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« On ne dira point : Il est ici, ou : Il est là. Car voici, le royaume de Dieu est au milieu de vous. » (Luc 17:21). Ce royaume intérieur, Jésus nous a invité à la chercher en priorité, comme en témoigne ce verset bien connu : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout vous sera donné par surcroît. » (Matthieu 6:33).
Si le royaume de Dieu ne peut être trouvé dans le monde, il peut l’être en soi-même, grâce à la conversion (« Convertissez-vous, et croyez à la Bonne nouvelle. » Marc 1:15). Mais une conversion qui n’est pas un changement de croyance, comme on le ferait en se tournant vers une autre religion. Car la conversion dont il est question ici, est toute intérieure. Elle prend le sens d’un retournement de l’attention.
Cela étant dit, le royaume est aussi amené à se manifester ici-bas, en s’incarnant pour ainsi dire, passant du spirituel au matériel, en vertu de l’analogie qui existe entre les deux pôles de l’existence, l’Esprit et la Matière (« ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et inversement.« , stipule la Table d’Émeraude). En effet, lorsque l’Esprit de Dieu est réalisé par la conscience individuelle, celle-ci s’illumine et, en conséquence, la psyché et le corps s’illuminent en retour également. C’est ainsi que s’opère la « réflexion » de l’Esprit jusque dans la dimension la plus dense de l’être : son enveloppe charnelle. En incarnant ainsi l’Esprit ou, ce qui revient au même, en faisant l’expérience du royaume de Dieu sur tous les plans qui le composent, l’être est spirituellement accompli ; le Verbe s’est fait chair…
Alors, la vision de l’être transfiguré change et il est désormais capable de voir le royaume de Dieu partout autour de lui. En réalisant le royaume de Dieu à l’intérieur de lui, celui-ci apparaît partout, y compris dans sa réalité extérieure.
Dirigez donc votre regard vers l’intérieur et il deviendra absolu. Une fois cette conscience absolue réalisée, dirigez votre regard vers l’extérieur et vous découvrirez que l’Univers n’est pas séparé de l’Absolu réalisé. [1] Râmana Maharshi
Jésus a-t-il donné de faux espoirs ?
Deux millénaires après la résurrection du Christ, le royaume de Dieu, dont la venue était annoncée comme « toute proche », ne s’est pas manifesté de manière visible dans l’histoire. Faut-il comprendre que cette promesse n’a pas été tenue telle qu’elle était attendue ?
Pour répondre à cette question sensible, il est essentiel de replacer le message de Jésus dans le contexte politique et social de l’époque où beaucoup de juifs, notamment les Pharisiens et les groupes apocalyptiques, croyaient en une résurrection physique des morts, associée à l’établissement d’un royaume de Dieu sur Terre. Ce royaume était imaginé comme un monde transfiguré, instauré par un Messie-Roi. Ce dernier était attendu comme un « sauveur » politique autant que spirituel, qui libérerait la terre d’Israël de l’occupation romaine, rétablirait la justice sociale et apporterait la prospérité matérielle. Ces espoirs étaient profondément enracinés dans des prophéties bibliques et alimentaient une aspiration collective à des jours meilleurs.
Jésus devait tenir compte de ce contexte et ne pouvait de toute évidence pas priver les gens de l’espérance qu’ils fondaient dans la venue imminente du royaume de Dieu. En parallèle, il a toutefois largement insisté sur le fait que le royaume de Dieu était avant toute chose une réalité intérieure, qui pouvait être réalisée indépendamment de sa manifestation terrestre. Ce fut là son véritable Évangile, sa « Bonne nouvelle ».
Si le royaume est déjà présent en chaque être humain, cela implique que chacun a la capacité de s’ouvrir à cette réalité divine, sans dépendre d’une autorité extérieure ou d’un événement futur. Cette idée est profondément émancipatrice, car elle invite les croyants à se responsabiliser et à s’engager dans leur propre transformation intérieure, spirituelle. Elle reflète l’enseignement de Jésus selon lequel les lois et institutions extérieures (comme celles des pharisiens) sont secondaires par rapport à la pureté du cœur et l’intégrité intérieure (Matthieu 23:26).
Cet enseignement était révolutionnaire dans la société de l’époque. Il contrastait avec certaines doctrines du judaïsme et se rapprochaient de certaines doctrines orientales, comme celles de l’unité entre Dieu et l’univers, entre Dieu et toutes les choses manifestées, l’être humain y compris.
En effet, là où les dignitaires religieux de l’époque de Jésus attendaient un Messie libérateur qui instaurerait un royaume terrestre glorieux, Jésus propose un changement radical de paradigme : il invite chacun à découvrir le royaume de Dieu en lui-même, à le faire grandir en son cœur pour qu’il s’incarne pleinement dans sa vie et rayonne à travers sa personnalité.
C’est là le sens profond de la parabole du grain de sénevé (Matthieu 13:31-32) : un royaume qui croît silencieusement, presque invisiblement, à partir d’un germe – présent au cœur de l’être humain –, pour devenir un grand arbre. Cet arbre – l’arbre de vie – représente ainsi l’être humain spirituellement accompli, capable d’offrir le fruit de l’Esprit.
