Étymologiquement, « exister » c’est « sortir de », « se manifester »[1].
Comme la religion considère Dieu comme le Créateur, cela ne fait pas sens de dire qu’Il existe.
En effet, en tant que Créateur, Il est à l’origine de ce qui existe. Ce qui existe serait de ce point de vue « sorti » de Dieu, et donc, en toute logique, Il ne peut « exister[2] » Lui-même..
Cela pose toutefois un problème. Si la Création est « sortie de » Dieu, cela veut dire qu’il y a « quelque chose » hors de Dieu, et ce « quelque chose » est ce qui contiendrait la Création.
Si la Création est sortie de Dieu, c’est pour aller où, dans quel endroit ou dans quelle dimension ? Il doit bien y avoir « quelque chose » hors de Dieu, puisque la Création en est sortie.
Possibilité n°1 : Dieu n’est pas infini, il y a une dualité irréductible : Dieu et le Diable, et c’est en ce dernier que la Création se serait projetée. D’où le gnosticisme, le manichéisme !…
Possibilité n°2 : La Création est Maya, la « Grande illusion cosmique ». Dieu est absolu et infini, « non-duel », et tout ce qui « existe » est simplement illusoire par rapport à Dieu qui seul est réel.
Selon ce second paradigme (issu de l’hindouisme), seul Dieu (Brahma) est réel ; Il demeure absolu et infini, et la Création n’est qu’une projection de Lui-même, en « mode illusion ».
Dieu et Conscience
Et si, à partir de là, on faisant un parallèle entre Dieu et la conscience ?
La conscience existe-t-elle ? Non, ou du moins on ne peut pas l’observer objectivement, mais pourtant, j’ai conscience de ce que je suis en train de vivre présentement, c’est incontestable.
Tout ce que je perçois, en tant qu’individu, serait-il « sorti de » cette conscience, comme une projection d’elle-même ?
Cette projection de la conscience serait-elle, de ce fait, une illusion ?
Oui, absolument ! Pour que cette projection soit réelle, il faudrait que tout le monde en fasse la même expérience, or ce n’est pas le cas. L’expérience d’un phénomène est forcément subjective, puisque cette expérience est perçue à partir d’un angle de vue particulier, qui diffère d’un individu à un autre.
De ce point de vue, la réalité ne peut donc être que Dieu ou la conscience, et tout ce qui existe ne peut être qu’illusions à des degrés divers par rapport à cette réalité considérée comme absolue, suprême et ultime.
J’existe, donc « je » n’est pas réel
Et « moi » dans tout cela !? Si je peux m’observer en tant qu’individu, en tant que « je » qui fait l’expérience de ce moment présent, suis-je réel ou illusoire ?
Eh bien, sur la base de ce qui précède, ce « moi » auquel je m’identifie est illusoire puisque je peux en avoir conscience, avoir conscience de « moi-même ».
En effet, je peux affirmer que « j’existe », je ne peux pas le nier. Or, si « j’existe », c’est que je suis aussi illusoire que tout ce que je peux observer d’autre en ce monde. En tant qu’ego, je ne peux pas être réel.
Ce constat amène naturellement la question : alors si je ne suis pas l’ego, cette individualité, qui suis-je réellement ?
« Je est un autre » comme l’a écrit Maurice Zundel (probablement inspiré par Rimbaud)…
Il y a l’ego et « Cela » qui l’observe, « Cela » à partir de quoi l’ego existe en mode illusoire…
« Cela » est Dieu, le réel…
« Cela » est ma véritable essence spirituelle, une, sans second…
Une réalisation qui a valeur de délivrance
Réaliser « Cela », c’est ce qu’on appelle l’Éveil, la Libération spirituelle, la Délivrance.
Délivrance de quoi au juste ? Eh bien de l’illusion et de la souffrance qu’elle génère.
Raison pour laquelle cette libération est pure félicité, pure béatitude.
Et qu’est-ce qui change après cette « réalisation » ?
Rien et tout en même temps. La conscience ne s’identifie plus à des illusions, à des chimères ; elle en fait simplement l’expérience sans toutefois perdre de vue sa véritable essence spirituelle, avec la béatitude et la félicité qui en découle.
Cette réalisation, c’est aussi la réalisation qu’il n’y a jamais eu de séparation, que le Royaume de Dieu a toujours été là… au milieu de nous…
À partir de cette conscience, l’expérience de la Création devient un jeu : Lilâ, le jeu de la vie, où la conscience informelle fait l’expérience du mouvement de la vie, son impermanence, à la manière du centre parfaitement immobile d’une roue qui observerait le mouvement de celle-ci, en périphérie de lui-même.
Sur le plan de l’existence, la dualité demeure (le jour et la nuit, la lumière et l’ombre, le chaud et le froid, le bien et mal, etc.), mais la conscience ne s’y perd plus où plutôt, elle ne s’identifie plus à ce mouvement perpétuel (ni à l’ego qui on le sait est un agrégat dont les composés changent continuellement), ce qui ne l’empêche nullement d’en faire l’expérience sous cette forme, une expérience qui trouve ainsi une toute autre raison d’être et qui prend aussi et surtout une toute autre saveur…
[1]Source : https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/exister#1
[2]On pourrait considérer que Dieu existe s’il était Lui-même sorti de « quelque chose ». Ce pourrait être le cas en considérant que Dieu est la manifestation d’un Principe qui lui est directement supérieur. C’est ce qu’avancent certains métaphysiciens, pour qui le Dieu des religions monothéistes, assimilé à l’Être suprême, est la manifestation du « Non-Être » (ou « Non-manifesté »). Mais selon eux, bien qu’Il soit une manifestation du « Non-Être », ce dernier Le contiendrait en Lui. De ce point de vue, on ne peut donc pas considérer qu’Il en soit sorti, et donc qu’Il « existe »…