Le Cours du Vivant

Cours n°40 - La réincarnation, entre mythe et réalité
La réincarnation, entre mythe et réalité
Théorie
Dans la préface du livre La Mémoire des Vies antérieures, Arnaud Desjardins a écrit : « Existe-t-il ou non une “âme” (jīva) qui “change de corps comme on remplace un vêtement usé par un neuf” [N.d.A. : allusion à la Bhagavad-Gītā, II, 20 [1]] ? Cette question ne trouve sa véritable réponse que dans une conscience qui transcende radicalement les catégories habituelles du mental et de l’ego. […] Disons, avec la vieille formule consacrée : Tout se passe comme si. Tout se passe comme si une certaine continuité existait d’incarnation humaine en incarnation humaine [2]. »
D’après les auteurs cités au précédent cours, la croyance en l’existence des vies antérieures d’un même individu ou d’une même âme n’est pas autre chose qu’une illusion d’optique induite par l’identification de l’être à des mémoires dont il a hérité – par la voie transgénérationnelle le plus souvent –, lui donnant faussement l’impression d’avoir vécu personnellement les situations et les états d’âme qu’elles renferment lorsque l’expérience lui est donnée de les revivre visuellement et sensoriellement (comme c’est le cas dans le cadre de séances de « régression » sous hypnose, par exemple).
Au sens où on l’entend communément aujourd’hui, et toujours selon ces mêmes auteurs, la réincarnation n’existe tout simplement pas. Les mémoires avec lesquelles l’âme individuelle (que l’être incarne) vient au monde ne sont pas celles qu’elle aurait vécues dans ses vies antérieures, mais celles vécues par d’autres âmes, incarnées par d’autres êtres en d’autres temps.
Croire que la réincarnation de l’âme est réelle peut s’avérer dommageable dans la mesure où cela entretient et renforce l’illusoire impression que « soi-même » (en tant qu’ego) est une entité individuelle immortelle qui reviendrait un grand nombre de fois dans un corps physique avant d’atteindre la Libération spirituelle.
Dans l’hindouisme et le bouddhisme notamment, il est bien dit que c’est précisément cette identification aux « enveloppes » impermanentes de l’être (ou aux « agrégats d’attachement » dans le bouddhisme) qui crée l’illusion de la séparation et qui empêche la Délivrance.
C’est sans doute pour cette raison que René Guénon disait de cette idée de la réincarnation qu’elle est « à notre époque, une de celles qui contribuent le plus au détraquement mental d’un grand nombre. » Ce métaphysicien réputé, messager de la Tradition primordiale, était même carrément catégorique à son sujet : « la réincarnation est une pure et simple absurdité », étayant ses propos par la démonstration de son impossibilité au travers de sa théorie des états multiples de l’être (que je vous exposerai plus bas, schéma à l’appui).
Quoi qu’il en soit, il faut bien être au clair sur le fait que croire à la théorie de la réincarnation, comme à celle de la transmigration par ailleurs, n’est absolument pas une condition requise pour progresser sur la voie spirituelle. En effet, sur ce chemin, l’important n’est pas ce qui a été ou ce qui sera, mais la nature de l’attention accordée à l’ici et maintenant, dans la recherche d’une posture noble et vertueuse en toutes circonstances.
La croyance en la réincarnation de l’âme
Pour comprendre en quoi la réincarnation est impossible, il convient préalablement d’en expliquer la théorie, telle qu’elle est aujourd’hui diffusée dans le New Age.
Selon cette théorie, c’est l’âme individuelle, soit l’ « enveloppe énergétique », la personnalité, le « véhicule de manifestation » ou encore l’ego de l’être véritable [3] (l’âme étant alors confondue avec ce dernier), qui se réincarnerait. Après la mort, c’est-à-dire après qu’elle ait quitté son corps charnel, l’âme passerait un temps plus ou moins long dans les dimensions subtiles (ce qui est vrai !) avant de revenir s’incarner dans un nouveau corps de chair (ce qui faux !), emportant avec elle dans cette nouvelle incarnation l’ensemble des mémoires de ses vies antérieures, donc aussi la dette karmique qu’il lui reste à « payer ».
Cette nouvelle vie de l’âme serait donc déterminée en grande partie par les actes accomplis dans ses vies antérieures. Par exemple, un handicap ou un don particulier, serait des conséquences des mauvaises ou des bonnes actions accomplies dans les vies antérieures de l’âme, qui subirait ou récolterait ainsi les fruits de son karma. Ainsi, toujours selon cette théorie, incarnation après incarnation, l’âme apprendrait les Lois de l’existence pour atteindre, en finalité, un stade d’évolution suffisamment élevé qui la dispenserait d’avoir à se réincarner à nouveau. Parvenue à ce stade d’évolution dans son expérience de la vie dans la matière, elle pourrait alors poursuivre son périple évolutif en « ascensionnant » (je reprends les expressions en vogue dans le New Age…) dans des dimensions plus subtiles à partir desquelles elle pourrait guider les âmes encore empêtrées dans les dimensions plus denses de la Création.
