Il y a une vingtaine d’années de cela, j’étais un jeune homme ambitieux. Je m’étais lancé dans des études académiques pour devenir économiste. Ce n’était pas par passion pour les mondes de l’économie et de la finance, mais parce que je pensais qu’avec un diplôme d’une Haute École en poche, j’aurais un moyen d’accéder à de plus hautes responsabilités, de gagner plus, de valoriser plus mon image. Bref, de briller plus…
Je n’aurai pas pu me voiler la face bien longtemps ! Deux années seulement après avoir obtenu le diplôme tant convoité, j’entrais dans une profonde crise existentielle avec, en point d’orgue, le burn out. Ce fut l’électrochoc dont j’avais besoin pour me réveiller et prendre conscience que je n’étais tout simplement pas à ma place.
L’esprit était terriblement en conflit avec le corps et l’âme, et ces derniers m’avaient durement ramené à leur réalité. Bien que douloureuse, cette épreuve fut salutaire, indéniablement… car cette crise m’aura permis de prendre conscience du poids de mon ego et des causes profondes de ma souffrance, et d’entamer les démarches pour m’en libérer.
À chaque fois que j’évoque cet épisode, j’ai comme l’impression que c’était une autre vie. Aujourd’hui j’ai vraiment l’impression d’être une autre personne, tant mon état d’esprit et mon mode de vie est aux antipodes de ceux qui étaient les miens à cette époque. J’y repense parfois de temps à autre. Pas plus tard qu’hier, je me suis souvenu d’un professeur que je trouvais cynique. Il enseignait l’économie politique mais portait toutefois un regard critique sur le système capitaliste. Un jour, durant une session de cours, il avait expliqué que ce système fonctionnait uniquement parce que l’homme moderne était un « hédoniste narcissique ». Sur le moment, je n’avais pas compris cette expression et j’avais dû avoir recours au dictionnaire pour en saisir le sens !
L’hédoniste est celui qui recherche le plaisir et évite la souffrance, et le narcissique, celui qui est attaché au reflet de sa propre image.
Force est de constater qu’il avait parfaitement raison. Et il n’y a pas de problème avec ce constat, car chacun est libre de mener sa vie comme il l’entend. En revanche, ce mode de fonctionnement pose problème à ceux qui sentent profondément en eux-mêmes l’aspiration au sacré, à la spiritualité, car les deux voies sont incompatibles.
La spiritualité est une démarche qui implique la recherche d’un Bonheur durable qui ne peut être trouvé sans effort, et donc sans souffrance, car l’effort vise justement à renoncer aux plaisirs superficiels qui étaient jusque-là recherchés, laissant alors émerger la souffrance qu’ils avaient pour effet de compenser, d’occulter..
On ne peut en effet partir en quête d’un Bonheur durable et en même temps éviter la souffrance. La raison est simple à comprendre : trouver le Bonheur durable n’est possible qu’en libérant l’esprit de sa tendance à s’attacher à ce qui est agréable et à rejeter ce qui est désagréable. Autrement dit, atteindre la Félicité n’est possible qu’à celui qui renonce à l’hédonisme.
Ce renoncement peut s’apparenter à un « sevrage » qui va inévitablement lever le voile sur ce que la recherche du plaisir et l’évitement de la souffrance cherchaient à étouffer, anesthésier. Une catharsis s’opère et elle est désagréable ! C’est une « traversée du désert » que les mystiques ont appelé la « nuit noire de l’âme ». Nuit noire, ou nuit obscure, car pour espérer un jour goûter à la Félicité qu’offre la Réalisation spirituelle, il faut accepter de passer par les ténèbres, nos ombres intérieures, que le sevrage va avoir pour effet de purifier.
Au cours de ce processus de sevrage, forte est la tentation de repartir dans les anciens schémas de fonctionnement, pour échapper à l’inconfort qu’il fait vivre. Il est alors facile de se laisser déporter et de dévier de la voie que l’on sait être juste pour soi-même. Il est facile de rechuter. C’est là que l’effort prend toute sa valeur. L’effort de se redresser, l’effort de garder l’équilibre, l’effort de garder le cap…
Arrive alors un jour où l’ensemble des efforts pour garder l’équilibre sur la Voie spirituelle sont récompensés, par un état de Grâce divine qui n’exige plus aucun effort pour être maintenu. La Félicité qui accompagne cette Grâce est l’état éternel de l’être réalisé. Plus aucun effort ne lui est nécessaire pour garder l’équilibre dans son Invariable Milieu, car plus aucune force intérieure n’est là pour venir le destabiliser. Son « sevrage » lui a permis de venir à bout de toutes les impulsions qui autrefois pouvait l’influencer et face auxquelles il lui fallait faire contre-poids, par l’effort justement. C’est l’état de Libération spirituelle dont parlent les Sages accomplis. Pour eux, la rechute n’est plus possible… Ils ont vaincus le monde, sans retour en arrière possible…!
Mais avant d’en arriver là, l’effort spirituel est indispensable, incontournable ; il a pour seul but de purifier la psyché de ces forces opposées qui empêchent la Réalisation du Soi et, par là même, l’accès à l’état de Grâce et de Félicité absolues.
Bien sûr, chemin faisant, de nombreuses « rechutes » restent possibles, mais cela n’a pas la moindre importance. Ce qui importe, par contre, c’est de faire l’effort de se redresser, encore et encore, dans le juste positionnement intérieur. Ainsi, le processus de catharsis peut se poursuivre, lentement mais sûrement, jusqu’à la Libération.
D’autres en parlent :
Pour en savoir plus sur ce sujet, je vous recommande ces quelques références :
- Enseignement d’Eric Tolone sur le néo-Advaita : https://youtu.be/2IQIKRGpaKE?t=7102
- Article : Le néo-Advaita démystifié
- Article : Pseudo-Advaita, fausse réalisation, faux gurus
- Ebook : L’importance de la pratique et de l’effort
- Livre : L’illumination, le Chemin dans la Jungle