Depuis quelques années, de nouvelles formes de spiritualités mettent en valeur la « Femme sacrée » et le « Féminin sacré ». Si vous êtes présent-e sur les réseaux sociaux, cela ne vous aura sans doute pas échappé.

C’est un phénomène de société qu’il ne faudrait toutefois pas faire l’erreur de considérer comme un effet de mode passager ou comme un nouveau concept New Age manquant de profondeur.

Car en mettant en valeur le caractère sacré voire divin de la femme, il y a une volonté salutaire de rétablir l’équilibre dans un monde qui porte encore l’empreinte – pour ne pas dire les stigmates – d’un patriarcat religieux dogmatique, tyrannique et hyper-répressif envers la femme et plus profondément, envers la dimension féminine de l’existence.

Sacré et profane

Si l’on veut parler d’équilibre, il ne faut pas seulement considérer le « Féminin sacré » mais aussi le « Masculin sacré », celui qui ne réprime pas mais qui au contraire « embrasse », dans une dynamique d’intégration et de réunification. C’est pourquoi, pour cet article, je tiendrai compte de l’un comme de l’autre, à part égale.

Pour commencer, on peut faire remarquer que s’il y a un Masculin et un Féminin sacrés, c’est qu’il doit y avoir un masculin et un féminin profanes, l’adjectif « profane » étant par définition antinomique au sacré.

Cela veut donc dire que les deux pôles que sont le masculin et féminin peuvent perdre leur caractère sacré et devenir profanes, par une forme ou une autre de profanation ou de désacralisation.

Partant de là, ce qui nous intéresse est de déterminer ce qui est susceptible de faire perdre au masculin et au féminin leur caractère sacré, car si l’on connaît la cause, on peut aussi la traiter afin de rétablir l’équilibre.

En vérité c’est très simple : ce qui est de nature à désacraliser le masculin et le féminin est tout ce qui les empêche de vivre en unité, en harmonie, en paix et en équilibre.

Autrement dit, le masculin et le féminin sont sacrés lorsqu’ils sont en unité, en harmonie, en paix et en équilibre, alors qu’à l’inverse, ils sont profanés lorsqu’ils cessent de l’être et que cette cessation les fait basculer dans la division, la disharmonie, le conflit et le déséquilibre.

C’est tout le symbolisme de la « chute » vécue par Adam et Ève, qui ont perdu leur état d’équilibre édénique, primordial et sacré, après avoir goûté au fruit défendu de l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

Nous pouvons ainsi d’ores et déjà entrevoir la cause de la perte du sacré : la connaissance du bien et du mal. Mais avant de revenir sur ce point, considérons le masculin et le féminin dans leur rapport à l’homme et à la femme.

Homme et femme

Ce qui vient immédiatement à l’esprit lorsqu’on évoque le masculin et le féminin, c’est leur représentation archétypale et « sexuée » à travers l’homme et la femme.

Ceci est toutefois réducteur dans la mesure où le féminin et le masculin, en tant que pôles complémentaires, sont présents à la fois en l’homme et en la femme, ce qui veut dire qu’un homme est porteur des deux pôles, et la femme aussi.

Ainsi, sur la base de ce qui a été dit plus haut, autant l’homme que la femme peuvent incarner le sacré lorsqu’ils sont intérieurement en unité, en harmonie, en paix et en équilibre en termes de polarité.

De ceci, on peut conclure que le sacré n’est pas seulement déterminé par l’unité entre les êtres, mais aussi ET SURTOUT par le degré d’équilibre des pôles complémentaires (masculin ET féminin) à l’intérieur d’un même être.

C’est la raison pour laquelle, dans certaines traditions, l’être dont les deux pôles sont parfaitement en équilibre à l’intérieur de lui, est dit androgyne. Il s’agit même de l’état considéré comme le plus élevé sur l’échelle de l’évolution de la nature humaine.

Je précise toutefois bien qu’il s’agit d’un état d’équilibre holistique, qui englobe par conséquent toutes les dimensions ou plans dont l’être est constitué, et non pas la seule dimension physique, corporelle.

De ceci, on peut comprendre qu’une personne dont l’apparence est androgyne n’est pas plus évoluée ou accomplie qu’une personne homosexuelle ou hétérosexuelle, car l’apparence ne laisse en rien présumer du degré d’équilibre manifesté sur les autres plans (émotionnel, mental, spirituel, etc.) dont cette personne est constituée.

Les pôles et leurs déclinaisons

Le Masculin et le Féminin comportent de multiples déclinaisons en fonction des différents plans vibratoires de la « Création » sur lesquels ils se manifestent, cela autant du point de vue du macrocosme (l’univers) que du microcosme (l’être humain).

Sur le plan du macrocosme, le Masculin et le Féminin sont les deux grands Principes cosmiques ou pôles du Divin, lesquels forment une irréductible unité, comme le jour et la nuit. De ce fait, ils ne peuvent être séparés et perdre leur caractère sacré.