Cette théorie, résumée ainsi très brièvement, fait quasiment l’unanimité dans le New Age et bénéficie grâce à ce dernier d’un rayonnement très important dans les milieux néo-spiritualistes. De ce fait, la très grande majorité des personnes qui s’ouvrent à la « spiritualité » ou qui s’intéressent au domaine de l’ « énergétique », vont rapidement en entendre parler et y adhérer en raison de son état de cohérence apparent. Partant de là, elles ne pourront s’empêcher d’interpréter ce qui leur arrive à partir du « dogme » de la réincarnation, et attribueront la cause des circonstances vécues dans cette vie à leurs vies antérieures. Par exemple, untel sera intéressé par la spagirie parce qu’il a été un grand chaman dans une vie antérieure ; untel aura des difficultés relationnelles avec son enfant parce que ses problèmes viendront régler dans cette vie une relation karmiquement aliénante entretenue durant plusieurs vies antérieures avec l’âme de celui-ci.
Les exemples de ce type ne manquent pas et peuvent se décliner indéfiniment, dans des variantes plus ou moins extravagantes. Pour l’anecdote, j’ai personnellement connu pas moins de cinq personnes qui soutenaient mordicus avoir été la réincarnation de Jésus-Christ lui-même, ce qui est tout de même assez extraordinaire pour être relevé, d’autant plus qu’elles n’étaient pas atteintes de troubles psychotiques ! Jessica Schab, qui se définissait elle-même comme une mystique et un « leader spirituel », alla jusqu’à affirmer publiquement en toute décontraction qu’elle avait été un réfrigérateur dans les années soixante-dix [4] !…
Comme je l’ai dit plus haut, la théorie de la réincarnation renforce l’identification de l’être véritable à une « entité » considérée comme immortelle et à laquelle il va donc s’attacher davantage, perpétuant de ce fait l’illusion de l’ego et la souffrance qu’elle engendre.
À cela s’ajoutent toutes les croyances irrationnelles que cette théorie produit dans la psyché de celui qui y adhère, qui ont un pouvoir d’induction sur le subconscient et peuvent donc grandement influencer sa vie et son devenir.
On peut aussi déplorer l’influence grandissante de la croyance en la réincarnation dans le domaine des thérapies alternatives. De plus en plus de thérapeutes et de « médiums » affirment pouvoir guérir l’individu de ses maladies psychiques et physiques en libérant son âme des mémoires qui en sont la cause, issues de « ses » vies antérieures. Si la cause peut effectivement se situer au niveau de certains événements dont l’origine remonte à des vies antérieures et dont l’individu porte effectivement la « trace », il est imprudent de décréter que c’est lui qui en serait à l’origine, pour les raisons que je viens d’évoquer.
Les mémoires karmiques sont des éléments ou composantes psychiques dont l’être a « hérité » par transfert au moment de son incarnation ou plus tard, dans l’enfance ou même à l’âge adulte. Au moment de l’incarnation, l’être est toujours absolument pur [5], mais il va en quelque sorte se « charger » de ces éléments ou composantes psychiques qui ont appartenus à d’autres êtres, qu’ils aient quitté le plan physique (les ancêtres) ou qu’ils y soient encore incarnés (les parents). Ainsi, si l’individu vient au monde avec un handicap, par exemple, ce n’est nullement la conséquence karmique d’une faute qu’il aurait commise dans une de ses vies antérieures, ni d’une faute commise dans un autre état d’existence.
On peut donc déduire de ceci que l’être n’est pas responsable des conditions de son incarnation, ce que l’on peut considérer comme une injustice lorsque ces conditions sont particulièrement défavorables. Si cela est compréhensible du point de vue moral et sentimental, ce n’est absolument pas justifié du point de vue métaphysique, comme nous le verrons plus bas.
Le phénomène de la métempsychose
Le mot « métempsychose » signifie littéralement « déplacement de l’âme ». Dans le sens où je l’entends ici, il s’agit non pas de la réincarnation de l’âme en tant qu’entité individuelle qui reprendrait un corps après en avoir quitté un autre, mais concerne le transfert de éléments ou composantes dont l’âme fut formée [6], dans l’âme d’un autre être. Autrement dit, la métempsychose est le phénomène par lequel les éléments constitutifs de l’âme d’un être « passe » sur celle d’autres êtres.
