Il y a quelques années, je séjournais dans un petit village du nord de l’Inde. J’y avais rencontré un homme d’une grande sagesse, avec lequel j’avais sympathisé. À chaque fois que je le voyais et que je lui demandais comment il allait, il me répondait la même chose :
« Ni bien ni mal, de plus en plus béat ! »
Cet homme était adepte de la méditation, qu’il pratiquait avec assiduité. Cela se ressentait par l’impression de sérénité qu’il dégageait.
Même si à l’époque je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire à travers sa réponse qui était systématiquement la même, je sentais qu’il y avait néanmoins du vrai dans ce qu’il disait, tant son état de béatitude était perceptible…
C’est plutôt cette idée du “ni bien ni mal” qui me posait problème. Pour moi, s’il était de plus en plus béat, eh bien c’est qu’il allait bien, donc ça n’avait pas de sens de dire “ni bien ni mal”. Je me disais intérieurement : “mais pourquoi ne me dit-il tout simplement pas qu’il va bien puisqu’il se sent de plus en plus béat ? Ou alors qu’il va de mieux en mieux, ça reviendrait au même !…”
C’était en 2009 et ce n’est que des années plus tard, en 2014, lors de mon initiation à la technique de méditation Vipassana, que j’ai enfin compris ce qu’il voulait dire.
Au cours du 7ème jour de méditation, j’étais assis dans la salle où nous méditions près de 11 heures par jour, et je n’étais pas au mieux, c’est le moins que l’on puisse dire. J’avais une douleur intense dans le dos, vraiment très intense !… La douleur était si forte que j’avais vraiment beaucoup de difficulté à suivre le protocole. Dès que j’essayais de me concentrer sur une autre partie du corps, la douleur induisait une réaction très forte de mon mental. En bref, je souffrais !…
Dans ces conditions, plutôt que d’essayer de scanner le corps comme on devait le faire normalement, j’ai décidé de concentrer toute mon attention sur la douleur, et de “rentrer dedans”. Au début, c’était difficile car mon mental continuait à refuser la douleur. Mais à chaque fois, je rentrais à nouveau dans la douleur, pour en percevoir toutes les sensations. J’ai fait cela plusieurs fois de suite, jusqu’au moment où quelque chose à lâché. En fait, c’est le mental qui a lâché ! Je pouvais tout à coup ressentir la douleur sans en souffrir. J’étais en paix, sans que l’intensité vibratoire de la douleur ait diminué d’un iota. C’était un feu, un bouillonnement de vibrations, mais je pouvais le ressentir en totale équanimité, donc sans souffrir.
Chose étonnante, quelques heures plus tard, alors que j’étais allongé dans mon lit et que je m’apprêtais à entrer dans le sommeil, j’ai pris une grande inspiration, de façon totalement involontaire, comme si mon diaphragme avait soudainement trouvé une plus grande amplitude. Quelque chose s’était débloqué à son niveau, et j’ai pris conscience que le point douloureux que je ressentais quelques heures auparavant, se situait exactement à la même hauteur. J’ai donc fait le lien entre l’équanimité que j’avais pu atteindre en rapport à la douleur située dans cette zone, et ce “déblocage” soudain de ma respiration. Mais peut-être que c’était une simple coïncidence, je ne le saurais sans doute jamais…
Cette formidable expérience que j’ai vécue durant mon initiation à Vipassana, avec cette intense douleur que je pouvais ressentir sans souffrir grâce au fait que j’avais atteint l’équanimité, m’a enfin permis de comprendre réellement ce que cet homme avait voulait dire par “ni bien ni mal, de plus en plus béat”.
Effectivement, ce moment d’équanimité alors que la douleur était très présente, s’était accompagné d’une grande paix intérieure, qui m’avait rendu béat. Simplement en prêtant toute mon attention à la douleur, en pleine conscience, j’avais réussi à m’élever au-delà de la dualité du bien et du mal, du plaisir et du déplaisir, de l’agréable et du désagréable.