Une expérience intérieure négligée par l’Église
C’est cette lecture spirituelle et analogique des Évangiles qui devrait à mon sens primer aujourd’hui, pour relancer et vivifier la « Bonne nouvelle ».
Dans cette perspective, le royaume de Dieu serait tout simplement un état de conscience ou un état d’être que l’on peut incarner ici et maintenant. Ce concept de royaume intérieur entre en résonance avec l’idée d’une expérience de paix et de joie au sens où en parlait saint Paul, une expérience intérieure, que l’on peut vivre sans avoir besoin pour cela que les conditions de vie parfaites soient réunies autour de soi.
L’Église de Pierre a refusé de mettre en avant cette lecture analogique, alors qu’elle est pourtant fondamentale puisqu’elle offre la possibilité à chacun d’atteindre la paix et le bonheur par ses propres moyens, en cherchant à l’intérieur de lui-même, au cœur de sa propre conscience. À l’inverse, l’Église a décidé de bâtir ses doctrines en insistant sur la dimension extérieure, matérielle, du royaume de Dieu, faisant de Dieu un être extérieur également, inaccessible, si ce n’est par une forme de transcendance.
Un chrétien ordinaire ne sera pas satisfait tant qu’on ne lui dira pas que Dieu se trouve quelque part, dans quelques cieux lointains que nous ne pouvons atteindre sans aide. Il pense que seul le Christ connaissait Dieu et seul le Christ peut nous guider. Il suffit d’adorer le Christ pour être sauvé. Si on lui expose la simple vérité : “Le royaume des Cieux est en vous”, il n’est pas satisfait et donnera des interprétations compliquées et alambiquées à de telles déclarations. Seuls des esprits matures peuvent saisir la simple Vérité dans toute sa nudité. [2] Râmana Maharshi
On peut se demander pourquoi l’Église a choisi de ne pas mettre en avant la dimension intérieure du royaume de Dieu, pourtant clairement évoquée dans les Évangiles.
En privilégiant une représentation matérielle du royaume, sans doute a-t-elle voulu assurer la cohésion autour d’un message qui se voulait autant universel que concret, fédérant ainsi une communauté unifiée, ancrée dans l’espérance d’un monde meilleur apporté par le retour du Christ.
De plus, la doctrine d’un royaume à venir, accessible par la foi et les sacrements administrés par l’Église, renforçait son rôle central et indispensable. Elle lui permettait en outre de s’ériger en unique médiatrice entre les fidèles et Dieu, comme en témoigne le fameux « hors de l’Église, point de salut ».
Ce choix lui permettait également de se démarquer du gnosticisme, qui prônait l’idée que chaque être humain porte une étincelle divine et peut trouver le salut par lui-même, sans avoir recours à une autorité extérieure.
Si l’on peut comprendre de tels choix lorsqu’on les replace dans le contexte politique et social au sein duquel l’Église dut se faire une place et croître pour assurer sa survie – comme toute institution –, il est néanmoins regrettable qu’elle ait instauré une telle relation de dépendance entre elle et ses fidèles. En jouant sur l’espoir d’un royaume futur, matériel, l’Église a, à travers les âges, détourné l’attention de milliards de croyants de la richesse intérieure et immédiate du royaume spirituel présent en chacun d’eux.
À l’instar des croyances juives de l’époque, l’Église a choisi de perpétuer l’idée selon laquelle la venue du royaume dépend d’un Messie extérieur, au lieu de mettre l’accent sur le cœur du message de Jésus, qui est la recherche du royaume intérieur afin que, une fois cet état de conscience réalisé et intégré en lui-même, l’être puisse contribuer à manifester le royaume ici-bas, inspiré par l’Esprit en lui.
C’est en étant éveillé à Dieu en nous que nous pouvons de plus en plus voir Dieu dans le monde qui nous entoure. [3] Henri Nouwen
Faire l’expérience du royaume intérieur
En marge de la position doctrinale dominante de l’Église en faveur du royaume extérieur, des courants mystiques chrétiens, comme les Pères du désert ou les contemplatifs de l’époque médiévale, ont maintenu vivante l’idée du royaume intérieur. Cela montre que les deux visions, intérieure et extérieure, loin d’être opposées, peuvent se compléter dans une vision intégrale et unifiée du royaume de Dieu.
Si le royaume de Dieu est présent à l’intérieur de soi, toute la question est donc de savoir comment le réaliser et le faire croître pour qu’il illumine notre existence autant que la vie des autres. À ce sujet, les Sages sont unanimes : il faut impérativement calmer le mental, autrement dit cultiver le silence intérieur, tout en vivant, en parallèle, une vie juste, conforme au Dharma.
C’est très précisément ce qu’il faut comprendre par « cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice ».