Dans le bouddhisme, c’est précisément ce phénomène de métempsychose qui permet d’expliquer le cas des Tulkous, ces êtres d’exception qui sont considérés improprement comme les réincarnations de Lamas ou de Bodhisattva [7].
Je dis bien « improprement », car sur la base de ce qui est vient d’être expliqué, il ne s’agit effectivement pas du même être, mais d’éléments psychiques lui ayant appartenus, qui auront simplement « migrés » sur un autre être au moment de la naissance de son âme, expliquant au passage la possibilité pour cette « nouvelle âme » de reconnaître des objets ayant appartenus à son « prédécesseur », dont elle n’est donc pas la « réincarnation », mais bien le « successeur » de par la sensibilité et les dispositions qui leur sont communes.
Dans l’hindouisme, on dirait que cet être a simplement hérité de samskāra positifs issus d’êtres ayant développé des vertus et qualités spirituelles, rendant de ce fait ses conditions d’incarnation propices à la libération du samsāra et donc à l’Éveil spirituel [8].
De nos jours, la psychogénéalogie s’intéresse à ce phénomène de « migration » de composantes psychiques d’une âme vers une autre âme. Comme l’a dit René Guénon, si l’on veut s’obstiner à considérer que quelque chose se « réincarne », ce sont ces composantes psychiques, et non l’être ni l’âme qui lui sert de « véhicule ».
Du côté de la science, des études réalisées en épigénétique ont pu démontrer que des traumatismes vécus dans l’enfance pouvaient laisser des traces au niveau biologique. C’est ce qui ressort de l’étude du Dr Ariane Giacobino et de son équipe, effectuée au centre médical universitaire de Genève. En analysant le sang de personnes ayant vécu des traumatismes, ils ont fait des découvertes intéressantes, dont elle a pu témoigner dans un reportage de la télévision suisse [9] :
« On est allé chercher s’il y avait des cicatrices, sur l’ADN, des événements vécus par ces personnes qui pouvaient être des abus, de la maltraitance ou des circonstances de vie assez difficiles, plutôt dans l’enfance. Ce qui est incroyable, c’est qu’au niveau de l’ADN du sang des patients, on a trouvé que proportionnellement à ce qu’ils avaient subi, on trouvait des modifications chimiques de leur ADN, donc que cette cicatrice était mesurable. »
En plus du fait que le traumatisme vécu par un individu s’inscrit dans son génome, il a été observé qu’il subsiste à chaque division cellulaire, et que cette « trace » laissée dans l’ADN pouvait se transmettre sur au moins trois générations. Par exemple, les chercheurs ont pu constater que la mémoire du traumatisme vécu par une femme ayant subi un viol dans son enfance, s’est retrouvée dans l’ADN de sa fille, qui n’avait pourtant pas été violée, et que cette « cicatrice » était même plus marquée chez la fille que chez la mère. Ceci démontre que le phénomène de métempsychose est bien réel.
La mémoire liée à cette « trace » laissée dans l’ADN, héritée d’autres âmes, peut être revécue sensoriellement et même visuellement (images mentales) lors d’un travail thérapeutique adapté, ce qui permet de la libérer et d’empêcher ainsi qu’elle aille migrer sur une autre âme. Si le traumatisme remonte à plusieurs incarnations, la personne qui en revit la mémoire peut s’identifier à la personne dans le passé, et « croire » qu’il s’agit d’une de ses vies antérieures, mais il s’agit-là d’une illusion propre à l’être qui s’identifie à cette vie passée. Il s’agit donc bien d’une mémoire liée à une « vie antérieure », mais vécue par un autre être.
Là aussi, la croyance en la réincarnation n’est absolument pas utile au processus de guérison de l’âme. Ce qui importe est de pouvoir revivre la mémoire émotionnelle liée au traumatisme qui aura été transmis par voie héréditaire, en étant bien accompagné par le thérapeute afin qu’elle puisse être libérée sans entrave.
L’impossibilité de la réincarnation
Pour démontrer que la réincarnation est impossible, servons-nous du symbolisme des cercles concentriques et des rayons qui les traversent.
Les six cercles concentriques représentés sur ce schéma symbolisent autant de plans d’existence dont un être peut faire l’expérience dans la Création. Pour les besoins de cette démonstration, je n’ai représenté que six cercles concentriques, mais il faut considérer qu’en réalité, il existe un nombre indéfini de plans d’existence par lesquels un même être est susceptible de transmigrer.

Les cercles concentriques disposés à l’intérieur par rapport au cercle le plus extérieur symbolisent les plans d’existence supra-individuels. Le plan d’existence corporel tel que nous en faisons actuellement l’expérience en tant qu’êtres incarnés dans la dimension individuelle, y est représenté par le cercle concentrique le plus extérieur.
