Donald Trump a la ferme intention d’apporter la paix mondiale et d’ « assécher le marais », c’est-à-dire : détruire l’État profond. C’est ce qu’il a promis et les premières attributions de ministères pourraient laisser penser qu’il en prend vraiment le chemin.
Admettons qu’il tienne ses promesses et qu’il continue à œuvrer concrètement dans cette direction durant son mandat. Admettons donc que le Deep state américain soit éradiqué grâce à Trump et qu’il contribue à établir la paix mondiale. Beaucoup de dissidents espèrent qu’ainsi nous pourrons vivre dans un monde meilleur.
Sans vouloir jouer les Cassandres, permettez-moi d’en douter, très sincèrement, pour la simple et bonne raison que Trump n’a aucunement pour intention de s’attaquer à ce qui constitue la racine des problèmes majeurs que rencontre notre monde : l’idéologie progressiste qui, bien qu’ayant été l’un des moteurs essentiels de l’évolution de nos sociétés depuis plus de trois siècles, est en train de mener la civilisation à son effondrement.
Et pour cause, puisque Trump a tout intérêt à « nourrir la bête [1] ». En homme d’affaires pragmatique, il sait que le fait de freiner les recherches scientifiques et les avancées technologiques – dans les domaines de l’IA et du transhumanisme tout particulièrement – affaiblirait considérablement la position stratégique des États-Unis face à d’autres puissances résolument déterminées à poursuivre leurs actions dans ces domaines.
Le principe de la surenchère
Prenons l’exemple de l’armement pour bien comprendre cet état de fait. Imaginons qu’un pays en vienne à réaliser que la paix est la seule voie possible pour un vivre ensemble harmonieux à l’échelle planétaire, et qu’en conséquence, il supprime l’intégralité de son budget lié à l’armement. Ce pays se rendrait forcément vulnérable face aux pays qui, de leurs côtés, n’auraient pas pris la même résolution et qui, en raison de leur avantage militaire, pourraient facilement attaquer et conquérir ce pays devenu pacifique.
En d’autres termes, même si Trump était touché par la grâce divine, il ne pourrait pas décider de stopper la course à l’armement et au développement technologique, de peur de se faire dominer par d’autres pays. De toute manière, son slogan « America First » vient confirmer que la destinée qu’il souhaite pour son pays, n’est pas celle-ci.
Pour qu’une telle stratégie non-violente et décroissante porte ses fruits, il faudrait qu’elle soit appliquée par l’ensemble des pays de la planète. Or, nous savons que ce n’est absolument pas le cas. La Chine, la Russie, Israël, l’Arabie saoudite et bien d’autres pays, poursuivent leur développement pour ne pas perdre du terrain sur le plan technologique et militaire.
C’est une surenchère permanente, inhérente au principe de sélection naturelle. Comme l’a très justement expliqué Daniel Madrasse :
« l’être humain est programmé pour assurer sa survie, et cette programmation se fait par le biais de ses émotions. Ainsi donc, tant que ses émotions demeurent, tant qu’il cherchera le plaisir et fuira le déplaisir, il aura toujours cette rationalité, au sens économique du terme, qui le poussera dans la direction la plus bénéfique à sa survie. Il répondra ainsi toujours aux contraintes qui s’exercent sur lui et, face à leur propre évolution, alimentera toujours le principe de la surenchère inhérent à l’évolution, qui ne sera donc jamais arrêtée [2]. »
Ainsi, même si Trump parvenait à « assécher le marais », il mettrait tout en œuvre pour que son pays conserve sa puissance militaire et économique, en investissant des milliards dans l’armement et le développement technologique, transhumanisme inclus. Le fait qu’il ait intégré Elon Musk à son gouvernement, tend à démontrer qu’il souhaite donner toutes les chances à son pays de tirer son épingle du jeu dans ces domaines.
Sur la base de ce principe de surenchère, on peut donc aisément comprendre que la fuite en avant progressiste semble inévitable. Quel pays voudrait instaurer un nouveau paradigme fondé sur la non-violence et la quête de sens à travers la spiritualité, en sachant que cela le rendrait vulnérable à toute ingérence et attaque venant de l’extérieur autant que de l’intérieur ?
