La méditation, un art de vivre

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Commentaires de la publication :2 commentaires
  • Temps de lecture :38 min de lecture
  • Dernière modification de la publication :4 août 2023

Navigation rapide

La méditation renferme bien des définitions qui, si elles sont toutes complémentaires, peuvent parfois paraître éloignées les unes des autres et semer le trouble dans l’esprit de celui ou celle qui cherche à en comprendre le sens. Selon la définition du Larousse, par exemple, la méditation est « l’action de réfléchir, de penser profondément à un sujet, à la réalisation de quelque chose ». Dans le langage courant, on utilise d’ailleurs l’expression « méditer sur un problème » lorsqu’on entre dans une réflexion dans le but de trouver des solutions.

Cette définition générale de la méditation en tant que processus rationnel et analytique semble toutefois entrer en contradiction avec celle de la méditation en tant que pratique spirituelle, religieuse ou de santé puisque celle-ci se caractérise au contraire par la transcendance de la pensée, donc l’absence de réflexion analytique propre au mental. Je dirais que ces deux définitions ne se contredisent pas, mais le processus de réflexion dont il est question s’inscrit simplement à des niveaux différents.

La réflexion de la lumière de l’Esprit

Pour comprendre cette distinction, considérons préalablement la réflexion comme phénomène physique qui intervient lorsqu’une source de lumière est projetée sur un objet et que celui-ci la renvoie. C’est le cas, par exemple, de la lumière qui se réfléchit sur un plan d’eau ou dans un miroir. Ce phénomène physique peut servir de métaphore[1] pour expliquer la méditation en tant que processus de réflexion de l’Esprit. L’Esprit, avec un « E » majuscule, est l’Observateur, le Témoin ou l’Être primordial, qui n’est pas un être individuel mais le Principe par lequel le monde créé est perçu.

Dans cette métaphore, l’Esprit équivaut à la source de la lumière qui se projette sur un objet, qui fait office de plan de réflexion sur lequel la lumière de l’Esprit, qui est pure attention, va pouvoir se refléter et lui permettre ainsi, par le fait même de cette réflexion, d’éclairer cet objet et donc de le percevoir, ou autrement dit d’en avoir conscience. L’objet dont il est question est constitué par un ensemble de vibrations qui peut revêtir toutes sortes de formes. Cela peut être un son, une odeur, une image mentale, une émotion, une pensée, le goût d’un aliment, la sensation produite par le contact physique avec une chose que l’on touche, et même l’impression subtile que l’on peut avoir de « soi-même » en tant que personne (la sensation de « moi »).

Si nous avons conscience qu’un de ces objets de contemplation existe dans notre réalité, c’est grâce à ce phénomène de réflexion de la lumière de l’Esprit sur cet objet. Sans la lumière de l’Esprit, nous ne pourrions avoir conscience de quoi que ce soit. Si, par exemple, nous pouvons décréter que nous sommes tristes, c’est bien parce que nous ressentons des émotions dans le corps. La lumière de l’Esprit perçoit ces sensations corporelles (émotion) et les identifie, par l’intermédiaire du mental, à de la tristesse (sentiment).

Il est alors possible de produire cette réflexion de la lumière de l’Esprit, de deux manières différentes : soit nous réfléchissons mentalement à cette tristesse, à ses causes et à ses conséquences, auquel cas la lumière de l’Esprit est projetée non plus sur les sensations corporelles mais sur des pensées, soit cette même lumière est directement concentrée sur la réalité telle qu’elle est vécue à l’intérieur du corps et dans la psyché, sans l’interférence de la pensée, c’est-à-dire en pleine conscience. Dans le premier cas de figure, nous méditons mentalement sur les raisons de notre tristesse, alors que dans le second cas de figure, nous observons simplement l’état de tristesse tel qu’il se manifeste dans le corps (sous la forme de sensations) et dans la psyché (sous la forme d’un état d’être particulier), en l’absence de tout processus mental analytique. Nous retrouvons là les deux définitions données au début de cet article.

Poursuivons avec l’exemple de la tristesse. Lorsque nous éprouvons un tel sentiment, le premier réflexe est de réfléchir mentalement à ce qui nous arrive. Nous pouvons nous victimiser, accuser le responsable, culpabiliser, chercher des moyens de sortir de cet état en l’anesthésiant ou en le compensant. Dans le jargon propre au développement personnel, on dit alors que nous sommes « identifiés » mentalement à des schémas de pensée, en réaction à cette tristesse. Cette réaction est la cause de la souffrance.

