Le paradoxe du souverainiste

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Chers amis, n’y a-t-il pas un paradoxe à vouloir reconquérir notre souveraineté sur le plan extérieur, tout en ne faisant rien pour nous libérer intérieurement de notre tendance hédoniste à l’inertie (voir encadré ci-dessous), de nos croyances limitantes et de schémas de fonctionnement automatiques ?

Nous voulons nous affranchir de nos “maîtres” extérieurs, mais sommes-nous suffisamment maîtres de nous-mêmes pour être capables de créer la vie à laquelle nous aspirons vraiment en nos cœurs ?

Encore faudrait-il se connaître suffisamment bien soi-même pour savoir ce que nous voulons vraiment. Car le plus souvent, revendiquer la liberté et la souveraineté survient en réaction à des conditions de vie que nous estimons indignes, sans toutefois lever le petit doigt pour que cela change dans le sens de ce que nous voulons VRAIMENT.

Observons nos comportements quotidiens : il est facile de taper quelques mots sur un clavier, de cliquer pour liker ou partager, et de nous donner bonne conscience en faisant passer cela pour des actes citoyens. Mais cela fait-il réellement bouger les choses ? Certes, cela incite d’autres à réagir, liker et partager à leur tour, mais certainement pas à prendre en main leur vie pour changer les choses concrètement. Au contraire, nous contribuons à alimenter cette tendance malsaine à dilapider collectivement notre précieux “temps de cerveau disponible”.

Subtile diversion des nouvelles formes de divertissement offertes par le capitalisme de surveillance, qui est sans doute le seul à vraiment tirer profit de cette dynamique mortifère pour les âmes éprises de liberté, qui s’y font prendre comme des mouches dans un pot de miel, tout en étant persuadée de faire œuvre utile !

L’ingénierie émotionnelle utilisée par les géants d’internet est redoutable, en cela qu’elle nous donne l’impression que notre présence sur leurs plateformes est réellement utile pour nos vies – indispensable même – alors qu’elle nous expose continuellement à une masse d’informations biaisées et donc trompeuses, conditionnant notre vision du monde et des choix qui peuvent considérablement impacter notre vie. 

Nous avons l’impression grisante de devenir plus lucides sur le monde et la société, mais en vérité nous perdons simplement un temps précieux qui aurait pu nous servir à réellement nous prendre en main et à améliorer nos vies et celles de nos proches ! Loin de nous rendre plus conscients et intelligents, cette hyperconsommation de datas nous maintient dans un circuit fermé qui valide et renforce nos modes de pensées, croyances et idéologies, réduisant par conséquent considérablement nos capacités à prendre du recul pour identifier nos biais cognitifs et nos angles morts.

Et le sens de l’effort, dans tout ça ?

Celui qui aspire à redevenir souverain, c’est-à-dire libre intérieurement, ne peut échapper à la nécessité de faire des efforts sur lui-même, notamment pour redevenir maître de sa capacité à concentrer son attention sur ce qui participe véritablement à son épanouissement, à son éveil. Et cela passe par la conscience de nos propres modes de pensées, par l’auto-observation tout particulièrement. C’est un effort de concentration de l’attention, qui est diamétralement opposé à la dispersion de cette même attention que la présence sur les réseaux affaiblit considérablement, en étant dirigée par des algorithmes qui nous maintiennent dans un état aliénant de dépendance.

Comment prétendre libérer notre nation quand nous n’arrivons pas à nous libérer de nos propres automatismes de fonctionnement ? Comment construire une société juste quand on fuit constamment le travail sur soi qui seul permet de discerner ce qui est vraiment juste ? Cette prise de conscience, aussi inconfortable soit-elle, est pourtant le premier pas vers une libération authentique.

