À l’extrémité inférieure de la colonne vertébrale de chaque être humain sommeille l’énergie féminine, dans un état de passivité absolue, précédant toute manifestation. Il s’agit d’un aspect de la Shakti, l’énergie d’amour matricielle qui porte en elle à l’état de germe, l’intégralité des possibilités qu’un être est amené à manifester durant sa vie. Elle est l’énergie à l’origine de toute manifestation, de toute création. Elle est le potentiel de vitalité au service de l’Esprit, qui grâce à elle peut se refléter en tant que perfection manifestée, au sens de l’ordre, de l’harmonie et de l’équilibre dans le monde créé.
De par la passivité absolue qui la caractérise, cette énergie de création, féminine, est assimilée à un feu obscur, non-éclairant, ténébreux. Ce n’est que lorsqu’il est pénétré par la Volonté de l’Esprit (ou Lumière spirituelle) que ce feu cosmique peut jaillir, naître à la « vie », devenant ainsi éclairant, lumineux, à l’image de la Lumière spirituelle dont ce feu devient ainsi le parfait reflet dans le monde manifesté.
Cette énergie dans son état de non-manifestation, ou d’assoupissement, est située au niveau du chakra racine (mûlâdhâra), au niveau de la pointe du sacrum[1]. La tradition hindoue l’appelle la Kundalinî. C’est un mot sanskrit dérivé de Kundali, qui signifie « enroulé ». Cette énergie de création assoupie, est en effet enroulée à la manière d’un anneau ou d’une spirale, sur elle-même, trois fois et demi, à la manière d’un serpent, nous dit cette même tradition.
L’union des deux principes complémentaires
Pour s’éveiller, la Kundalinî a besoin d’être mise en mouvement par le Principe masculin, actif, que j’appelle la Lumière spiriituelle, dont l’équivalent est le Saint Esprit, Âtman ou la Lumière primordiale, suivant les Écritures. Lorsque la Kundalinî, de nature féminine-magnétique, est pénétrée, « excitée », « attisée » par la Lumière de l’Esprit, de nature masculine-électrique, elle donne naissance à un Principe vital puissamment créateur d’harmonie, d’ordre et d’équilibre, qui s’élève verticalement à l’intérieur de la colonne vertébrale, au travers de la nâdî sushumnâ.
C’est ainsi que les deux principes complémentaires « font l’amour ensemble ». Cette force vitale d’amour ainsi déployée à partir de la base de la colonne vertébrale, est donc la résultante de l’union entre le masculin, le Ciel, et le féminin, la Terre. Dès lors, elle porte en elle les polarités de ses « géniteurs » ; elle a en effet une polarité électrique-yang, et une polarité magnétique-yin, ce qui la rend parfaitement androgyne.
Lorsqu’il est intégral, ce déploiement ascensionnel du Principe vital se fait exclusivement au travers de la nâdî sushumnâ, à l’intérieur de laquelle se trouve également les principaux centres d’énergie du corps – les fameux chakras des traditions orientales -, qui s’ouvrent (à la manière de l’éclosion d’une fleur, d’où le symbolisme floral qui leur est associé, nous y reviendrons plus bas) à son passage à leur niveau. Cet éveil intégral de la Kundalinî en tant Principe vital est symbolisé par le caducée d’Hermès (voir illustration ci-contre à droite), qui représente deux serpents entrelacés autour d’un bâton. Les serpents y symbolisent les nâdîs idâ et pingalâ, véhiculant l’énergie vitale dans sa double polarité, yin-répulsion et yang-attraction dans toute l’anatomie subtile de l’être, cela tant et aussi longtemps que la Kundalinî demeure assoupie au niveau du chakra racine (mulâdhârâ).