Le propre du mental est d’analyser. Au sens étymologique du terme, l’analyse (du grec ancien analysis) est l’action de délier, donc de séparer ce qui était attaché, uni, lié. Cette caractéristique du mental donne naissance aux notions de raison et de morale : le vrai et le faux, la justice et l’injustice, la force et la faiblesse, le bien et le mal et toutes les autres déclinaisons que cela peut prendre dans notre propre conscience individuelle, sous l’influence des impulsions magnétiques d’attraction et de répulsion : j’attire ce que j’aime, et je repousse ce que je n’aime pas. Nous sommes ici dans le domaine de la dualité. C’est le mode de fonctionnement binaire propre au mental qui compare les choses entre elles pour pouvoir les définir et se positionner par rapport à elles.

Pour reprendre notre exemple, lorsque nous méditons mentalement sur la tristesse, nous sommes dans cette dualité. Il y a cet état désagréable auquel nous aimerions pouvoir échapper, et nous utilisons le mental pour y parvenir. Cette tristesse étant désagréable parce que nous nous empêchons d’y être simplement présent, nous convoitons un état dans lequel nous pourrions en être débarrassés et auquel nous nous attacherons une fois atteint pour éviter d’avoir à revivre la souffrance engendrée par la tristesse. Nous comparons la tristesse avec ce qu’elle nous empêche de vivre. Autrement dit, nous refusons la tristesse et recherchons l’état qui nous en rendrait libre.

D’une manière plus générale, nous rejetons toutes les formes de souffrances psychologiques et nous désirons le bonheur, la paix, la reconnaissance, la valorisation, l’amour, et tous les états positifs qui nous éloignent de la souffrance. Il s’agit là du fonctionnement « standard » de l’ego régi par les impulsions d’attraction et de répulsion.

Les impulsions d’attraction et de répulsion

Toute forme de vie dans la nature, sans exception, est animée par l’énergie vitale, constituée elle-même de deux forces opposées mais complémentaires. La tradition chinoise les appelle yin et yang. Ce sont les contraires comme le jour et la nuit, le masculin et le féminin, le positif et le négatif[2], le chaud et le froid, le feu et l’eau, le ciel et la terre, le soleil et la lune, mais aussi, sur le plan physique, le plein et le vide, la force centripète et la force centrifuge, la concentration et la dispersion, l’inspiration et l’expiration, la contraction et le relâchement, la systole et la diastole (du cœur), etc. De l’alternance équilibrée[3] de ces forces complémentaires dépendent l’harmonie, la cohésion, de la conservation et la perpétuation de la vie.

Ces forces opposées s’attirent mutuellement : une chose de nature yin attire une chose de nature yang, et inversement. Par contre, deux choses de même polarité se repoussent mutuellement : yin repousse yin, et yang repousse yang. Ce phénomène se manifeste clairement avec deux aimants. Lorsque deux pôles de même signe sont opposés l’un à l’autre, il y a répulsion, tandis que lorsque deux pôles de signes contraires se font face, ils s’attirent. D’une façon un peu simpliste mais néanmoins fondée d’un certain point de vue symbolique, il y a une analogie entre l’aimant et la polarisation du psychisme humain. La complémentarité crée l’attraction, l’amour, et l’opposition crée la répulsion, la haine. La complémentarité engendre la cohésion, l’ordre, l’unité et l’harmonie, alors qu’à l’inverse, l’opposition déstructure, divise, et mène à la disharmonie et au chaos. Les polarités yin et yang ainsi que les impulsions magnétiques d’attraction et de répulsion qu’elles provoquent, sont influentes sur tous les plans de l’être : physique (corps), psychique (âme) et spirituel (esprit).

Lorsque la lumière de l’Esprit est identifiée au mental, elle est forcément sous l’influence de ces impulsions d’attraction et de répulsion. Nous vivons alors en mode « conditionnel » : « je suis bien à condition que… », « j’aime à condition que »…! Nous rejetons la souffrance et cherchons tout ce qui peut nous apporter du plaisir et de la satisfaction.

Si ceci est tout à fait naturel à partir de ces impulsions, il faut bien comprendre que cette identification de l’Esprit nous maintient dans la souffrance. En effet, puisque tout est impermanent dans le domaine de la manifestation, les choses auxquelles nous sommes attachés parce qu’elles nous permettent d’échapper à la souffrance, finiront par disparaître et cela ravivera cette souffrance. En somme, que nous soyons attachés aux choses qui nous procurent des sentiments positifs, ou que nous soyons en réaction face à celles qui nous déplaisent, nous souffrons. Dans un cas la souffrance est latente et dans l’autre elle est directement éprouvée.