C’est un point fondamental à comprendre, car en effet, au plan macrocosmique, les principes ou pôles opposés ne sont absolument pas séparés. Même parler d’opposition est impropre car en réalité leur rapport est celui de la réciprocité, dans une continuité composée d’innombrables nuances ou degrés, de sorte qu’on ne passe jamais de l’un à l’autre comme on passerait du noir au blanc, d’un coup, sans transiter par un nombre indéfini de teintes (l’alternance entre le jour et la nuit en est un parfait exemple). De plus, ils sont complémentaires au sens où l’un des deux pôles ne peut être ce qu’il est sans l’autre, ce qui veut dire que sans le féminin, le masculin n’est rien, et inversement. C’est ce que symbolise le taijitu, le symbole dit du yin-yang. C’est aussi, peut-être, le sens que l’on peut attribuer à cette parole de saint Jean : « La lumière luit dans les ténèbres. »^[1]

Selon les traditions, nous retrouvons des principes qui évoquent cette polarisation du Divin et de l’univers, comme par exemple : Absolu/Infini, Saint Esprit/Vierge, Shiva/Shakti, Purusha/Prakriti, Yang/Yin, Soufre/Mercure, etc.

Sur le plan du microcosme, c’est l’esprit et l’âme, mais aussi les deux grands courants de l’énergie vitale qui déterminent la vie individuelle : l’attraction et la répulsion^[2].

Cela se complexifie davantage encore lorsque l’on considère que chaque « plan » est lui-même polarisé. En effet, on sait que la psyché est autant pensées qu’émotions, les premières étant masculines par rapport aux secondes, féminines, sachant aussi qu’il y a des émotions de nature masculine (la colère exprimée, p.ex.) et des émotions de nature féminine (la colère réprimée, p.ex.). On peut aussi considérer la part consciente de l’âme (masculin, lumière) et sa part inconsciente (féminin, ombre). L’esprit lui-même est polarisé entre volonté (masculin, actif) et attention pure (féminin, passif). Et bien sûr, le corps comporte également de multiples polarités (le côté gauche par rapport au côté droit, la partie antérieure par rapport à la partie postérieure).

Désacralisation

J’ai évoqué plus haut le symbolisme d’Adam et Ève. Avant la « chute », le Masculin et le Féminin qu’ils symbolisent l’un et l’autre vivaient en unité, en harmonie, en paix et en équilibre au sein du jardin d’Éden. Ils vivaient leur « union sacrée » !

Puis, ils ont goûté au fruit défendu de l’arbre de la « connaissance du bien et du mal » et ont perdu leur état d’équilibre édénique, sacré. À partir de ce moment-là, ils furent conscients de leur nudité et ils en eurent honte.

Cette allégorie est à l’image de ce qui se passe à l’intérieur de chaque être humain. À partir d’un certain âge, le petit enfant commence à perdre son état édénique primordial, c’est-à-dire l’état d’équilibre et d’union sacrée entre son masculin et son féminin. La « connaissance du bien et du mal » que le monde extérieur imprime dans sa psyché lui fait comprendre qu’il y a des aspects de lui-même qui sont dignes d’être aimés et d’autres non, en conséquence de quoi sa psyché se scinde en deux, avec d’un côté ce qui est « bien » et, de l’autre, ce qui est « mal ». À l’instar d’Adam et Ève, le petit enfant commence à se sentir coupable et à avoir honte de certains aspects de sa personnalité. C’est ainsi qu’apparait le voile de répression et de refoulement dans sa psyché, créant une séparation entre l’esprit et l’âme (et le corps). En termes religieux, nous pouvons y voir l’influence du diable au sein de la conscience individuelle. En effet, le diable, du grec diabolos, est littéralement « qui jette en travers », donc qui sépare, divise, désunit…

En d’autres termes, l’esprit identifié à la « connaissance (mentale) du bien et du mal » cesse d’accueillir et d’aimer inconditionnellement l’âme dans toutes ses manifestations. En conséquence, les parts de l’âme qui ne sont pas aimées deviennent « ombres » et il y a désormais une dissonance entre ce que l’être est et ce qu’il devrait être pour recevoir l’amour (la reconnaissance, l’attention, la valorisation, etc.) du monde extérieur. C’est ainsi que le diable est parvenu à s’interposer avec un voile de croyance au sujet de ce qui est « bien » et de ce qui est « mal », créant une dichotomie entre le masculin (l’esprit) et le féminin (l’âme, ou le corps), là où auparavant il n’y avait qu’union, c’est-à-dire « amour de ce qui est ».

