Comme nous le savons, il existe de nombreux obstacles qui rendent la démarche spirituelle difficile. Parmi ceux-ci, il y a la complexité des enseignements spirituels qui peuvent parfois sembler s’opposer entre eux. C’est notamment le cas avec la question de la pratique spirituelle et de l’effort qu’elle sous-tend pour progresser sur le chemin qui mène à la Réalisation du Soi.
Tantôt on nous enseigne que la pratique et l’effort ne sont d’aucune utilité, tantôt on apprend au contraire que l’un comme l’autre sont absolument indispensables.
Cette contradiction est parfois même présente dans l’enseignement d’un Maître, comme c’est par exemple le cas chez le grand Sage indien Ramana Maharshi. En ce qui me concerne, c’est la raison pour laquelle je m’en étais rapidement détourné quand je l’avais découvert, le trouvant beaucoup trop confus (en apparence).
Heureusement, au fil des ans, ma compréhension s’est approfondie et en reprenant l’enseignement de ce grand Sage, j’ai enfin pu comprendre qu’il n’y avait en vérité aucune contradiction et que la confusion d’alors provenait de mon incapacité à reconnaître qu’il pouvait s’exprimer à partir d’angles de vue différents, mais complémentaires.
C’est ce que je souhaite vous expliquer dans cet article. Pour cela, prenons d’abord en exemple où cette contradiction apparaît clairement.
Sur l’absence d’effort :
Le Soi s’impose toujours par son évidence… Le Soi, toujours présent, se réalise sans effort. Vous êtes déjà réalisés… Le Soi est présent dans l’expérience de chacun à chaque instant. »
Sur la nécessité de l’effort :
La tranquillité est le but du chercheur. Même un seul effort pour apaiser une seule pensée, ne serait-ce qu’un seul instant, pénètre profondément jusqu’à atteindre l’état de tranquillité. L’effort est nécessaire et il n’est possible qu’à l’état de veille. S’il y a effort, il y a aussi conscience ; les pensées sont calmées ; la paix du sommeil est obtenue. »
Contradictoire, vraiment ?
Au premier abord, ces deux enseignements semblent en effet entrer en opposition. D’un côté, le Sage nous dit que le Soi est déjà réalisé et qu’il n’y a donc aucun effort à faire pour atteindre cette Réalisation. Deuxièmement, il nous dit au contraire sans détour que l’effort est nécessaire.
Il y a franchement de quoi être désorienté et confus, n’est-ce pas ?
En vérité, il n’y a aucune contradiction, car il s’agit de deux angles de vue différents mais complémentaires. Pour mieux le comprendre, appuyons-nous sur la métaphore du poisson immergé au cœur de l’océan.
L’océan symbolise le Soi, l’océan « infini » de la Conscience pure. Le poisson, c’est l’individu, le « chercheur » qui cherche à réaliser le Soi. Illusionné et ignorant, le poisson se croit séparé de l’océan ; il pense l’avoir perdu et cherche par conséquent à l’atteindre. Évidemment, il ne l’a pas perdu puisqu’il est en « contact » avec l’océan à chaque instant. De même, il n’a aucun effort à faire pour l’atteindre puisqu’il « baigne dedans ». Le Soi est déjà là, immuable, infini, éternel, omniprésent et il n’y a rien que le « chercheur » puisse faire à son niveau pour s’en « rapprocher », pour l’atteindre ou l’introduire en lui-même. En vérité, il est déjà le Soi, il fait UN avec Lui, et il n’en est donc nullement séparé.
L’effort qu’il doit accomplir, par contre, consiste à éliminer les illusions et l’ignorance qui l’empêchent de réaliser qu’il est le Soi et rien d’autre. Il s’agit, comme le disent les Maîtres, de faire l’effort de supprimer les obstacles qui empêchent la Réalisation, ces obstacles étant les samskâra (conditionnements mentaux) qui alimentent l’ego et, avec lui, entretiennent l’illusion de la séparation.
En étudiant plus à fond l’enseignement de Ramana Maharshi, j’ai découvert qu’il avait même, à de très rares occasions, présenté ces deux angles de vue dans un même enseignement. En voici un exemple :
Un chercheur, par la pratique, obtient la paix du mental et est heureux. Cette paix est le résultat de ses efforts. Mais l’état réel doit être sans effort. Le samādhi sans effort est l’état véritable et parfait. Il est permanent. Les efforts sont spasmodiques et leurs résultats le sont aussi.
L’état de Félicité est sans effort. Le but devrait être de provoquer cet état même maintenant. Cela requiert des efforts.
L’effort doit être concentré sur l’extinction de la pensée « je » et non sur l’introduction du vrai « Je ». Car ce dernier est éternel et n’exige aucun effort de votre part.