Méditer sur un problème implique de reconnaître cette nature problématique, et cela n’est possible qu’avec l’entremise du mental et sa capacité analytique. À partir de là, nous cherchons des solutions pour échapper au problème, et cela peut s’avérer tout à fait justifié. En effet, la reconnaissance d’un problème, d’un danger, d’un déséquilibre ou d’une disharmonie peut être légitime dans la mesure où cette prise de conscience va nous donner l’impulsion d’agir pour rétablir l’équilibre et l’harmonie.

Si nous n’avions pas conscience de nos blocages, de nos maladies, de nos problèmes, de notre souffrance psychologique, nous n’aurions aucune possibilité d’évoluer vers davantage de plénitude, de bonheur et de paix. Il ne s’agit donc pas de remettre en question l’utilité des impulsions d’attraction et de répulsion, mais de pouvoir s’en servir à bon escient, et c’est ici que les choses se compliquent.

Il faut bien se rendre à l’évidence que ces impulsions sont souvent utilisées de manière inadaptée et abusive par l’ego et contribuent par conséquent à alimenter inutilement la souffrance, tant la nôtre que celle des autres. En vérité, rien ne justifie la réaction déclenchée pour échapper à la souffrance psychologique, car cette réaction ne peut la faire disparaître définitivement ; tout au plus peut-elle la compenser temporairement, l’étouffer, l’anesthésier, la réprimer, etc.

Dès lors, comment faire pour agir et tendre vers davantage d’harmonie sans alimenter la souffrance en cours de route ? Prenons un exemple concret pour bien comprendre ce point essentiel qui nous amènera tout naturellement à aborder la question de la méditation en tant qu’ »art de vivre ».

Action et réaction

Imaginons deux personnes qui se trouveraient confrontées exactement au même problème : l’inondation de leur lieu de vie, avec la perte d’objets ayant pour certains d’entre eux une valeur sentimentale inestimable. La première personne est un individu lambda, et la seconde est un Maître spirituel. Si la réalité extérieure est la même, la manière de la vivre intérieurement, en revanche, est différente chez ces deux personnes.

Face au constat de cet événement et de la perte de ces objets auxquels il était très attaché, l’individu lambda est submergé par des sentiments désagréables à vivre (tristesse, colère, culpabilité, désespoir, etc.) et va sentir l’impulsion de réagir à partir de ces états émotionnels, qui vont durer plusieurs heures, voire plusieurs jours. Cet individu va méditer mentalement sur le problème pour trouver des solutions, avec en arrière-plan toutes ces émotions qui le feront souffrir, au mieux jusqu’à ce qu’il puisse trouver une solution pour compenser cette perte et au pire jusqu’à ce que les émotions se soient atténuées avec le temps.

Le Maître spirituel, quant à lui, va vivre cet événement à partir d’un tout autre positionnement. Face au constat du problème, il éprouve naturellement des émotions qui peuvent être lourdes également, mais à la différence de l’individu lambda, il connaît le piège de la réactivité mentale, et opte dans un premier temps pour l’accueil de son état d’être et de ses émotions, en leur accordant toute son attention. Pendant quelques minutes, il s’autorise à ressentir pleinement ce qui se manifeste dans sa réalité intérieure. Pour ce faire, il entre donc dans un état méditatif, contemplatif, dans lequel il observe très attentivement tout ce qui se joue en lui, tant sur le plan corporel que sur le plan psychique. Cet abandon à « ce qui est » en lui-même lui permet de vivre pleinement son état de réactivité et de la transmuter rapidement. Grâce à processus, il parvient à retrouver l’équanimité de sa conscience, c’est-à-dire le calme mental, à partir duquel il peut agir en vue de trouver des solutions à son problème. Accomplies depuis un état d’équilibre psychique et physique, autrement dit d’équanimité, ses actions n’en seront que plus harmonieuses et efficaces.

A contrario, l’individu lambda qui réagit sur la base de la volonté d’échapper à la souffrance, est conditionné par elle, et son état de déséquilibre a très peu de chances de se refléter extérieurement par des actions équilibrées. La souffrance conditionne donc les actes et les pensées de cet individu lambda, alors que chez le Sage, son action est le prolongement de son état de paix intérieure.

Ce dernier n’est pas dépourvu de la capacité de vivre des émotions, mais il a conscience de l’impérieuse nécessité de ne pas réagir à partir d’elles. En conséquence il s’établit dans le positionnement intérieur qui lui permet de les libérer avant de passer à l’action. Et si toutefois les émotions devaient encore remonter à la surface par la suite alors qu’il est entré dans l’action, il prendra à nouveau le temps de vivre le processus d’accueil, afin de se donner toutes les chances de conserver sa stabilité et sa lucidité.