Dès qu’elle est mise en mouvement sous la forme du Principe vital, celui-ci s’élève à l’intérieur de la nâdî sushumnâ et résorbe en lui-même progressivement les énergies vitales secondaires véhiculées par les nâdîs idâ et pingalâ, en conséquence de quoi l’activité de ces dernières décroît d’une manière inversémement proportionnelle à l’intensification de l’activité de la nâdî sushumnâ. Dans le caducée, cette dernière est symbolisée par le bâton, faisant office d’axe central par rapport aux deux autres nâdîs et qui, de par sa double polarité, est parfaitement neutre, androgyne.
Dans le récit de la Genèse, il est dit que « l’Esprit divin était porté sur la face des Eaux » (Genèse 1-2). L’Esprit est le Principe masculin, lumineux. Quant aux Eaux, elles symbolisent le Principe féminin, ténébreux, dans son état de passivité originelle précédant toute création (il ne faut pas considérer ici l’opposition « lumière-ténèbres » comme l’expression d’un manichéisme tel que celui qui met le bien et le mal en opposition, celle-ci n’existant qu’au niveau mental, et nulle part ailleurs…!).
Sur le plan individuel, c’est à partir de la substance féminine passive, soit la Kundalini enroulée sur elle-même, « chaotique », que le Principe masculin va créer l’ordre, l’harmonie et l’équilibre, c’est-à-dire le Principe vital en libre circulation. Sans cette mise en forme effectuée par le Principe masculin, aucune manifestation du Principe vital à partir du Principe féminin ne serait possible. Autrement dit, sans l’action « non-agissante » de la Lumière spirituelle (ou Volonté divine), l’Énergie féminine demeure non-manifestée, à l’état de matière chaotique, indifférenciée.
Cette union des deux Principes divins complémentaires est très bien décrite par Omraam Mikhaël Aïvanhov, dans son ouvrage intitulé « La pierre philosophale » (Éditions Prosveta, p. 190) : « Qu’il soit homme ou femme, chacun possède en lui cette matière symbolisée par l’eau qu’on appelle l’âme et qui a la faculté de s’élever jusqu’aux plus hautes régions du monde spirituel. C’est alors que l’esprit universel, en passant, l’effleure de son souffle, et l’opération alchimique de transmutation des métaux vils en or peut commencer. Évidemment, l’eau qui s’élève dans l’atmosphère ne le fait pas par ses propres moyens. C’est le soleil qui, en la transformant en vapeur, l’attire vers le haut. Mais nous qui sommes à la fois matière et esprit, il nous est donné par la puissance de l’esprit, notre soleil, de faire monter notre eau, notre matière psychique. »
L’énergie féminine-passive d’amour matriciel, a besoin de la force agissante de la Lumière de l’Esprit pour produire la mise en mouvement de son potentiel, en tant Principe vital, l’amour-force. Sans l’union de ces deux Principes divins complémentaires, rien d’harmonieux ne peut être créé ici bas. »
Une mort initiatique
Pour réaliser en lui-même l’union des deux principes complémentaires, l’individu doit vivre une mort initiatique, c’est-à-dire renoncer à réagir à partir des impulsions d’attraction et de répulsion induite par l’activité de son mental. Tant qu’il refuse de vivre ce renoncement, il maintient dans son esprit un voile d’ignorance et d’illusion, qui barre le passage à la Lumière spirituelle, qui ne peut donc pas atteindre les profondeurs de l’âme pour y mettre en mouvement le Principe vital, ce feu serpentin de la Kundalinî éveillée.
Ce renoncement est plus simple qu’il n’y paraît, puisqu’il suffit de « prendre conscience », avec bienveillance, amour inconditionnel, de ce qui se manifeste en soi-même, au niveau du corps, mais aussi et surtout au niveau de la psyché. Lorsque l’être accorde ainsi sa pleine conscience à ce qui se manifeste dans sa réalité intérieure, il tranche le voile de l’identification à la structure mentale, et le « vivant » qui était jusque-là occulté par ce voile, est découvert, révélé.