En effet, l’océan (le Soi) n’a rien à faire pour être ce qu’il est. Il EST, tout simplement. La nécessité de l’effort ne concerne que l’endroit où l’illusion de la séparation est créée, c’est-à-dire la conscience, ou l’esprit du « chercheur ». C’est là que l’identification prend racine, et c’est là que l’identification doit être rompue par l’effort de concentration de l’attention juste ou, autrement dit, par la recherche de l’équanimité.
La nécessité de l’effort, jusqu’à la Libération
Si un Sage proclame parfois qu’il ne fait aucun effort pour être le Soi, c’est parce que l’individualité apparente à travers laquelle il s’exprime a été complètement purifiée des samskâra. Ceux-ci étant absents, il n’est plus nécessaire de faire un effort pour s’en dégager, et l’état réel de Réalisation du Soi est permanent. En vérité, il n’y a même plus d’individu qui pourrait se sentir à nouveau séparé. L’individualité a été transcendée et cette fausse identité qu’est l’ego, définitivement anéantie, sans retour en arrière possible.
C’est toute la différence entre le « Libéré-Vivant » et l’individu qui a certes déjà pu vivre des « expériences non-duelles » de type samadhi, mais dont psyché n’a pas été entièrement purifiée de tous les samskâra. Chez cet individu, le samadhi ne dure pas, la Réalisation du Soi n’est pas stabilisée, et l’effort lui est encore nécessaire pour calmer le mental et purifier son esprit[1].
Comme l’a dit Ramana Maharshi :
Le degré d’absence de pensées est la mesure de vos progrès vers la Réalisation du Soi. Mais la Réalisation du Soi elle-même n’admet pas de progression. Le Soi demeure toujours le même. Il reste toujours en réalisation. Les obstacles, ce sont les pensées. Les progrès sont mesurés par le degré d’élimination des obstacles à la compréhension que le Soi est toujours réalisé. »
L’effort est donc nécessaire tant et aussi longtemps que l’esprit n’a pas été entièrement purifié de ses conditionnements mentaux (samskâra), donc tant et aussi longtemps que la Libération spirituelle n’a pas été obtenue. C’est en cela que la pratique spirituelle (sadhana) est impérativement nécessaire et qu’un Maître peut être utile pour accompagner l’élève le long de sa Quête spirituelle, l’aidant à déjouer les pièges qui autrement pourraient lui faire perdre un temps précieux et approfondir en lui-même ce dont il cherche à se rendre libre.
Si l’on se place au niveau du « chercheur », il est indéniable que tous les Maîtres ont insisté sur cette notion d’effort. Un effort sur soi-même, un effort de renoncement, un effort de maîtrise de soi, un effort de détachement, de renoncement, d’abandon, de soumission, de… lâcher-prise. Il est clair que si cet effort n’est pas accompli, alors ce sont les samskâra qui prennent le dessus et qui approfondissent la dualité et avec elle, la souffrance.
Les efforts de l’homme ne peuvent viser qu’à se débarrasser de la souffrance. S’il y arrive, il ressentira la Félicité éternelle. La Félicité primordiale est obscurcie par le non-Soi, synonyme de non-félicité ou de souffrance. » Ramana Maharshi.
[1] Nous retrouvons dans cette catégorie certains enseignants Satsangs. S’il est possible que certains d’entre eux aient pu vivre une ou plusieurs « expériences non-duelles » qui ont radicalement changé leur rapport à eux-mêmes et à la « vie », ils ont néanmoins confondus ces expériences éphémères avec la Libération spirituelle. Partant de là, ils se sont illusionnés et ont cessés tout effort pourtant nécessaire pour continuer à purifier leur psyché des samskâra. Soit dit en passant, c’est le sens profond du titre d’un des livres de Jack Kornfield : « après l’extase, la lessive ». En d’autres termes, ces enseignants se sont arrêtés en chemin, renforçant même l’influence de l’ego en s’enorgueillissant du statut de Maître ou d’Éveillé. Le plus grave n’est toutefois pas qu’ils se soient rendus prisonniers de leur rôle, car cela les concerne, mais qu’ils fassent croire qu’ils sont « libérés » spirituellement tout en véhiculant cette croyance « qu’il n’y a rien à faire » pour s’éveiller, sans toutefois préciser la distinction entre le plan absolu et le plan relatif. Ceci est de nature à induire en erreur les « chercheurs » sincères venus les écouter, en leur faisant croire que la pratique spirituelle est inutile (ce qui est donc faux, celle-ci étant absolument indispensable…).
D’autres en parlent :
Pour en savoir plus sur ce sujet, je vous recommande ces quelques références :
- Enseignement d’Eric Tolone sur le néo-Advaita : https://youtu.be/2IQIKRGpaKE?t=7102
- Article : Le néo-Advaita démystifié
- Article : Pseudo-Advaita, fausse réalisation, faux gurus
- Ebook : L’importance de la pratique et de l’effort
- Livre : L’illumination, le Chemin dans la Jungle