Il est bien connu que l’émotion court-circuite le filtre de la raison et affaiblit par conséquent notre capacité analytique, notre discernement, notre esprit critique, notre conscience morale, etc. Nous réagissons alors sur la base de nos instincts les plus primitifs, tel un robot préprogrammé sous l’influence de conditionnements réflexes issus du passé. Parfois, nous sommes conscients que ces réactions conditionnées ne sont pas appropriées, mais emportés par nos émotions, nous n’arrivons pas à nous maîtriser ; cela semble « plus fort que nous », et nous avons l’impression d’être esclaves de nos conditionnements. Cette perte de liberté est à l’opposé de la maîtrise de soi-même conférée par l’observation détachée de nos états d’être, qui nous rend libres d’agir à partir d’une plus grande clarté d’esprit.

Il faut bien comprendre ici que la réaction émotionnelle est fondée sur l’impératif de protection de l’intégrité physique et psychologique. Si elle est parfois adaptée pour échapper à un danger physique immédiat, de par la décharge hormonale[4] qui l’accompagne et qui nous fournit une quantité d’énergie utile pour lutter ou fuir, elle peut en revanche devenir nuisible lorsqu’il est question de la défense de l’image de soi à laquelle nous nous identifions psychologiquement, d’autant plus lorsque cette même réaction émotionnelle est sans cesse alimentée par nos pensées focalisées sur le problème et que nous la maintenons bloquée dans notre corps, par contrôle, refus ou interdit, que cela soit conscient ou non.

Par conséquent, si nous voulons retrouver la faculté d’agir depuis une base stable et ainsi nous offrir toutes les chances d’affronter au mieux les épreuves de la vie et d’évoluer harmonieusement dans notre environnement, il convient d’apprendre l’art de vivre dans le juste positionnement intérieur ; il convient d’apprendre l’art de vivre la méditation le plus souvent possible, en tant que cette faculté d’auto-observation détachée, non pas en tant que simple pratique ou technique à laquelle on s’adonne de temps à autre.

Entre la réaction sous la contrainte des impulsions de désir et d’aversion renforcées par les émotions, et l’action juste, intuitive, constructive qui prend racine dans l’équilibre intérieur, nous avons vite fait d’opter pour la seconde option et ce choix est tout-à-fait fondé pour toute personne aspirant à mener sa vie au contact de sa véritable nature, dans l’écoulement fluide et naturel de l’énergie vitale, puisque ce mouvement libre est la source de la paix, de la joie et de l’harmonie véritables.

Étant dotés du libre-arbitre, nous avons la possibilité de renoncer aux réactions impulsives irrationnelles lorsque nous sentons qu’elles empêchent l’expression libre de la sagesse qui existe en notre cœur. Pour cela, avant de réfléchir mentalement à un problème, il convient donc de revenir vers soi-même, dans l’abandon temporaire des préoccupations mentales, afin de se donner toutes les chances de transmuter l’état d’être que cette problématique a ravivé en nous.

Ce retour vers soi, par lequel nous renonçons à la tentation de réagir sur la base des réactions impulsives d’attraction et de répulsion, est l’essence même de la méditation en tant qu’art de vivre. Comme nous l’avons vu avec l’exemple du Sage, il s’agit en fait d’un simple regard dénué de jugement, posé sur ce qui se passe en soi-même, tant au niveau des pensées que des émotions.

Si nous parvenons à ressentir notre état d’être, dans l’accueil inconditionnel de sa nature, il se transmute et nous retrouverons rapidement l’état d’équilibre. Cela implique de ne pas penser à la cause qui l’a déclenché. Nous laissons temporairement de côté les préoccupations mentales pour observer, ressentir. Et si, durant ce processus, les pensées nous ramènent à leur réalité et que nous nous trouvons à nouveau « identifiés », réactifs, nous prenons à nouveau conscience de cette réactivité en nous. Nous demeurons autant que possible dans l’observation, jusqu’à ce que l’état d’être ait pu être transmuté en paix, en sérénité.

Sur la notion de perfection

Ce processus de la présence méditative est une pratique spirituelle à la fois simple et puissante. Toutefois, simplicité ne rime pas toujours avec facilité. En effet, si cela est simple puisqu’il « suffit » théoriquement de se placer dans le juste positionnement pour que l’état d’être et la souffrance qui lui est associé ainsi embrassé et transmuté progressivement, en pratique nous devons composer avec de très nombreuses résistances qui sont autant de forces d’opposition qui rendent cet abandon ou lâcher-prise difficile. Ces obstacles font partie du chemin et il est tout-à-fait naturel de les rencontrer.

