La notion d’Éveil spirituel a été largement commentée par les différentes traditions mystiques et religieuses et nous n’allons donc pas réinventer la roue au travers de cet article. Au-delà des contextes différents au sein desquels les grands Initiés ont abordés cette question au travers de leur enseignement, le processus de libération intérieure qui mène à l’Éveil est fondamentalement le même. Nous allons tenter de mettre en lumière ce processus.
Qu’est-ce que l’Éveil ?
L’Éveil spirituel est un état de libération intérieure des contingences auxquelles est soumise la conscience individuelle au sein de l’incarnation. Cet état d’être est atteint lorsque cette conscience individuelle (à l’origine de la notion d' »ego ») n’est plus identifiée aux anciens conditionnements mentaux (les fameux samskâra et vâsanâ, de la tradition hindouiste) qui jusque-là la faisaient réagir de façon immédiate et continue à ce qui survenait dans son champ d’expérience.
Ces conditionnements sont le résultat de toutes les expériences passées vécues par l’individu et qui ont ancrées en lui un sentiment de « moi » limité et séparé du Tout auquel il est pourtant intrinsèquement inter-relié dès le départ. La forme de conscience qui découle de l’identification à tous ces conditionnements est ce que l’on appelle l’ego. C’est une forme de conscience purement séparative.
Cette illusion de séparation résulte donc de l’identification de la conscience individuelle à la personnalité que l’outil mental analytique va par nature isoler et séparer de tout ce qui lui est différent et étranger. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le mot analyse vient du grec « analusis », où la racine « lusis » signifie l’action de dé-lier, de dé-composer. L’outil mental en tant que tel n’est pas à blâmer ; c’est l’identification à la forme isolée par le mental qui est responsable de cette illusion de séparation. Il naît donc un sentiment de « moi » qu’il faudra défendre et protéger pour ne pas « mourir » physiquement et surtout psychologiquement. L’individu cherche alors à attirer à lui ce qui renforce son sentiment de « moi », et à rejeter ce qui le détériore. Ses actes deviennent « intéressés ».
Ces impulsions d’attraction et de répulsion animent cette conscience mentale et purement séparative qu’est l’ego, et tous les rôles identitaires qui en sont la conséquence. Identifié à cet ensemble de conditionnements limitants, l’individu est enchainé à ses réactions automatiques qui orientent (le plus souvent malgré lui) son pouvoir créateur dans le sens de ce qu’il ne veut pas, dans un cercle vicieux infernal d’action-réaction. Non-conscient que les schémas de fonctionnement auxquels il s’identifie sont précisément ceux qui l’ont amenés à être confronté aux circonstances de vie auxquelles il réagit, il reprend encore et toujours les mêmes chemins, creusant toujours plus profondément les sillons d’inconscience desquels il aura toujours plus de peine à s’extraire de par l’inertie qui leur est associée. Si elle ne décide pas à un moment ou à un autre de reprendre les rênes de son incarnation, l’Âme humaine risque de sombrer dans les abimes de sa nature inférieure, la rendant prisonnière de son karma qu’elle recréé ainsi continuellement, dans un cercle vicieux destructeur.
L’Âme humaine éveillée est celle qui a repris les rênes de son incarnation, tenant fermement en respect les impulsions d’attraction et de répulsion de sa nature inférieure. Dans cet état de conscience, elle est désidentifiée de tous les conditionnements qui auparavant la faisaient réagir comme un vulgaire robot préprogrammé. Elle devient LIBRE d’agir selon un nouveau modèle de fonctionnement et s’ouvre à sa nature supérieure. En se désidentifiant de ses anciens conditionnements, elle se libère de même petit à petit de son karma, car elle ne le recrée plus en réagissant aux circonstances de vie qui en sont le paiement (c’est-à-dire les conséquences). Cette recréation continue du karma est un enchaînement connu sous le nom de « samsâra » dans la tradition bouddhiste et hindouiste.