La véritable révolution commence donc par cette reconquête de notre souveraineté intérieure, qui a tout à voir avec la maîtrise de notre attention. Cela peut commencer simplement : par des moments d’introspection contemplative, par des réflexions approfondies plutôt que le survol en mode scrolling, MAIS AUSSI ET SURTOUT, par des interactions humaines réelles qui constituent un formidable atelier thérapeutique, au lieu de perdre notre temps dans de vaines polémiques virtuelles, souvent stériles il faut bien l’admettre, puisque très rares sont ceux qui ont l’humilité de remettre en question leurs croyances et postures idéologiques.

Nous touchons ici à une contradiction fondamentale de notre époque : comment vivre en étant libre tout en vivant d’une manière qui nous transforme lentement mais sûrement en robots programmés, hyper-réactifs, hyper-formatés ? La souveraineté collective ne peut naître que de la souveraineté individuelle de ceux qui la composent, et cette dernière exige un travail de fond, certes plus exigeant mais infiniment plus constructif et réjouissant que le simple activisme numérique.

La vraie question n’est donc pas de savoir comment nous libérer de ceux qui veulent nous diriger dans un sens qui sert leurs intérêts, mais de savoir si nous sommes prêts à faire des efforts pour nous libérer de nos propres biais, failles, faiblesses et dépendances. Car au bout du compte, la reconquête de notre souveraineté ne peut être que l’œuvre d’hommes et de femmes ayant d’abord appris se connaître et à devenir maîtres d’eux-mêmes, capables d’orienter consciemment leur attention et leur énergie sur ce qu’ils estiment juste et utile pour réformer leur vie, et par extension, celle de leur communauté.

La pernicieuse tendance hédoniste à l'inertie

Cette expression désigne la propension, très humaine, à rechercher d’abord ce qui procure du plaisir immédiat – ou au moins ce qui évite l’inconfort – et, ce faisant, à rester immobiles dans nos habitudes plutôt qu’à engager l’effort d’un changement. Autrement dit, nous sommes attirés par tout ce qui soulage la fatigue, apaise l’anxiété ou gratifie rapidement (scrolling, séries, grignotage, achats impulsifs) et, parce que ces plaisirs faciles existent à portée de clic, nous repoussons les actions plus exigeantes qui pourraient pourtant nous faire grandir.

Sur le plan psychologique, cette inertie hédoniste s’explique par le phénomène de sécrétion de dopamine : chaque mini-récompense libère un “coup de fouet” neurochimique qui conforte le comportement et rend la tâche suivante – moins galvanisante, plus longue – relativement peu attractive. Sur le plan sociétal, elle est renforcée par une économie de l’attention qui conçoit ses produits pour que les gens obtiennent du plaisir rapidement et sans effort.

Cette dynamique est d’autant plus perverse qu’elle nous donne l’impression d’être libre, puisque nous semblons “choisir” de passer trois heures sur un fil d’actualités, alors que ce choix est impulsé par l’évitement de tout effort, comme le fait d’apprendre une compétence qui nécessite concentration et persévérance, ou de prendre soin de sa santé en mangeant sainement et en faisant de l’exercice avec régularité. Cette passivité camouflée sous l’apparence du plaisir sape la volonté, tout le contraire de la reconquête de la souveraineté intérieure que je valorise dans l’article.

En résumé, la “tendance hédoniste à l’inertie” décrit l’alliance malsaine de la recherche du plaisir immédiat et du refus de l’effort qui implique une forme de déplaisir, voire de souffrance. C’est un cocktail qui nous incite à nous maintenir dans notre zone de confort, retarde la prise de décision difficile et empêche l’engagement constructif. Reprendre la main sur son attention, c’est précisément rompre cette tendance en acceptant une dose d’inconfort consciente (effort, discipline, introspection) pour gagner une liberté plus authentique, gratifiante et épanouissante.

"De nos jours, il y a d'un côté les forces de l'immobilisme qui veulent la continuité, et de l'autre, les forces de la réaction qui, par nostalgie du passé, te proposent de lutter contre l'immobilisme en revenant à des systèmes archaïques. Méfie-toi de ces deux impasses. Il existe forcément une troisième voie qui consiste à aller de l'avant. Invente-la. Ne t'attaque pas au Système, démode-le !"

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