Considérons toutefois bien qu’en réalité, les plans d’existence ne sont pas disposés ainsi les uns par rapport aux autres comme sur ce schéma, pour la simple et bonne raison qu’ils ne partagent pas le même espace-temps (ce schéma n’est qu’une représentation symbolique…).
Chaque cercle concentrique représente un cycle de manifestation intégral, avec un début et une fin. Le cercle concentrique le plus extérieur représente donc le cycle de la manifestation corporelle, depuis la création de ce plan d’existence, jusqu’à sa destruction.
Les deux rayons que j’ai disposés sur le schéma, symbolisent l’essence spirituelle, l’esprit, de deux êtres (j’aurais très bien pu en disposer trois, quatre, ou bien davantage encore, leur nombre étant lui aussi indéfini), dont la Source se situe au même point central (point central symbolisant la Réalité suprême de ces deux êtres, qui est donc une sans second). Pour utiliser une image, ces deux esprits sont comme les deux rayons lumineux issus d’une même étoile, symbolisant le Soi impersonnel, unique (le pur Esprit).
Leur essence spirituelle, lumineuse, est susceptible de se projeter et de se réfléchir sur tous les plans d’existence, symbolisés par les cercles concentriques. Sur ce schéma, leur réflexion sur chaque plan d’existence, est symbolisée par les points situés au croisement des rayons et des cercles concentriques. Notons bien que cette réflexion de l’essence lumineuse d’un être sur un nombre indéfini de plans d’existence, ne se produit pas de manière simultanée ni même successive puisque, je le rappelle, les plans d’existence ne partagent pas le même espace-temps.
Imaginons maintenant qu’il y ait une multitude indéfinie de rayons partant dans toutes les directions et traversant tous les cercles concentriques. Si nous imaginons le cercle concentrique le plus extérieur en particulier, nous voyons que tous les points qui le constituent sont occupés par autant d’êtres qui y réfléchissent leur essence lumineuse. Chaque point symbolise donc l’incarnation d’un être sur le plan d’existence individuel, sous la forme d’une âme individuelle.
Tous ces points situés sur le cercle concentrique le plus extérieur symbolisent donc toutes les âmes individuelles qui feront l’expérience du cycle de la manifestation corporelle, depuis sa création jusqu’à son aboutissement. En d’autres termes, la multitude indéfinie de points situés sur ce cercle concentrique, symbolise la multitude indéfinie d’êtres faisant l’expérience du cycle de la manifestation corporelle, de son début jusqu’à sa fin. Mathématiquement, sur la base de ce constat, il ne peut y avoir deux points (donc deux incarnations) qui seraient occupés par le même être, ni même un point (donc une incarnation) qui serait occupé par plusieurs êtres à la fois.
Cette explication est suffisante pour démontrer qu’un même être ne peut se réincarner une ou plusieurs fois sur le même plan d’existence. En effet, lorsqu’un être meurt sur le plan de l’existence corporel, il ne peut revenir occuper un autre corps (représenté symboliquement par un autre point), dans la mesure où celui-ci est nécessairement déjà occupé par un autre être.
De plus, si l’être pouvait se réincarner dans un autre corps de chair après sa mort, cela voudrait dire qu’il passerait deux fois par le même état d’existence. Or, le passage d’un être par deux possibilités identiques parmi l’ensemble des plans d’existence par lesquels il lui est possible de transmigrer, est une impossibilité mathématique. Pour comprendre cela, il faut considérer que le nombre indéfini des plans d’existence est un symbole de l’Infini. Or, ce qui est infini ne peut pas comporter deux possibilités identiques. Comme l’a fait remarquer René Guénon : « il ne peut pas y avoir deux possibilités identiques dans l’Univers, ce qui reviendrait d’ailleurs à une limitation de la Possibilité totale [qui est la même chose que l’Infini, N.d.A.], limitation impossible [10]. […] Une limitation de la Possibilité universelle est, au sens propre du mot, une impossibilité ; nous verrons par ailleurs que ceci exclut la théorie réincarnationniste [11]. »
Origine de la théorie réincarnationniste
Dans L’Erreur spirite, René Guénon s’est penché sur la question de la réincarnation et ses explications pertinentes me semblent d’autant plus essentielles aujourd’hui que l’influence qu’exerce cette doctrine sur la mentalité moderne est beaucoup plus grande qu’elle ne le fut en 1923, année où l’auteur rédigea son ouvrage critique.