Cette libération intérieure est un abandon à ce qui EST (et aussi un abandon du karma personnel donc), c’est une acceptation inconditionnelle de ce qui survient dans l’ici et maintenant, c’est un lâcher-prise et un détachement de cette partie de soi-même qui par nature est programmée pour réagir compulsivement à tous les stimuli qu’elle perçoit. Comprenez que l’Éveillé porte un regard neuf sur les circonstances qui surviennent dans sa bulle de réalité. Ce regard n’est plus déformé par le filtre perceptuel des mémoires passées. Il retrouve la maîtrise de lui-même.
Une partie de la Quête spirituelle concerne ce retour à la maîtrise de soi-même qui rend l’Âme humaine libre. Le chemin vers l’Éveil est une dynamique évolutive intérieure présente en chaque Âme, et elle sera amenée tôt ou tard à en faire l’expérience (désormais plus tôt que tard au vu de l’Ère cosmique à l’aube de laquelle nous nous trouvons, favorisant grandement cette libération intérieure, pour peux que l’on s’en donne réellement les moyens (d’où la nécessité absolue de la… pratique).
Comment atteindre l’Éveil ?
La Voie vers l’Éveil est donc l’abandon du karma personnel par la désidentification des impulsions intérieures réagissant au paiement de ce karma lorsqu’il survient dans la réalité de l’instant présent, et l’élévation de la conscience de veille au-delà du filtre déformant de l’ego qui la maintient dans l’illusoire impression de séparation du tout. Il doit donc y avoir un changement de regard porté sur ce qui survient ici et maintenant. L’Âme qui souhaite atteindre l’Éveil doit orienter ses efforts en ce sens. S’il n’y a pas d’effort à faire pour observer avec détachement les impulsions intérieures qui incitent à réagir, il y a des efforts à faire pour s’en dissocier lorsque nous y sommes identifiés. En effet, cette désidentification ne se fait pas toute seule. L’effort doit être accompli de manière à sortir de l’inertie du réflexe réactif pour prendre le regard intérieur approprié. Cet effort est un basculement de la conscience pour ainsi dire. Il s’agit d’une force à déployer pour ne pas se laisser conditionner par cette forme de conscience séparative qui résiste pour ne pas « mourir ». En cela, c’est un renoncement à ce que nous ne sommes pas, une mort initiatique…
La libération spirituelle intervient au moment où la conscience de veille a pris suffisamment de hauteur pour ne plus être conditionnée par les schémas du passé. C’est cette désidentification qui permet à l’Âme humaine de s’ouvrir à l’Éveil. En d’autres termes, elle n’obtient pas l’Éveil par elle-même, mais celui-ci vient à elle lorsqu’elle se met dans le bon positionnement intérieur. Comprenez qu’il n’y a pas à chercher à se libérer pour s’éveiller, mais à se placer dans état de conscience approprié qui permettra à l’Éveil de venir à soi. Se défaire de ce que l’on ne veut pas est une dynamique de l’ego qui rejette et qui repousse. Le Divin en soi-même ne rejette rien, Il accueille sans conditions ce qui est. C’est en prenant la position du Divin en soi-même que l’on atteint l’Éveil, et non en luttant contre ce qui nous donne l’impression d’en être éloigné. Le Divin est déjà là, ici et maintenant, à attendre patiemment que la conscience de veille veuille bien cesser de faire le jeu de tout ce qui l’emprisonne. Dans les préceptes de la science initiatique, il est dit qu’il vaut toujours mieux privilégier une action additive à une action soustractive. Autrement dit, il vaut mieux déployer ses efforts pour ajouter ce qui est en défaut en soi-même plutôt que de se défaire de ce qui est en surplus. Dans la Voie vers l’Éveil, l’élément qui fait défaut et qui permettra de tout obtenir sans même l’avoir demandé, c’est la CONSCIENCE, ce en quoi Jésus ne nous contredirait point puisqu’Il affirmait : « cherchez premièrement à atteindre le Royaume de Dieux, et tout vous sera donné par surcroît ». Être CONSCIENT de ce qui survient dans le moment présent, c’est être désidentifié de tout ce que nous ne sommes pas pour redevenir de fait ce que nous sommes en Essence : l’Absolu.