Sous l’effet du principe de la division, diabolos, l’amour et l’unité entre le masculin et le féminin sont devenus conflit et séparation. L’union sacrée a été perdu. Le sacré a été profané…

Sacrum facere

Dans les mythes et les religions, il est souvent question d’un combat entre le diable et une figure héroïque incarnée par un saint, un prophète, un éveillé, un ange ou un archange, etc.

Ésotériquement, il ne s’agit pas d’une lutte entre le bien et le mal ou entre la lumière et les ténèbres, mais d’un combat spirituel entre l’être et ce qui, en lui, est susceptible de séparer ou de diviser, c’est-à-dire le diable, qui n’est pas autre chose que la « forteresse mentale » que l’être s’est forgée pour assurer la survie psychologique de son sentiment de soi, ce qu’on appelle communément l’ego.

Autrement dit, il ne s’agit pas d’un combat contre le mal, mais d’une dynamique de l’effort sur soi-même grâce à laquelle l’être peut s’extraire de l’identification à ce qui, en lui-même, génère la dualité « bien versus mal » et par conséquent la séparation entre les aspects lumineux de lui-même (assimilés au « bien ») et les aspects ombrageux de lui-même (assimilés au « mal »).

Il s’agit de la grande guerre sainte (djihad) au sens où l’entendent les soufis, une guerre intérieure qui vise à sortir de la dualité pour entrer dans l’unité.

Bien entendu, si l’être combat avec les mêmes armes que ce diable qui sépare et désunit, il a perdu d’avance car il va renforcer ce qu’il cherche à vaincre en lui-même. C’est pourquoi il doit s’extraire de l’opposition conflictuelle, en se servant de l’arme de l’esprit : l’épée^[3], symbole de l’attention pure, la claire lumière de la perception détachée, désidentifiée, qui observe au-delà de toute forme de jugement, et de toute forme d’impulsions d’attachement ou de rejet.

Pour l’être, ce processus de réunification débute par un renoncement, par lequel il se libère de l’identification à la structure mentale et aux impulsions contraires (attachement, rejet, désir, aversion) qui en détermine le fonctionnement. Ce renoncement équivaut à un dévoilement, car ce changement de regard, cette métanoïa, permet à l’ombre d’être illuminée.

Cette réunification intérieure est un sacrifice, car la souffrance qui avait toujours été occultée, réprimée, refoulée, est désormais vue et ressentie par la conscience, qui y fait face et l’accueille inconditionnellement. C’est ainsi que l’inconscient est rendu conscient, que le féminin est « embrassé » par le masculin.

C’est un sacrifice, en effet, puisque cette dynamique de l’effort sur soi-même permet de réaliser l’union sacrée entre les deux pôles, comme le confirme l’étymologie même du mot : sacrifice qui vient de sacrum facere en latin, « faire sacré ».

Ce féminin qui jusque-là n’était pas aimé parce qu’il était abusivement considéré comme le « mal en soi », est désormais illuminé par la claire lumière de l’attention pure, qui est aussi l’Amour divin, qui seul a le pouvoir de réunir ce que diabolos avait réussi à séparer.

En retour, le féminin, restauré dans son mouvement, libère l’énergie prodigieuse qu’il portait en lui et propulse le masculin dans ses états de conscience les plus élevés, dans une danse sacrée source d’une créativité et d’une félicité infinies.

En complément, voici un extrait d’un très beau texte qui a l’origine fut diffusé au format audio, sous le titre « Que l’amour soit ton bouclier » :

Toutes les formes de guerre ne sont que le reflet de cette mésentente entre le mâle et la femelle dans chaque être humain, mésentente entre le conscient et le subconscient, entre l’esprit et l’âme, entre les pensées et les sentiments.
Unis tes pensées et tes sentiments autour de la voie de l’Amour, afin de rétablir la paix à l’intérieur de toi-même. L’homme et la femme en toi seront réconciliés et ne feront plus qu’un. Alors tu verras s’accomplir le souhait de ton cœur.
Alors seulement, tu reconnaîtras l’être qui aura fait le même travail que toi pour permettre d’établir la paix en lui comme dans le monde. Alors seulement tu pourras devenir un avec lui. Quand deux âmes ne font qu’un, elles se comprennent d’un seul regard. Gestes et paroles deviennent inutiles pour elles.
Souviens-toi toujours de ceci : « Ce que tu établis à l’intérieur de toi-même se matérialise à l’extérieur ». Le monde des Causes est en toi. Installe en toi l’Amour. Marie ton Corps à ton Esprit.

Crédit : Le message des Maîtres – Que l’amour soit ton bouclier, d’après les traductions de M. Konstantinov et E. Szekely. Recueil de textes sacrés ; montage Elaine Kibaro (Mikaël Promotions).

[1] Jean 1:5.

[2] Ce sont les principes solve et coagula dont parlent les alchimistes, symbolisés parfois, respectivement, par le soleil et la lune sur les gravures hermétiques.

[3] Voir l’article Excalibur et son symbolisme.

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