L’idée de réincarnation, nous dit René Guénon, « est extrêmement récente, malgré des assertions contraires maintes fois répétées, et qui ne reposent que sur des assimilations entièrement erronées ; c’est vers la fin du XVIIIe siècle que Lessing la formula pour la première fois, à notre connaissance du moins, et cette constatation reporte notre attention vers la Maçonnerie allemande, à laquelle cet auteur appartenait, sans compter qu’il fut vraisemblablement en rapport avec d’autres sociétés secrètes du genre ; […]
Non seulement elle a été adoptée par la plupart des écoles “néo-spiritualistes” qui ont été créées ultérieurement, et dont certaines, comme le théosophisme en particulier, sont arrivées à la faire pénétrer dans les milieux, jusqu’alors réfractaires, du spiritisme anglo-saxon ; mais encore on voit des gens qui l’acceptent sans être rattachés de près ou de loin à aucune de ces écoles, et qui ne se doutent pas qu’ils subissent en cela l’influence de certains courants mentaux dont ils ignorent à peu près tout, dont peut-être ils connaissent à peine l’existence. Pour le moment, nous nous bornerons à dire, en nous réservant de l’expliquer par la suite, que la réincarnation n’a absolument rien de commun avec des conceptions anciennes comme celles de la “métempsychose” et de la “transmigration”, auxquelles les “néo-spiritualistes” veulent l’identifier abusivement [12]. »
Sur l’injustice et les inégalités
L’auteur a également indiqué que cette théorie de la réincarnation fut véhiculée au XIXe siècle par certains socialistes français qui virent en elle un bon moyen d’expliquer la question de l’inégalité des conditions sociales :
« On peut dire de cette question la même chose que de beaucoup de questions philosophiques, qu’elle n’existe que parce qu’elle est mal posée ; et, si on la pose mal, c’est surtout, au fond, parce qu’on fait intervenir des considérations morales et sentimentales là où elles n’ont que faire : cette attitude est aussi inintelligente que le serait celle d’un homme qui se demanderait, par exemple, pourquoi telle espèce animale n’est pas l’égale de telle autre, ce qui est manifestement dépourvu de sens.
Qu’il y ait dans la nature des différences qui nous apparaissent comme des inégalités, tandis qu’il y en a d’autres qui ne prennent pas cet aspect, ce n’est là qu’un point de vue purement humain ; et, si on laisse de côté ce point de vue éminemment relatif, il n’y a plus à parler de justice ou d’injustice dans cet ordre de choses. En somme, se demander pourquoi un être n’est pas l’égal d’un autre, c’est se demander pourquoi il est différent de cet autre ; mais, s’il n’en était aucunement différent, il serait cet autre au lieu d’être lui-même. Dès lors qu’il y a une multiplicité d’êtres, il faut nécessairement qu’il y ait des différences entre eux ; deux choses identiques sont inconcevables, parce que, si elles sont vraiment identiques, ce ne sont pas deux choses, mais bien une seule et même chose ; Leibnitz a entièrement raison sur ce point.
Chaque être se distingue des autres, dès le principe, en ce qu’il porte en lui-même certaines possibilités qui sont essentiellement inhérentes à sa nature, et qui ne sont les possibilités d’aucun autre être ; la question à laquelle les réincarnationnistes prétendent apporter une réponse revient donc tout simplement à se demander pourquoi un être est lui-même et non pas un autre. Si l’on veut voir là une injustice, peu importe, mais, en tous cas, c’est une nécessité ; et d’ailleurs, au fond, ce serait plutôt le contraire d’une injustice : en effet, la notion de justice, dépouillée de son caractère sentimental et spécifiquement humain, se réduit à celle d’équilibre ou d’harmonie ; or, pour qu’il y ait harmonie totale dans l’Univers, il faut et il suffit que chaque être soit à la place qu’il doit occuper, comme élément de cet Univers, en conformité avec sa propre nature. Cela revient précisément à dire que les différences et les inégalités, que l’on se plaît à dénoncer comme des injustices réelles ou apparentes, concourent effectivement et nécessairement, au contraire, à cette harmonie totale ; et celle-ci ne peut pas ne pas être, car ce serait supposer que les choses ne sont pas ce qu’elles sont, puisqu’il y aurait absurdité à supposer qu’il peut arriver à un être quelque chose qui n’est point une conséquence de sa nature ; ainsi les partisans de la justice peuvent se trouver satisfaits par surcroît, sans être obligés d’aller à l’encontre de la vérité. […]
Trop de confusions et de notions fausses ont cours depuis un siècle pour que bien des gens, même en dehors des milieux “néo-spiritualistes”, ne s’en trouvent pas gravement influencés ; cette déformation est même arrivée à un tel point que les orientalistes officiels, par exemple, interprètent couramment dans un sens réincarnationniste des textes où il n’y a rien de tel, et qu’ils sont devenus complètement incapables de les comprendre autrement, ce qui revient à dire qu’ils n’y comprennent absolument rien. »
La métempsychose selon René Guénon
« Le terme de “réincarnation” doit être distingué de deux autres termes au moins, qui ont une signification totalement différente, et qui sont ceux de “métempsychose” et de “transmigration” ; il s’agit là de choses qui étaient fort bien connues des anciens, comme elles le sont encore des Orientaux, mais que les Occidentaux modernes, inventeurs de la réincarnation, ignorent absolument.