La Sainte Écriture insiste partout sur le fait que l’homme doit se détacher de lui-même. C’est seulement dans la mesure où tu te détaches de toi-même que tu es maître de toi. C’est dans la mesure où tu es maître de toi que tu te réalises toi-même. Et c’est dans la mesure où tu te réalises que tu réalises Dieu et tout ce qu’Il crée à jamais.
Maître Eckhart
Dans cet état de désidentification, nous nous ouvrons à notre véritable nature, nous ôtons petit à petit de l’inertie à nos schémas réactifs et nous regagnons ainsi notre liberté d’être. La Maîtrise de soi-même, c’est la désidentification, c’est le lâcher-prise. Cet état de Maîtrise est très bien symbolisé par la 11ème lame du tarot de Marseille, dont le nom est « la Force ». Le chien (ou lion) y symbolise la nature inférieure de l’Âme humaine, c’est-à-dire la forme de conscience séparative de l’ego régie par les impulsions d’attraction et de répulsion et l’ensemble des conditionnements négatifs qui la manipulent à son insu. Pour survivre, la nature inférieure a absolument besoin que la conscience de veille s’identifie à tout ce qu’elle recèle.
La dame, quant à elle, symbolise la Conscience pure. Cette conscience est dite « supramentale », ce qui signifie qu’elle n’est pas limitée par le mental. Cela ne signifie pas qu’elle en soit séparée (ce qui la rendrait duelle au même titre que tout ce qui est perçu par le mental), mais qu’elle lui est antérieure. Dans sa nature principielle, elle n’est séparée de rien, car elle est TOUT ce qui est. Dans cet état de Conscience pure sans idéation ni forme, l’observateur et la chose observée ne font qu’UN. La dualité tombe. La Conscience à laquelle nous faisons référence ici est en fait l’aspect féminin de l’Absolu. C’est la Conscience matricielle qui donne naissance au monde du Créé. Elle est donc à la fois le Créé et l’Incréé. C’est l’aspect « créateur » du Divin, que l’on nomme l’Amour-Force, raison pour laquelle cette carte est également le symbole de l’Amour en tant que cette Force de création, de cohésion, d’harmonie, d’ordre et de protection qui en fait aussi le symbole de l’Archimagie. Quant à l’aspect masculin de l’Absolu, c’est le Principe de Volonté Divine. Il est la Conscience qui oriente l’aspect créateur du Divin qui est l’Amour-Force. Ainsi, le Principe Divin ne serait pas uniquement masculin comme le laisserait supposer le « Père » de la tradition chrétienne, mais bien bipolaire. Il serait dès lors plus juste de nommer ce Principe la Conscience Divine Père-Mère ; le Père étant la Volonté Divine, et la Mère l’Amour-Force. C’est l’activité conjointe de ces deux polarités complémentaires qui rendent possible l’existence. Ces deux polarités sont en unité parfaite.
Aborder ces notions cosmogoniques est une entreprise forcément très hasardeuse puisque la forme-pensée utilisée à cette fin est par nature duelle. La dualité ne peut pénétrer l’essence de l’unité, à moins d’abandonner sa nature pour se fondre en elle, ce qui ne peut se faire que par la désidentification de la forme-pensée. La Conscience pure n’étant pas « mentale », elle ne procède à aucune différenciation. Elle ne catégorise rien, elle ne compare rien, elle ne rejette rien (raison pour laquelle nous disions plus haut que le Divin ne rejette rien). Cette absence de dualité l’empêche de distinguer le bien du mal, la qualité du défaut, le positif du négatif. Cette distinction ne peut être produite que par l’outil mental qui dissocie les formes pour les percevoir en tant qu’éléments distincts. La Conscience pure ne perçoit pas le positif en tant que l’opposé du négatif, mais en tant qu’état vibratoire spécifique. Toute chose ne doit son existence qu’à la conscience que l’on a des contrastes avec lesquels on peut mentalement la comparer. Pour avoir conscience d’une forme, il est en effet nécessaire de pouvoir la mettre en perspective avec d’autres formes qui lui sont vibratoirement différentes. Et il faut que quelque chose puisse reconnaître cette différence. C’est précisément le rôle joué par le mental analytique.