Pour la sauvegarde de la planète, ce nouveau paradigme serait bénéfique, mais le gouvernement qui déciderait de l’adopter ne parviendrait pas à lever toutes les résistances dans sa propre population. En effet, au sein de celle-ci, il y aurait toujours des individus qui auraient peur que leur pays devienne une proie facile pour d’autres nations souhaitant étendre leur sphère d’influence. Des individus poussés par leur instinct de survie prendraient alors le pouvoir pour se prémunir de ce risque. En jouant sur la peur, dont l’objet serait un danger bien réel, ils n’auraient aucune peine à retourner l’opinion publique en leur faveur et l’on finirait donc par revenir rapidement à l’ancien paradigme.
L’idéal d’une gouvernance mondiale
Face à ce constat, certains politiciens nous rabâchent depuis des décennies que la seule solution est d’instaurer une gouvernance mondiale, au sein de laquelle chaque nation serait tenue de respecter un pacte de non-agression, avec une armée internationale dont l’unique mission serait d’empêcher toute possibilité de transgression de ce pacte par un pays ou un autre, ou par un groupe d’individus rebelles à ce « Nouvel Ordre mondial ».
Envisageons un instant que cela se fasse et que nous ayons réellement, à la tête de ce gouvernement mondial, des êtres spirituellement éclairés, œuvrant de concert pour l’éveil spirituel de l’humanité.
Comme l’a très justement fait remarquer l’auteur précédemment cité, il faut considérer que :
« la pulsion plaisir-souffrance est le moteur de l’activité humaine et la source de ses évolutions. Un pacte de stagnation ou de non-surenchère, puisqu’elle dicte à l’être humain de ne pas chercher à remédier à ses peurs ou à ses manques, de ne pas se préparer à la guerre quand bien même il la craint et de ne pas lutter contre l’autre pour l’acquisition d’un bien agréable, consiste en l’acceptation entière de la souffrance et au renoncement au plaisir, soit au rejet de la vie elle-même. En dehors de rares cas qui relèvent du nihilisme, l’immense majorité des êtres humains répond aux exigences de la boussole plaisir-déplaisir, conditionnée par des millions d’années d’évolution. La sélection naturelle n’est donc jamais arrêtée [3]. »
On peut donc comprendre de ceci que l’instauration d’une paix mondiale ne peut fonctionner que si la majorité des individus qui forment la population mondiale est capable de renoncer à l’ego et aux impulsions de désir et d’aversion qui en déterminent le fonctionnement. Autrement dit, la seule manière de ne pas subir la loi de la surenchère est que l’humanité soit collectivement éveillée sur le plan spirituel, ou alors, qu’elle demeure totalement soumise à l’autorité.
Dans un cas comme dans l’autre, des esprits rebelles ne pourraient s’empêcher de voir dans ce nouveau paradigme une autre forme de dictature, où le Nouvel Ordre mondial obligerait les êtres humains à se conformer à l’idéal de la société pour y assurer l’harmonie, l’ordre et l’équilibre. Ces rebelles dans l’âme ne verraient-ils pas, dans la répression de toute possibilité d’expression entrant en opposition avec le nouveau paradigme civilisationnel en vigueur, une terrible privation de liberté ? En conséquence, n’en viendraient-ils pas à s’allier et à conspirer pour renverser l’ordre établi ?
Pour se maintenir en place, le gouvernement mondial devrait donc identifier et tuer dans l’œuf toute forme d’insurrection qui pourrait potentiellement représenter une menace à son hégémonie. Pour cela, il devrait instaurer une surveillance totale, où chaque citoyen serait contrôlé, jusque dans son for intime. Avec les nouvelles technologies, il est déjà possible de sonder l’état d’esprit d’un individu. A l’avenir, il sera donc possible, pour un gouvernement mondial, d’assurer sa sécurité en contrôlant en temps réel l’état d’esprit des individus, et en neutralisant ceux dont la pensée ne serait pas conforme.
La dystopie du meilleur des mondes
C’est pourquoi, même dans le meilleur des monde, l’être humain ne serait jamais vraiment libre, et devrait réprimer tout un pan de sa personnalité pour correspondre au modèle de société dont l’idéal serait le vivre ensemble dans la paix, l’harmonie et l’ordre. Dans ces conditions, même si la paix était effectivement maintenue dans le monde, les aspects de l’individu qui seraient assimilés à une menace pour la paix sociale, devraient être réprimés, créant un conflit interne entre l’ombre et la lumière à l’intérieur de l’individu.