Il est bien entendu que, lorsqu’on parle de réincarnation, cela veut dire que l’être qui a déjà été incorporé reprend un nouveau corps, c’est-à-dire qu’il revient à l’état par lequel il est déjà passé ; d’autre part, on admet que cela concerne l’être réel et complet, et non pas simplement des éléments plus ou moins importants qui ont pu entrer dans sa constitution à un titre quelconque.
En dehors de ces deux conditions, il ne peut aucunement être question de réincarnation ; or la première la distingue essentiellement de la transmigration, telle qu’elle est envisagée dans les doctrines orientales, et la seconde ne la différencie pas moins profondément de la métempsychose, au sens où l’entendaient notamment les Orphiques et les Pythagoriciens.
Les spirites, tout en affirmant faussement l’Antiquité de la théorie réincarnationniste, disent bien qu’elle n’est pas identique à la métempsychose ; mais, suivant eux, elle s’en distingue seulement en ce que les existences successives sont toujours “progressives”, et en ce qu’on doit considérer exclusivement les êtres humains : “Il y a, dit Allan Kardec, entre la métempsychose des anciens et la doctrine moderne de la réincarnation, cette grande différence que les esprits rejettent de la manière la plus absolue la transmigration de l’homme dans les animaux, et réciproquement”.
Les anciens, en réalité, n’ont jamais envisagé une telle transmigration, pas plus que celle de l’homme dans d’autres hommes, comme on pourrait définir la réincarnation ; sans doute, il y a des expressions plus ou moins symboliques qui peuvent donner lieu à des malentendus, mais seulement quand on ne sait pas ce qu’elles veulent dire véritablement, et qui est ceci : il y a dans l’homme des éléments psychiques qui se dissocient après la mort, et qui peuvent alors passer dans d’autres êtres vivants, hommes ou animaux, sans que cela ait beaucoup plus d’importance, au fond, que le fait que, après la dissolution du corps de ce même homme, les éléments qui le composaient peuvent servir à former d’autres corps ; dans les deux cas, il s’agit des éléments mortels de l’homme, et non point de la partie impérissable qui est son être réel, et qui n’est nullement affectée par ces mutations posthumes. […]
Papus a raison de penser que la métempsychose ne concerne pas l’être réel de l’homme, mais il se trompe complètement sur sa nature ; et d’autre part, pour la réincarnation, quand il dit qu’ “elle a été enseignée comme un mystère ésotérique dans toutes les initiations de l’Antiquité”, il la confond purement et simplement avec la transmigration véritable.
La dissociation qui suit la mort ne porte pas seulement sur les éléments corporels, mais aussi sur certains éléments que l’on peut appeler psychiques ; cela, nous l’avons déjà dit en expliquant que de tels éléments peuvent intervenir parfois dans les phénomènes du spiritisme et contribuer à donner l’illusion d’une action réelle des morts ; d’une façon analogue, ils peuvent aussi, dans certains cas, donner l’illusion d’une réincarnation.
Ce qu’il importe de retenir, sous ce dernier rapport, c’est que ces éléments (qui peuvent, pendant la vie, avoir été proprement conscients ou seulement “subconscients”) comprennent notamment toutes les images mentales qui, résultant de l’expérience sensible, ont fait partie de ce qu’on appelle mémoire et imagination : ces facultés, ou plutôt ces ensembles, sont périssables, c’est-à-dire sujets à se dissoudre, parce que, étant d’ordre sensible, ils sont littéralement des dépendances de l’état corporel ; d’ailleurs, en dehors de la condition temporelle, qui est une de celles qui définissent cet état, la mémoire n’aurait évidemment aucune raison de subsister.
Cela est bien loin, assurément, des théories de la psychologie classique sur le “moi” et son unité ; ces théories n’ont que le défaut d’être à peu près aussi dénuées de fondement, dans leur genre, que les conceptions des “néo-spiritualistes”.
Une autre remarque qui n’est pas moins importante, c’est qu’il peut y avoir transmission d’éléments psychiques d’un être à un autre sans que cela suppose la mort du premier : en effet, il y a une hérédité psychique aussi bien qu’une hérédité physiologique, cela est assez peu contesté, et c’est même un fait d’observation vulgaire ; mais ce dont beaucoup ne se rendent probablement pas compte, c’est que cela suppose au moins que les parents fournissent un germe psychique, au même titre qu’un germe corporel ; et ce germe peut impliquer potentiellement un ensemble fort complexe d’éléments appartenant au domaine de la “subconscience”, en outre des tendances ou prédispositions [13] proprement dites qui, en se développant, apparaîtront d’une façon plus manifeste ; ces éléments “subconscients”, au contraire, pourront ne devenir apparents que dans des cas plutôt exceptionnels.