Lorsque nous nous désidentifions de l’ensemble des schémas réactifs et des facettes de la personnalité qui nous maintiennent dans l’illusoire impression de séparation, nous nous identifions de fait à l’Absolu en nous-mêmes qui est la Conscience Divine. Nous nous élevons ainsi à un niveau de conscience depuis lequel nous nous faisons l’observateur de l’existence, sans peurs, sans tensions, sans agitations, dans le détachement et la vigilance.
La Maîtrise, c’est le détachement. Le détachement, c’est le lâcher-prise. Telle est la clé de la libération spirituelle !
Lâcher-prise, c’est observer et ressentir la partie de soi-même qui réagit mentalement et émotionnellement à ce qui se manifeste dans le champ d’expérience de la conscience de veille, depuis l’espace informel de la Conscience pure. C’est une observation équanime des impulsions qui poussent à réagir et à résister à ce qui survient. C’est une attention totale, une contemplation par le regard de l’Absolu qui accueille et accepte inconditionnellement la réalité telle qu’elle est, sans chercher à la modifier. C’est pour cette raison que l’on dit que l’Amour vrai est inconditionnel.
Il est utile de préciser que le lâcher-prise n’est pas une forme de résignation et de passivité mollassonne. Il ne s’agit pas non plus d’une acceptation selon des principaux moraux. Et il s’agit encore moins d’un contrôle ou d’une répression des schémas réactifs conditionnés. C’est un état où il n’y a plus d’identification à tous les rôles de l’ego, pas même à celui de « juge intérieur » qui voudrait tant pouvoir contrôler et cacher ce qui le dévalorise pour ne montrer que son beau visage au monde extérieur. Ce n’est pas non plus l’identité égotique subtile qui souhaite se montrer évoluée spirituellement en réagissant avec sagesse et pseudo-maîtrise. Comprenez que toutes ces facettes et toutes ces réactions (tant mentales, émotionnelles que physiques) sont des manifestations d’énergies qui naissent et qui meurent au sein même de cet espace de Conscience pure, qui lui seul peut véritablement vivre le lâcher-prise. Ainsi, les conditionnements ne sont plus reproduits et alimentés, et l’Âme humaine retrouve la Maîtrise et la capacité de créer de nouvelles réalités par l’orientation consciente de son pouvoir créateur.
La perfection sur le chemin de l’Éveil
Le lâcher-prise est un immense secret alchimique. Il est à lui seul l’une des voies menant à l’Éveil spirituel. Toutefois, ce n’est pas tant l’Éveil qui est important, car il n’est qu’une étape sur le cheminement évolutif de l’Âme humaine. Le point le plus essentiel est et restera toujours le chemin lui-même, car lui seul permet l’évolution de l’Âme vers ses sommets intérieurs. C’est donc sur le parcours du chemin que toute l’attention doit être portée, pas après pas, dans la dynamique intérieure appropriée. Il n’y a donc pas à attendre d’être Éveillé pour être « parfait », mais cheminer vers l’Éveil selon cette dynamique intérieure bien précise. L’injonction « soyez parfait comme le Père est parfait » est une invitation à détourner le regard du résultat qui est une projection future d’un état souhaité (en l’occurrence l’Éveil pour ce qui nous intéresse ici), pour se concentrer sur le moment présent qui est l’unique porte par laquelle il est possible d’accéder à la perfection Divine. La seule manière de toucher à l’essence du Divin étant l’Ici et maintenant, il est normal que la perfection qui lui est associée y soit également présente…