Ce conflit interne l’enfermerait dans un contrôle qui nuirait à sa santé et finirait inévitablement par le rendre malheureux, déprimé, même si les conditions de vie en société étaient agréables et paisibles. Le système pourrait alors trouver la parade, en anesthésiant l’individu, par des substances ou des divertissements. En l’empêchant de réfléchir et de se poser des questions existentielles, ce système serait assuré de pouvoir conserver la paix sociale. Mais quel serait alors l’intérêt de vivre dans un monde en paix, tout en étant pareillement brimé, muselé et privé de la liberté la plus fondamentale : celle de penser librement.
Certaines traditions ont parlé d’un « Âge d’or » de l’humanité, où les gens vivraient en paix tout en étant spirituellement éveillés. Le monde serait un lieu de partage, d’abondance, de prospérité et de fraternité. Les pulsions de vie de chaque individu seraient transmutées et sublimées pour servir le bien commun. L’altruisme aurait remplacé l’égoïsme, le « je » aurait été substitué par le « nous ». Chaque individu agirait de manière désintéressée, en faveur du collectif. Mais cet idéal est-il vraiment réalisable ? N’est-ce pas une utopie ?
Vers une spiritualité vivante et incarnée
Les lois de la nature étant ce qu’elles sont, les Sages de tout temps ont compris qu’il était vain d’attendre un monde meilleur dans l’espoir de pouvoir enfin vivre libre et heureux. Ils nous ont plutôt invités à « vaincre le monde », par la découverte, en nous-mêmes, d’un état de conscience édénique, primordial, qui est en lui-même paix et joie, quand bien même les conditions de vie vécues seraient très éloignées de l’image qu’on pourrait se faire de l’ « Âge d’or », du « Paradis terrestre » ou du « jardin d’Éden ».
Beaucoup de sages et d’éveillés ont démontré, par leur vécu, qu’ils ont pu être libres et heureux intérieurement, tout en vivant dans la précarité, l’absence d’abondance de biens matériels et même, pour certains, avec un état de santé dégradé. Beaucoup ont été la preuve vivante qu’il est possible de vivre de tels états de conscience, au cœur des pires environnements : dictatures, goulags, camps de concentration, etc.
Comme l’a dit le Christ : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu« , c’est-à-dire la paix et la joie en l’Esprit saint qui est en nous ; « Soyez à vous-même votre propre lumière, votre propre refuge« , a dit le Bouddha ; « S’il est réellement important pour vous de sauver le monde, sortez-en« , a enseigné Nisargadatta Maharaj ; d’après Râmana Maharshi, « La véritable nature du Soi, c’est la Paix » ; dans le même ordre d’idée, Rûmî a dit « Ô homme, tu es ce que tu recherches« .
Ces paroles nous invitent clairement à trouver la paix et le bonheur en modifiant notre état de conscience d’abord, plutôt que d’attendre un changement extérieur, dans le monde.
" Tant que notre paix dépend d'une réalité extérieure, ce n'est pas la Paix ; tant que notre compréhension de l'homme et du monde dépend d'une doctrine extérieure, ce n'est pas la Connaissance ; tant que notre amour des hommes et du monde dépend de leurs affections et de leurs attitudes à notre égard, ce n'est pas l'Amour. Tant que notre vie dépend des circonstances et des contingences matérielles qui nous constituent, ce n'est pas la Vie, c'est encore notre "homme extérieur" qui, chaque jour, s'en va en ruine, c'est encore cet univers qui obéit aux lois de l'entropie et qui, de jour en jour, se dégrade.
À l'intérieur de nous, il est une Réalité, une Vie, une Connaissance, un Amour, une Paix non dépendante : un Fils de l'Homme, une Réalité née de l'humain et qui n'est pas seulement humaine, seulement mortelle, un Fils de l'Homme qui est aussi un Fils de Dieu. Cette Réalité, nous la somme, et nous avons à la devenir [4]. "Jean-Yves Leloup
Être le changement que l’on veut voir
Et c’est là toute la beauté de l’opération : si l’être humain parvient à trouver ce qu’il cherche en son for intérieur, le monde pourra vraiment commencer à changer, car il n’aura plus besoin de nuire aux autres formes de vie pour vivre la paix et la joie inhérentes à sa nature profonde.