C’est la double hérédité psychique et corporelle qu’exprime cette formule chinoise : “Tu revivras dans tes milliers de descendants”, qu’il serait bien difficile, à coup sûr, d’interpréter dans un sens réincarnationniste, quoique les occultistes et même les orientalistes aient réussi bien d’autres tours de force comparables à celui-là. Les doctrines extrême-orientales envisagent même de préférence le côté psychique de l’hérédité, et elles y voient un véritable prolongement de l’individualité humaine ; c’est pourquoi, sous le nom de “postérité” (qui est d’ailleurs susceptible aussi d’un sens supérieur et purement spirituel), elles l’associent à la “longévité”, que les Occidentaux appellent immortalité.
Comme nous le verrons par la suite, certains faits que les réincarnationnistes croient pouvoir invoquer à l’appui de leur hypothèse s’expliquent parfaitement par l’un ou l’autre des deux cas que nous venons d’envisager, c’est-à-dire, d’une part, par la transmission héréditaire de certains éléments psychiques, et, d’autre part, par l’assimilation à une individualité humaine d’autres éléments psychiques provenant de la désintégration d’individualités humaines antérieures, qui n’ont pas pour cela le moindre rapport spirituel avec celle-là.
Il y a, en tout ceci, correspondance et analogie entre l’ordre psychique et l’ordre corporel ; et cela se comprend, puisque l’un et l’autre, nous le répétons, se réfèrent exclusivement à ce qu’on peut appeler les éléments mortels de l’être humain.
Il faut encore ajouter que, dans l’ordre psychique, il peut arriver, plus ou moins exceptionnellement, qu’un ensemble assez considérable d’éléments se conserve sans se dissocier et soit transféré tel quel à une nouvelle individualité ; les faits de ce genre sont, naturellement, ceux qui présentent le caractère le plus frappant aux yeux des partisans de la réincarnation, et pourtant ces cas ne sont pas moins illusoires que tous les autres. »
La transmigration selon René Guénon
« Après avoir dit en quoi consiste vraiment la métempsychose, nous avons maintenant à dire ce qu’est la transmigration proprement dite : cette fois, il s’agit bien de l’être réel, mais il ne s’agit point pour lui d’un retour au même état d’existence, retour qui, s’il pouvait avoir lieu, serait peut-être une “migration” si l’on veut, mais non une “transmigration”.
Ce dont il s’agit, c’est, au contraire, le passage de l’être à d’autres états d’existence, qui sont définis, comme nous l’avons dit, par des conditions entièrement différentes de celles auxquelles est soumise l’individualité humaine (avec cette seule restriction que, tant qu’il s’agit d’états individuels, l’être est toujours revêtu d’une forme, mais qui ne saurait donner lieu à aucune représentation spatiale ou autre, plus ou moins modelée sur celle de la forme corporelle) ; qui dit transmigration dit essentiellement changement d’état. C’est là ce qu’enseignent toutes les doctrines traditionnelles de l’Orient, et nous avons de multiples raisons de penser que cet enseignement était aussi celui des “mystères” de l’Antiquité ; même dans des doctrines hétérodoxes comme le Bouddhisme, il n’est nullement question d’autre chose, en dépit de l’interprétation réincarnationniste qui a cours aujourd’hui parmi les Européens. C’est précisément la vraie doctrine de la transmigration, entendue suivant le sens que lui donne la métacorporel pure, qui permet de réfuter d’une façon absolue et définitive l’idée de réincarnation ; et il n’y a même que sur ce terrain qu’une telle réfutation soit possible.