Plus justement dit, mon mental était neutralisé, il ne pouvait plus me faire réagir par l’attachement ou le rejet, par le désir ou l’aversion. Il était parfaitement calme, immobile, silencieux, libre de tout mouvement, de toute impulsion, de tout conditionnement. J’étais libéré de la souffrance, du moins temporairement puisque l’équanimité n’aura duré que quelques minutes…
Peut-être vous demandez-vous pour quelle raison je vous livre le récit de cette expérience…
Comme vous le savez, chaque début d’année est l’occasion d’adresser nos meilleurs vœux de santé, de réussite, de prospérité, etc.
Mais à vrai dire, depuis que mon expérience de la méditation m’a permis d’intégrer la notion d’équanimité, je sens toujours quelques réticences à le faire, car j’ai l’impression qu’en ne souhaitant que du “positif”, on encourage une disposition d’esprit qui renforce la tendance à rejeter tout ce qui s’oppose à ces états, comme le manque, la maladie, la souffrance, l’échec, etc.
Or, ces états “négatifs” font partie de la vie ; ils sont inévitables…
Comme vous le savez, la vie est faite de hauts et de bas. Elle nous fait passer par des phases d’activité et par des phases de repos. Il y a des moments de gains et des moments de pertes, de construction et de destruction, de naissances et de morts.
Comment pourrait-il en être autrement dans un monde polarisé tel que le nôtre, où seule l’impermanence est permanente ?
Sachant cela, je préfère nettement vous souhaiter le calme et la paix d’une conscience équanime, parce que c’est le seul endroit où vous pouvez trouver l’immobilité et la sérénité qui l’accompagne. Cet équilibre parfait de la conscience est à l’image de l’œil du cyclone… dont le calme n’est jamais perturbé par la violence du vent qui se déchaîne autour de lui.
Je fais partie de ceux qui pensent que la béatitude, la félicité ou la joie inconditionnelle, sont des états d’être qui ne dépendent pas des circonstances, et donc qui ne dépendent pas de la santé, de la réussite, de la prospérité ou de l’abondance de biens matériels.
Je fais partie de ceux qui pensent qu’il y a, au cœur de chaque être, cette paix intérieure, cette équanimité parfaite, que d’autres ont pu appeler le Nirvana, le Soi divin, le Royaume des Cieux, la Lumière primordiale, etc.
Je fais aussi partie de ceux qui n’aime pas trop donner d’espoirs en disant que les choses vont s’améliorer sur le plan matériel, ou avec plus d’optimisme encore, que notre civilisation va enfin “basculer” dans l’Âge d’Or de l’Humanité dont parlent certaines prophéties et que beaucoup attendent depuis des siècles.
Je préfère nettement me montrer réaliste en disant que l’année qui vient risque d’être mouvementée, mais que l’espérance peut être de mise malgré tout pour la simple et bonne raison que, au-delà des nuages, le soleil brille toujours de mille feux, et qu’il toujours possible d’avoir conscience de sa présence, même quand la tempête fait rage.
Et comme me l’a justement écrit un ami hier soir : “2023 sera une année bénie pour ceux et celles qui sauront voir le soleil à travers les nuages, car il est toujours là, lui !”
Voir le soleil à travers les nuages, c’est une manière métaphorique de dire qu’il est toujours possible de voir la Perfection inhérente à la réalité, indépendamment des circonstances que le mental aura toujours tendance à percevoir en les isolant de la Totalité (c’est son rôle). Voir cette Perfection absolue, cette Unité au cœur de la diversité, c’est précisément ce que perçoit celui ou celle qui a réussi à stabiliser sa conscience dans l’équanimité. Elle est la conjonction des opposés, l’au-delà du bien et du mal qui est Bien suprême, dont l’essence est cette pure félicité, cette pure béatitude.
Alors, si je peux vous souhaiter quelque chose pour cette nouvelle année, c’est de trouver ce “refuge” qu’est l’équanimité de la conscience, en vous-même, le plus souvent possible. Les plus belles qualités et vertus de l’être en découlent…
De tout Cœur,
Frédéric