Pour atteindre le calme du mental, donc une conscience paisible, immobile et silencieuse, il existe plusieurs techniques, dont voici les plus efficaces :
Cette pratique consiste à diriger son attention vers la sensation d’exister, au-delà de toute représentation ou image mentale de « soi-même ». Simplement se ressentir en tant que présence, « je suis », sans s’attacher à une identité ou un rôle. Ce retour à la pleine conscience d’être permet de dépasser le mental discursif pour accéder à une paix profonde et stable. En s’enracinant dans cette sensation d’êtreté, l’esprit cesse de s’égarer dans le passé ou le futur, trouvant une sérénité naturelle dans l’instant présent. C’est une reconnexion avec l’essence fondamentale de l’être.
Quand vous fixez votre méditation sur cette conviction “je suis”, quand vous vous plongez dans ce principe, cela correspond à la germination d’une graine [4]. » Nisargadatta Maharaj
Nous retrouvons ici la parabole du grain de sénevé, associée au royaume de Dieu. Observer l’êtreté la transforme et modifie l’état de conscience. Cette transformation permet de passer progressivement de l’illusion de l’ego séparé, à l’expérience de l’unité entre l’ego et Dieu, entre l’ego et l’univers, entre l’ego et l’autre.
Il s’agit de percevoir l’espace immobile qui entoure et traverse toutes choses, comme un fond silencieux derrière les bruits du monde et de l’esprit. Ce silence est aussi bien extérieur (dans l’environnement) qu’intérieur (en soi). En ressentant cette présence, on réalise que l’activité mentale et les phénomènes ne sont que des manifestations passagères dans cet espace infini et intemporel. Cela procure un sentiment d’unité et d’apaisement.
Toutes les directions devraient être contemplées et simultanément le corps devrait être perçu comme étant un espace vide. L’esprit aussi étant libre de toutes pensées, se dissout dans l’espace vacant de la conscience. » Vijnana Bhairava
Cette technique invite à se positionner en tant qu’observateur des pensées, sans s’y identifier. Les pensées sont perçues comme des nuages traversant le ciel de l’esprit. En les regardant avec une attention calme et détachée (sans les rejeter ou les refuser), on cesse de les alimenter. Cela permet de prendre du recul face aux préoccupations mentales, révélant la nature éphémère des pensées et, à l’inverse, l’immuabilité de l’esprit qui observe.
En concentrant l’attention, en pleine conscience, sur le corps et le champ d’énergie qui l’anime, la sensation de vitalité s’accroît. Le corps devient plus « vivant », « vibrant ». Les processus s’activent, comme si l’attention ainsi focalisée avait la faculté d’harmoniser la circulation des énergies. Cela favorise un enracinement dans le moment présent et calme le mental en détournant l’attention des pensées.
La récitation du mantra Om, son primordial, harmonise le mental et le corps. Chaque répétition génère une résonance qui apaise le mental, purifie la psyché et induit l'état méditatif. Le son Om évoque l’unité de tout ce qui existe, reliant l’individu à l’univers. Récité à haute voix ou en silence, il aide à calmer les turbulences mentales en focalisant l’attention sur sa vibration apaisante.
Cette pratique consiste à concentrer l'attention sur un son intérieur, souvent perçu comme un sifflement subtil au centre de la tête (à ne pas confondre avec un acouphène). Ce nada, omniprésent et constant, devient un point d’appui pour l’attention. En s’y connectant, le mental se calme naturellement, absorbé par cette vibration apaisante. Cette écoute favorise un état méditatif profond, reliant le mental au silence intérieur et à l’espace informel auquel nada ouvre la voie.
Au lieu d’aller dehors, rentre en toi-même : c’est au cœur de l’homme qu’habite la vérité. Saint Augustin
Grâce à ces pratiques qui permettent de calmer le mental et ainsi de rendre la conscience individuelle perméable à l’influence de l’Esprit en soi, tout un chacun peut faire l’expérience du royaume de Dieu sous la forme de la paix et de la joie, mais aussi de la douceur et de plénitude qui ouvre le cœur, invitant à l’amour, à l’émerveillement et à la gratitude.
Ainsi, l’espérance n’est plus uniquement tournée vers un futur hypothétique et abstrait, dans l’attente d’un royaume matériel. Elle peut trouver son fondement dans la foi en l’humanité qui, guidée par la lumière du message originel de Jésus, peut s’engager sur la voie de la réalisation du royaume intérieur et, par voie de conséquence, contribuer à sa manifestation tangible, dans le monde.
En effet, lorsque la conscience humaine est illuminée par l’Esprit de Dieu, cette lumière peut se rayonner dans les actions, les relations et les choix de l’individu. Ainsi, le royaume extérieur n’est plus uniquement un idéal futur séparé ou inaccessible : il devient le reflet naturel de cette œuvre d’illumination intérieure.
Plus les êtres humains s’engageront dans ce chemin de transformation personnelle, plus la vie en ce monde pourra se rapprocher de l’idéal du royaume de Dieu sur terre. Ce processus, loin d’être utopique, repose sur une responsabilité collective et une foi active, qui font du royaume une réalité en devenir, à la fois spirituelle (intérieure) et matérielle (extérieure).
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