Nous sommes donc amenés ainsi à montrer que la réincarnation est une impossibilité pure et simple ; il faut entendre par là qu’un même être ne peut pas avoir deux existences dans le monde corporel, ce monde étant considéré dans toute son extension : peu importe que ce soit sur la terre ou sur d’autres astres quelconques ; peu importe aussi que ce soit en tant qu’être humain ou, suivant les fausses conceptions de la métempsychose, sous toute autre forme, animale, végétale ou même minérale [14]. »
Quelques citations à méditer
« Il est tout à fait contraire au Bouddhisme, aussi bien qu’au Vedānta, de penser à “nous-mêmes” comme à des êtres errant au hasard dans le tourbillon fatal du flot du monde (samsāra). Notre Soi immortel est tout, sauf une “individualité qui survit”. Ce n’est pas cet homme, un tel ou un tel qui réintègre sa demeure et disparaît à la vue, mais le Soi prodigue qui se souvient de lui-même. »
« Dans toute la tradition que nous considérons ici, il n’y a aucune doctrine de la survie ou “réincarnation” des personnalités, mais seulement de la Personne, le seul transmigrateur. » Ananda K. Coomaraswamy
« C’est vraiment une chose incroyable que la plupart des occidentaux semblent incapables de comprendre la différence essentielle qui existe entre “transmigration” et “réincarnation” ! » René Guénon
« La réincarnation n’existe que dans les limites de votre ignorance. Il n’y a pas de réincarnation, il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais. Voilà la vérité. » Rāmana Maharshi
« Quoi que vous fassiez, consciemment ou inconsciemment, votre mental en est marqué ; que vous vous en rendiez compte ou non, c’est ce qu’on appelle samsāra. Celui qui a des yeux pour voir pourra discerner que ces impressions ou samsāra proviennent des naissances antérieures. » Mā Ananda Moyī
Pratique
En guise de résumé, la réincarnation n’est pas, comme on le croit le plus souvent aujourd’hui, le fait pour une âme de reprendre un nouveau corps de chair après avoir quitté le précédent. Traditionnellement, l’appellation qui correspond le mieux à la notion de « réincarnation » est la « métempsychose », mais dans ce cas ce qui réincarne n’est pas l’âme dans son ensemble, mais uniquement les éléments psychiques qui la composaient et qui vont, au moment de sa mort ou même de son vivant, se « déplacer » sur d’autres âmes (naissantes ou déjà formées).
Ainsi, l’âme, en tant que véhicule de l’être, est formée d’éléments psychiques (tout comme le corps est formé d’éléments physiques) ; elle n’est pas une entité individuelle immuable qui passerait d’une vie à une autre en emportant à chaque fois avec elle ces éléments psychiques qui la composent. Ces derniers contribueront à former d’autres âmes (incarnées par d’autres êtres) et ils continueront à migrer sur d’autres âmes (incarnées par d’autres êtres) tant et aussi longtemps qu’ils n’auront pu être transmutés, pacifiés, sublimés.

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Chapitres supplémentaires :
- Samsāra et vāsanā
- Exercice : développer l’empathie pure
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[1] Voir le cours 39, chapitre « Symbolisme plutôt que littéralisme ».
[2] Denise Desjardins, La Mémoire des vies antérieures, Éditions de la Table Ronde, 1980, p. 9.
[3] Pour rappel, l’être véritable est l’esprit, le soi personnel ātman, identique au Soi impersonnel (l’Esprit, Brahman).
[4] La séquence est disponible sur Youtube, en anglais sous-titré : https://youtu.be/F0aOktpxBXU
[5] L’esprit, qui est l’essence du Soi ou pur Esprit, ne peut pas, en tant que tel, être altéré ou « souillé » par les circonstances de l’existence. Intrinsèquement, il demeure pur, immaculé. Comme cela a déjà été expliqué ailleurs, c’est la raison pour laquelle la Libération spirituelle est possible à l’être qui la recherche.
[6] Pour rappel, l’âme en tant que telle n’est pas une entité souveraine et immortelle, mais un agrégat formé par ces éléments ou composantes psychiques.
[7] Source : https://cutt.ly/HwBp4zOs
[8] C’est ainsi par exemple que Rāmana Maharshi expliquait les raisons de sa Libération spirituelle, survenue alors qu’il était âgé de seulement 16 ans et qu’il n’avait jusque-là pratiqué aucune ascèse ou méthode spirituelle.
[9] Source : https://cutt.ly/zwBp4Pbo
[10] « L’Infini est proprement ce qui n’a pas de limites, car fini est évidemment synonyme de limité ; on ne peut donc sans abus appliquer ce mot à autre chose qu’à ce qui n’a absolument aucune limite, c’est-à-dire au Tout universel qui inclut en soi toutes les possibilités, et qui, par suite, ne saurait être en aucune façon limité par quoi que ce soit. […] De plus, il ne peut évidemment y avoir qu’un Infini, car deux infinis supposés distincts se limiteraient l’un l’autre, donc s’excluraient forcément. », disait également Guénon. Source : Les Principes du Calcul infinitésimal, 1946.
[11] Le symbolisme de la croix, Revue La Gnose, 1911.
[12] L’Erreur spirite, Éditions Traditionnelles, 1991, pp. 42-43.
[13] Ces tendances et prédispositions dont l’âme hérite ne sont pas autre chose que les samskāra et vāsanā dont il a souvent été question dans les autres cours.
[14] L’Erreur spirite, Éditions Traditionnelles, 1991, pp. 197-212.
- Dernière mise à jour : 26 janvier 2025
- 16:45
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