L’ego, qui est cette conscience que l’on a de soi-même, a été formaté par des années d’expériences au cours desquelles nous avons perçu notre réalité au travers du prisme de l’opposition des contraires : le bien et le mal, la morale et l’immoralité, le vrai et le faux, l’absolu et le relatif, l’agréable et le désagréable, et sommes devenus dépendants des impulsions d’attachement et de rejet aux uns et aux autres de ces contraires. Dans le processus de la présence, nous apprenons à transcender ce dualisme des contraires en annulant leur opposition par l’accueil inconditionnel de ce qui se passe dans notre réalité intérieure, non seulement en terme de sensations dans le corps, mais aussi et surtout en ce qui concerne notre état d’esprit, c’est-à-dire ce qui se passe au niveau du mental directement. La désidentification qui en est la conséquence est la seule manière de purifier l’ego des réflexes conditionnés qui le dominent et le rendent dysfonctionnel, et par là, de réaliser l’ouverture et le relâchement dont l’âme a besoin pour se régénérer, s’épanouir et guérir.

La perfection se situe dans la dynamique de l’effort qui nous permet de chercher ce juste positionnement intérieur, quelle que soit la nature de ce qui se manifeste en soi-même. Si cette manifestation est la souffrance, l’état de perfection est atteint par l’accueil inconditionnel de cette souffrance. Cela vaut pour tous les états d’âme sans distinction aucune (joie, confiance, tristesse, dépression, colère, culpabilité, etc.). Si nous commettons l’erreur de croire que la perfection se traduit uniquement par les états de joie, de paix, d’amour ou de quelques autres facultés physiques ou psychiques, nous risquons d’approfondir la fracture en nous, en rejetant et refusant tout ce qui semble s’éloigner de ces états. Nous nous surprendrions à penser : « oh non, je pratique la méditation et pourtant je souffre encore, et même plus qu’avant. Je voudrais tellement pouvoir vivre dans la joie, être constamment en paix, être parfait-e,… ».

Il est compréhensible de vouloir méditer pour aller mieux, pour guérir ou pour trouver des solutions à nos différents problèmes. En général, c’est précisément parce que nous n’allons pas bien que nous nous intéressons à la méditation. Mais cette démarche étant basée sur la volonté de se débarrasser de ce que nous n’aimons pas, la division s’amplifie dans notre psyché. Nos parts d’ombre se sentant rejetées, elles ne peuvent se transmuter et nous nous condamnons ainsi à en revivre les soubresauts, encore et encore. Comme le disait le célèbre psychanalyste Carl G. Jung :

Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité, mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire ».

Il est certes attrayant de faire des efforts pour se construire une personnalité dépourvue de défauts et de faiblesses, mais si cette démarche est motivée par la volonté d’occulter tous les aspects de soi-même jugés dégradants et dévalorisants, la psyché demeure divisée et donc instable[5]. La recherche de la perfection doit donc s’appuyer sur l’idéal de réunification intérieure de tous les aspects de la personnalité. Dans cette dynamique de la réintégration consciente de notre totalité, de notre entièreté, nous sommes parfaits, quand bien même les attributs de notre personnalité ne s’accorderaient-ils pas avec la perfection établie par le consensus social.

Si nous parvenons à poser une attentinon pure sur notre humanité, dans ce qu’elle a d’imparfait, de vulnérable, de honteux, de dégradant (du moins ce qui est jugé comme tel), c’est là que nous lâchons et que nous permettons aux véritables forces de la nature de se déployer pour rétablir l’équilibre à partir duquel les qualités et vertus de l’âme vivante pourront se manifester. En d’autres termes, l’esprit purifié par la pratique de la méditation, cesse de nuire à l’énergie vitale de l’âme, qui peut dès lors s’élever et s’épanouir dans l’expression libre et joyeuse de sa véritable nature. C’est ainsi que nous devenons « lumineux », non pas au sens de briller, mais au sens d’éclairer par le rayonnement des qualités et vertus de l’âme vivante.

Précisons encore que l’effort qui consiste à se placer dans la présence aussi souvent que possible, ne dispense aucunement d’agir en aval. Par exemple, si nous souffrons d’une grave maladie, la voie du juste milieu est d’accueillir la souffrance psychologique vécue en réaction à cette maladie, et de travailler à la mise en lumière de ses éventuelles causes psychologiques[6]. En faisant cela, nous retrouvons davantage d’équilibre et de paix, et pouvons dès lors agir concrètement avec davantage de fluidité et de stabilité. Nous sommes ainsi mieux à même de prendre les mesures nécessaires pour aider les forces de guérison du corps dans leur action curative. La méditation ne nous rend donc pas passifs, bien au contraire. Si, dans un premier temps, le retour vers soi que la méditation implique nous rend « activement passifs » dans l’accueil de notre réalité intérieure, c’est pour mieux restaurer notre élan de vie, cette force agissante dont nous avons besoin pour rétablir l’équilibre dans notre vie et nous y épanouir.

