le Dharma est la souveraineté de la souveraineté. C’est pourquoi il n’est rien de supérieur au Dharma. » Brihad-Aranyaka Upanishad

[1] Danse symbolisée par le taijitu, ou symbole yin-yang.

[2] C’est personnellement ce que je reproche aux pseudos-éveillés qui dispensent cette « vérité » lors de leurs Satsangs, sans pourtant la vivre eux-mêmes, pour ainsi laisser croire à leur « éveil » et obtenir en retour, reconnaissance, argent, pouvoir, etc.

[3] L’apocalypse de Jean, un message pour notre temps, Éditions Question de – Albin Michel, 1987.

[4] Expression empruntée au Président français Emmanuel Macron.

[5] Le mot sanskrit Dharma est souvent traduit par « justice », une justice qui n’est pas celle des hommes, mais celle de Dieu (l’Ordre cosmique ou la Loi naturelle).

[6] Bhagavad-Gîtâ, chapitre 2, verset 48.

[7] On comprendra en cela que le gnosticisme est fondé sur de fausses croyances.

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