Pour le comprendre, prenons en exemple le mode de vie des éveillés authentiques. Je ne parle pas des pseudo gourous qui roulent en Rolls-Royce et qui abusent de la confiance de leur disciple pour leur soutirer de l’argent. Je parle de ceux qui vivent vraiment le Royaume de Dieu, le Nirvâna, le Tao, ou quel que soit le nom qu’on a pu utiliser pour nommer l’état de conscience de celles et ceux qui incarnent pleinement la dimension spirituelle de leur être. Ayant trouvé la paix et le bonheur en eux-mêmes, ils se sont rendus libres, non-dépendants, des circonstances extérieures. Contrairement à la majorité des êtres humains, ils n’ont pas besoin de chercher le plaisir dans la consommation, ni de se prémunir de la souffrance en faisant la guerre aux autres. Par la simplicité de leur mode de vie, ils ne polluent pas et ne perturbent pas les équilibres. Ils vivent selon un mode de vie non-transgressif, en phase avec le Dharma, l’Ordre naturel des choses.
Ces êtres, personne ne les a forcé à s’éveiller. Aucun système extérieur ne les a contraints à chercher la paix et la joie en leur cœur. En réalité, c’est la vie elle-même, le monde tel qu’il est, qui les a naturellement conduit à trouver cet état d’être, mais pas sous la contrainte comme pourrait le faire un système totalitaire avec ses sujets. Non, tous ces êtres ont compris, par leur propre vécu, qu’il est vain de chercher le bonheur et la paix au travers des circonstances de leur vie matérielle. Ils ont compris que les choses de ce monde étant par nature impermanentes, ils ne pourraient jamais avoir suffisamment de pouvoir et de contrôle sur lui pour maintenir des conditions de vie qui leur assurent une paix et un bonheur perpétuels.
La folie transhumaniste
Même les gens les plus riches de la planète sont face à cette implacable réalité : ils ne peuvent pas tout contrôler. Illusoirement, ils croient que le transhumanisme leur permettra de devenir immortels, tout en produisant des substances qui supprimeront toute forme de souffrance, pour les maintenir dans un état de jouissance constant. Quelle folie ! Peut-être devraient-ils penser au cas du drogué, qui finit toujours par s’habituer à sa dose et qui doit par conséquent l’augmenter pour continuer à éprouver du plaisir, parfois jusqu’à l’overdose.
Le transhumanisme est un miroir aux alouettes, qui repose sur les progrès technologiques. Or, la technologie ne peut s’affranchir des lois de la nature, et donc aussi de la loi de l’impermanence. L’homme, même « augmenté », sera toujours dépendant de la technologie et de sa faillibilité. Son immortalité physique est donc une chimère. Tout au plus pourra-t-il prolonger sa vie, mais en payant le prix de sa transgression des lois du vivant.
Comme le dit l’expression, le diable est le singe de Dieu, il mime Dieu. « Vous serez comme des dieux », immortels, a dit le diable à Adam et Ève pour les tenter, dans le récit de la Genèse. Le transhumanisme, dans sa volonté d’augmenter l’être humain pour le rendre immortel et tout-puissant, est par essence diabolique.
Transmuter science et technologie
Ainsi, en s’obstinant à croire que seuls les progrès scientifiques et technologiques lui permettront d’être en paix, libre et heureux, l’être humain ne fait que poursuivre sa folle fuite en avant. Certes, le progressisme technoscientifique a pu améliorer ses conditions de vie, mais il doit comprendre qu’à elles seules elles ne seront jamais capables de le combler. Seule la dimension spirituelle de son être le peut, et c’est donc vers elle qu’il doit se tourner, tout en cherchant en parallèle à vivre sa vie en respectant autant que possible son prochain et la nature.
La science et la technologie ne doivent pas être rejetées, mais réorientées et restaurées dans leur vocation première, celle d’aider l’être humain à acquérir des connaissances pour mieux comprendre sa propre nature ainsi que le monde qui l’entoure. Cette quête de connaissance découle d’un besoin fondamental de l’homme : vivre en harmonie avec lui-même et avec la nature qui l’entoure. Ainsi, et seulement ainsi, la science et la technologie pourront être mises au service de l’épanouissement de l’être humain, sur tous les plans qui le composent : physique, psychologique et spirituel.
[1] Selon certains auteurs, tels que le Dr. Jean Marchal, l’une des deux bêtes dont il est question dans le livre de l’Apocalypse, n’est autre que la technologie, l’autre étant la science (sans conscience…).
[2] Des bruits du monde au silence intérieur, Éditions Kiwi, 2021, pp. 73-74.
[3] Ibid, p.77.
[4] L’Évangile de Marie, Éditions Albin Michel, 2000, p. 88.
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