Lao Tseu, un grand maître chinois, enseigna que « le but n’est pas seulement le but mais le chemin qui y conduit ». L’une des interprétations possibles de cette parole de sagesse, est la suivante : si nous voulons atteindre la perfection dans le but (ou le résultat), il faut que cette perfection se reflète dans chaque pensée, acte ou geste qui nous rapproche de ce but. Cela signifie que si nous espérons une issue harmonieuse à un problème, l’harmonie doit se manifester dans toutes les étapes qui mènent à sa résolution. Cette perfection dans l’instant présent, prend racine dans ce positionnement intérieur équilibré qu’est la présence, celle de l’Observateur détaché, l’Esprit en soi.

Si nous déployons les efforts pour nous y établir, notre dynamique nous rend spirituellement parfaits, alors même que le résultat que nous attendons est peut-être encore bien loin d’être atteint. De ce fait, atteindre ce résultat devient secondaire, car sur le chemin qui y mène nous pouvons déjà nous rapprocher du Royaume de Dieu, c’est-à-dire la joie, la paix et l’équilibre dans l’Esprit (saint). Ces états n’étant plus conditionnés par l’obtention future d’un résultat « positif », nous en sommes plus facilement détachés, et cela nous préserve de la peur et de toutes les névroses d’échec qui, autrement, ne manqueraient pas de survenir en réaction à l’éventualité de ne pas atteindre ce résultat parfait, dont nous aurions impérativement besoin pour éprouver un plaisir conditionné par le fait d’avoir échappé (temporairement) à la souffrance. Attachés à ce résultat positif tout comme aux personnes et aux objets qui nous donneraient l’assurance de pouvoir l’obtenir, puis de le conserver, nous nous condamnerions à revivre la souffrance, car tout ce à quoi nous sommes attachés finit tôt ou tard par disparaître, conformément au principe de l’impermanence inhérent au monde de la forme.

En conclusion

Dans la tradition orientale, le mot utilisé pour parler de la méditation, est bhâvanâ. Ce mot sanskrit signifie littéralement « développement » ou « culture », ce qui exprime parfaitement le sens de la méditation. En effet, la méditation telle que je la conçois est l’art de se placer dans ce positionnement de l’esprit qui fait office de tuteur le long duquel le fabuleux potentiel vital de l’âme va pouvoir se développer, s’élever et s’épanouir, pour être à même d’offrir sa beauté et ses plus beaux fruits : les qualités et vertus que sont la charité, la compassion, le partage, la joie, la paix, la fraternité, la bienveillance, le pardon, la créativité, l’intuition, la santé, etc.

C’est l’image de la graine qui contient ce fabuleux potentiel et qui doit être cultivée de manière adéquate pour pouvoir exprimer sa nature. Cette culture est simple : la plante pousse toute seule si on évite de lui nuire et que l’on veille à ce qu’elle bénéficie des conditions de vie idéales.

Cet art de la méditation qui consiste à s’établir dans la présence à soi-même, est une manière à la fois simple et puissante de purifier la nature humaine et de lui offrir ainsi toutes les chances de dévoiler les trésors qu’elle porte en elle. Gageons que si de plus en plus d’êtres humains se donnent les moyens de cultiver cet état de présence aussi souvent que possible, de beaux changements pourraient survenir rapidement. En créant ici et maintenant de la paix, de l’harmonie et de la joie, le futur ne peut être qu’à l’image de ce merveilleux présent.

L’homme mérite qu’il se soucie de lui-même car il porte dans son âme les germes de son devenir. »
Carl G. Jung

[1] Cette métaphore est une image symbolique traditionnelle utilisée également pour figurer le rapport consubstantiel entre l’Esprit (le Soi, ou Atman en sanskrit) et l’âme vivante (le Moi, Jivatman en sanskrit, c’est-à-dire notre individualité). En tant qu’individus, nous sommes comme le reflet du Soleil sur un plan d’eau, et notre Source, notre véritable Soi, est comme le soleil dans le ciel. Ce Soleil spirituel est la Source unique d’innombrables reflets de Lui-même (Dieu créa l’homme à son image) dans le miroir de la Création. Le Soi est UN, sans second, mais les « véhicules » qu’Il utilise pour rayonner son essence et communiquer son Bien suprême (symboliquement, les rayons de Sa lumière), sont multiples. La nature du travail spirituel consiste à purifier ce « véhicule », l’âme vivante, pour qu’elle puisse refléter à la perfection la lumière de l’Esprit, et ainsi faire la Volonté divine en offrant le « fruit de l’Esprit » : charité, compassion, bénignité, pardon, tolérance, etc.

[2] Précisons que ces polarités n’ont strictement rien à voir avec le manichéisme du bien et du mal.