Observer, sans l’interférence du mental, permet d’unir l’Esprit, masculin, à l’Âme, féminine, union qui donne naissance au Principe vital. En revanche, lorsque l’ego s’interpose entre l’Esprit et l’Âme, entre la Lumière et les Ténèbres, le Principe vital ne peut se déployer.
Ce qui permet le réveil naturel et harmonieux de la Kundalinî est donc simplement le « laisser être » synonyme de détachement, de renoncement et d’abandon total à ce qui se manifeste en soi-même, en l’instant présent. Ce grand OUI, est une ouverture à la Lumière spirirtuelle, une « soumission » à la Volonté divine.
L’épanouissement de la fleur
À l’intérieur de la nâdî sushumnâ se trouvent les chakras majeurs de l’anatomie subtile, à l’intérieur desquels est contenu le potentiel spirituel qu’un individu est susceptible de pouvoir manifester, en tant qu’états de conscience générant des actions sources d’harmonie, d’ordre et d’équilibre. Ce potentiel spirituel est à l’image d’un germe, ou d’une graine, qui doit pouvoir s’épanouir pour offrir sa beauté, ses qualités, ses dons, au monde. Toutefois, pour que ce potentiel puisse s’épanouir, éclore, et devenir « fruit de l’Esprit » (au sens où l’entendait Saint Paul), il doit être alimenté par l’énergie féminine de la Kundalinî éveillée.
En renonçant à fonctionner en tant qu’ego (sur la base des conditionnements résultant du phénomène de l’identification), l’être s’ouvre à la Lumière spirituelle, qui peut alors éveiller la Kundalinî. En s’élevant verticalement à l’intérieur de la nâdî sushumnâ, ce feu nourricier permet au germe spirituel qui se trouve dans chaque chakra, de croître, de s’épanouir, d’éclore, à l’image d’une fleur ou d’un fruit, raison pour laquelle l’éveil spirituel que ce développement produit, est symbolisé par l’épanouissement d’une fleur dans les traditions.
À mesure que la Kundalinî éveillée progresse verticalement à l’intérieur de la nâdî sushumnâ, l’être incarne toujours davantage son potentiel christique.
La voie mystique de la présence
Le détachement des modes de fonctionnement inhérent à l’ego équivaut à un positionnement particulier, celui de la présence bienveillante à « ce qui est ». Il ne s’agit pas d’une pratique non-duelle dans la mesure où la présence implique un sujet (l’observateur qui perçoit) et un objet (ce qui est perçu), donc une dualité.
Il s’agit d’une voie mystique, fondée sur l’amour du « vivant ». C’est une voie passive, par l’état d’ouverture à la Lumière spirituelle, à laquelle la conscience individuelle se soumet totalement (d’où l’idée d’abandon, de lâcher-prise), dans un acte de foi en son Intelligence suprême.
En principe, quand on évoque le réveil de la Kundalinî, on s’imagine cette expérience de montée soudaine et irréversible de ce feu serpentin subtil. Dans cet article, nous souhaitions démontrer qu’il y a une autre manière de réveiller la Kundalinî, qui n’expose à aucun danger.
Considérer le réveil de la Kundalinî comme une expérience mystique et la rechercher comme un but en soi, peut exposer à de graves conséquences. En revanche, lorsqu’elle se déploie progressivement en conséquence du dévoilement opéré par l’être qui progresse sur la voie du milieu, cultivant l’art du détachement, son réveil est harmonieux.
Le réveil de la Kundalinî n’est donc pas tributaire de pratiques spécifiques telles que le Kundalinî-Yoga, le Hatha-Yoga ou le Prânâyâma. Il peut avoir lieu à chaque instant, graduellement, de manière totalement naturelle et harmonieuse, lorsque nous nous abandonnons à ce qui est présent en soi-même, dans le juste positionnement intérieur qui rend la conscience équanime.
[1] La pointe du sacrum a la forme d’un triangle inversé. Or, cette forme géométrique est un symbole couramment utilisé dans les différentes traditions pour représenter le Féminin sacré.