[3] Ce mouvement est figuré dans le symbole taoïste bien connu du yin-yang, également appelé taijitu.

[4] Le mot « émotion », vient du latin ex-movere, ce qui signifie littéralement « mouvement vers l’extérieur ». Ce mouvement est fourni par la libération de l’énergie produite par les hormones de stress, notamment l’adrénaline.

[5] C’est l’image du colosse aux pieds d’argile.

[6] Comme nous l’avons déjà relevé, la grande majorité des maladies pourraient être d’origine psychosomatique, ce qui signifie qu’elles sont causées par des émotions bloquées et par de fausses croyances au sujet de soi.

Questions-réponses :

Elles reviennent nous hanter tant et aussi longtemps qu’on ne les a pas accueillies avec cette bienveillance inconditionnelle dont il est question dans les « quatre clés de la présence à soi » dans l’article plus haut. Si on maintient nos ombres cachées, voilées, occultées, derrière des stratégies défensives parce qu’on en a honte, alors elles continuent de vivre en nous et ne nous laissent pas en paix, effectivement, et tant qu’on refuse ces aspects ombrageux de soi-même, il faudra constamment les réprimer, les étouffer, les compenser, par tout un arsenal de comportements névrotiques, de dépendances, de faux-semblants, etc.

Il faut bien s’entendre sur ce qu’est « l’ombre en soi ». Ce n’est pas nos mauvais instincts ou nos mauvais penchants ; cela, ce sera plutôt le « voile » qui sert à occulter et à anesthésier l’ombre en soi. Non, l’ombre en soi, c’est l’ensemble des élans de vie de l’âme qui ont été réprimés par de fausses croyances à leur sujet. Ainsi, accueillir avec bienveillance l’ombre en soi, en se désidentifiant de ce voile répressif, lui permet en effet de se transmuter et de se révéler dans sa vraie nature, forcément bénéfique en soi car elle constitue la force de vie nécessaire à l’épanouissement de l’âme dans l’expression de ce pour quoi elle est faite. N’étant plus voilée, figée, l’ombre se transmute en lumière ; elle retrouve son mouvement ascensionnel et nous confère cet élan à œuvrer, agir, de façon juste (les taoïstes appellent cela « l’effort non-forcé » ou « l’action non-agissante »). Ce n’est pas naïf car il ne s’agit pas d’une croyance, mais d’un constat basé sur l’expérience. Quand vous dites « en avoir pleine conscience, les connaître, les apprivoiser », cela rejoint cette idée d’accueil inconditionnel.

Accueillir l’ombre ne veut pas dire qu’on se laisse aller à des réactions à partir de ses impulsions parfois destructrices, pour soi-même ou pour les autres. C’est un point fondamental à comprendre : accueillir, c’est se placer dans un positionnement intérieur dans lequel on accepte que l’ombre existe en soi-même, qu’elle a le droit d’exister telle qu’elle est, mais PAS d’agir à sa guise et de nous diriger comme elle le souhaite. Cela s’appelle la maîtrise de soi. Si vous avez de la peine à comprendre cela, imaginez le rapport entre un parent et un enfant. Imaginez que l’enfant fait un caprice. Le parent l’accueille dans son émotion, reconnaît ses besoins, mais ne le laisse pas taper son petit frère ou sa petite sœur, ni se faire du mal. Cet exemple peut être transposé à notre rapport à nos « ombres ».

L’équanimité est un état de calme mental, qui peut être atteint autant dans l’immobilité physique que le mouvement. Que l’on soit immobile ou en mouvement, l’équanimité est atteinte à chaque fois que l’on retourne l’attention sur le mental, en observant attentivement notre état de conscience (ou état d’esprit, puisque pour moi cela revient au même).

Maintenir le calme dans le mental grâce à cette observation détachée ne veut toutefois pas dire que l’on se positionne avec justesse dans notre vie quotidienne, car nous pourrions en effet chercher l’équanimité (dans une posture méditative statique par exemple) pour échapper à certaines responsabilités. Si tel est le cas, l’observation attentive de ce qui se passe dans le mental doit nous permettre de prendre conscience des éventuelles impulsions de rejet qui nous font dévier, et nous pouvons alors consciemment décider de rectifier. Je prends un exemple : je dois accomplir une tâche contraignante pour le mental, qui implique un effort déplaisant. Si j’observe mon état d’être et que je parviens à atteindre l’équanimité, mais qu’au final je « fuis » vers une autre activité plus attrayante, je me suis arrêté en chemin et j’ai dévié. Si je m’en rends compte, je peux alors consciemment décider de rectifier en accomplissant cette tâche tout en restant bien attentif à mon état d’esprit, lequel va probablement être « teinté » par une forme de réactivité mentale. Si par contre je n’ai absolument pas conscience de ce qui se joue en moi, alors je ne peux strictement rien faire, parce qu’il est évident qu’il faut être conscient des mécanismes qui nous influencent pour être capable de corriger le tir. Si j’en suis inconscient, la dynamique sincère qui est la mienne finira certainement par affiner mon discernement.

Ce n’est évidemment pas du jour au lendemain que l’on acquiert une parfaite connaissance de soi-même. Le discernement s’affine avec le temps, à mesure que l’on pratique l’auto-observation. Si toutefois on devait faire totalement fausse route et s’illusionner sur toute la ligne, la souffrance qui en serait inévitablement la conséquence ne pourrait pas passer inaperçue. Quelqu’un qui d’un côté chercherait l’équanimité et qui de l’autre serait constamment en train de fuir ce qu’il sent devoir faire ou accomplir au fond de lui, se trouverait face à un conflit inconciliable, qu’il ne pourrait pas ignorer à moins de souffrir d’une pathologie mentale. Sans doute est-ce la raison pour laquelle, dans le bouddhisme, la notion d’action juste est également très importante, et qu’il y a autant de préceptes, de commandements ou de « codes de conduite » dans les traditions pour servir de « panneaux indicateurs ». Grâce à cela, on dispose d’un cadre sain au sein duquel on peut évoluer spirituellement en réduisant les risques de s’illusionner et de faire n’importe quoi. D’où l’importance aussi, pour certains, d’être supervisés par des Maîtres, qui sauront voir les éventuels angles morts dont ils ne sont pas encore forcément conscients.

Dans tous les cas, c’est une démarche qui n’est pas simple et qui comportent de nombreux pièges et obstacles. On y progresse comme le funambule sur son fil, en cherchant constamment l’équilibre, ce qui nécessite un sens de l’effort certain, à renouveler inlassablement pour éviter la chute. Et même si l’on devait s’illusionner, la réalité ne trompe pas, elle ; on pourra toujours compter sur la chute pour nous « réveiller » et nous remettre sur le droit chemin, à condition bien sûr d’être suffisamment sincères et humbles pour apprendre de nos « erreurs », nous redresser, et continuer à avancer.

Pour recevoir les derniers articles :

Cet article a 2 commentaires

  1. Karine

    Bonjour Frédéric, comme c’est rafraichissant de lire des textes comme celui-ci qui inclut plusieurs de mes vérités et tendances spirituelles. Je vous remercie d’exister et ce texte m’a donné des réponses que je cherchais. J’ai demandé à ma Source pourquoi la méditation ne m’apportait pas la disparition de mes angoisses, depuis tant d’années je médite? Et bien je viens d’avoir sa réponse. merci. J’aimerais bien échanger avec vous sur ces sujets. Je vous remercie encore.

    Namaste,

    Karine, Sainte Agathe des Monts. Qc. Canada.

    1. Frédéric Burri

      Chère Karine,
      Merci pour votre commentaire qui vient joyeusement agrémenter le contenu de cette page 🙂
      Je suis ravi si le contenu de cet article rejoint votre propre approche de la spiritualité, et qu’en plus il a pu vous éclairer sur une question très importante pour vous.
      Il est bien naturel et légitime voyez-vous de méditer pour se libérer de la souffrance, ou tout simplement pour en tirer une forme de jouissance intérieure. C’est la motivation à la base de toute démarche spirituelle, mais il est vrai que si l’on reste influencé par cette impulsion durant la pratique, on risque de vivre la méditation en rejetant tout ce qui s’éloigne de notre idéal (les angoisses dans votre cas), ce qui ne peut en fin de compte que renforcer la dualité et le conflit à l’intérieur de soi-même, et l’angoisse par conséquent puisque celle-ci est une des conséquence de l’impression de séparation vécue par notre « petit-moi » (dualité). Si cette impulsion sera TOUJOURS celle qui nous poussera à méditer, il faut à un moment donné comprendre qu’elle doit être « lâchée » durant la pratique elle-même, pour que nous puissions véritablement nous placer dans l’accueil équanime de « ce qui est », y compris de ce « petit-moi » qui s’y refuse parfois, souvent, tant habitué qu’il est à faire exclusivement les choses dans la conditionnalité, avec l’attachement au résultat qu’elle implique.
      En complément à cet article, je vous recommande de lire mon article sur le lâcher-prise, à cette adresse : https://fredericburri.com/lart-du-lacher-prise/
      C’est avec joie que je me tiens à votre disposition pour échanger sur ces sujets, dont nous partageons la passion visiblement 🙂
      Cordialement,
      Frédéric

Laisser un commentaire