Le Cours du Vivant

Monographie n°10 - Ascétisme et sexualité

Ascétisme et sexualité

Théorie

La relation au corps a fait l’objet de beaucoup d’attention de la part des philosophes et des sages de toutes les traditions. Elle occupe également une place importante dans la plupart des systèmes religieux.

En Inde, les plaisirs naturels du corps sont considérés comme quelque chose de sacré. Le corps lui-même est vu, à juste titre, comme un « moyen » permettant d’atteindre l’éveil de l’âme ou tout au moins la santé et l’harmonie dans la relation de couple, comme en témoignent, par exemple, les voies telles que le tantrisme et le Kāmasutra.

Dans la tradition judéo-chrétienne, le corps n’a pas toujours été aussi bien perçu et c’est le moins que l’on puisse dire, en particulier celui de la femme, considéré comme une source de tentations diaboliques[1].

Dans certains courants les plus extrêmes, les adeptes doivent encore aujourd’hui observer des rites visant à la « sanctification » par la mortification du corps, pour prétendument juguler les pulsions et ainsi mieux résister aux « tentations de la chair ».

Sans aller jusqu’à de tels sévices corporels, d’autres pratiquants font vœu d’abstinence et de chasteté, croyant que le fait de renoncer aux plaisirs du corps est de nature à favoriser l’amour de Dieu et l’obtention du salut.

Un cadre moral pour le corps

Si la sexualité est sans nul doute la dimension de l’être qui a été la plus violemment pervertie, les institutions religieuses ont également édicté de nombreux codes pour déterminer ce qui est moralement acceptable ou pas concernant l’accoutrement[2], l’hygiène corporelle[3] et la nourriture, générant à ce niveau également beaucoup de répressions, de tabous et de comportements déviants utilisés comme exutoire[4].

Si je peux bien admettre qu’à certaines époques il dut être nécessaire d’édicter des règles pour éviter que les instincts les plus bestiaux de la nature humaine ne sèment le chaos dans les sociétés, je dois toutefois dénoncer les déviances qu’ont pu produire ces règles morales, souvent opposées au bon sens le plus élémentaire.

Il est d’ailleurs très étonnant de constater que certains systèmes philosophiques et religieux pourtant fondés sur l’enseignement d’authentiques maîtres de sagesse, prophètes ou philosophes qui n’ont pourtant jamais imposé de telles recommandations de leur vivant, aient pu prendre de telles libertés en établissant des codes de conduite aussi éloignés des Lois universelles telles que Dieu les a conçues.

La négation du corps et des élans de vie qui s’y manifestent, notamment ceux liés à la sexualité, est tout le symbole de la répression et du sentiment de culpabilité liés la nudité d’Adam et Ève après qu’ils ont eu accès à la « connaissance du bien et du mal », la fausse gnose, source d’une inversion des valeurs aux conséquences destructrices pour le corps, mais aussi pour l’âme qui l’habite.

En effet, en vertu du lien étroit qui unit l’âme et le corps, la répression de certaines modalités d’expression de ce dernier − la sexualité en tout premier lieu, celle-ci étant le vecteur des énergies les plus puissantes[5] de l’incarnation − ne peut que nuire à la santé ainsi qu’au développement des différentes dimensions de l’âme et, par conséquent, entraver son éveil.

Sur le plan de l’individualité humaine, comme pour toute autre forme de vie d’ailleurs, rien n’est jamais séparé de rien. L’esprit, l’âme et le corps forment une unité, un tout dont les différentes dimensions s’interpénètrent.

Dès lors, si l’être identifié à des croyances erronées en vient à réprimer ou refouler un aspect de lui-même qu’il juge « mauvais », venant ainsi contrarier les aspirations de son âme, il ne peut que rompre l’unité et créer un conflit en lui-même, avec pour conséquence la mise en place de mécanismes de protection et de défenses psychologiques.

Paradoxalement, alors que l’individu procède ainsi en croyant bien faire et pour se donner toutes les chances d’atteindre le salut, c’est tout l’inverse qui en résulte ; en allant à rebours de l’Ordre naturel des choses, cet être s’oppose à la Volonté divine et nuit gravement à son âme, lui interdisant toute possibilité d’épanouissement et donc d’éveil.

Comme je l’ai expliqué dans la Monographie no4, ce refus, qui se manifeste par des réflexes conditionnés névrotiques, quelles qu’en soient les raisons, est diabolique au sens étymologique du terme.

Le problème de l’ascétisme

Un domaine, dans lequel le réflexe de refus névrotique a engendré une grave négation du corps et des élans de vie qui le traversent, est celui de l’ascétisme religieux.

Cette pratique consiste le plus souvent en l’astreinte à une discipline fondée sur le renoncement strict aux plaisirs naturels de la chair, notamment ceux liés à la sexualité et à la nourriture, selon la croyance qu’une ascèse stricte est une condition indispensable pour « plaire à Dieu ».

Dans certains contextes religieux et courants spirituels, la matière en général et le corps en particulier sont considérés comme quelque chose d’impur. En conséquence, les plaisirs qui y sont associés sont assimilés à autant de tentations diaboliques à combattre absolument pour éviter de finir… brûlé vif en enfer.

Il s’agit là bien évidemment d’une forme dégénérée et pervertie des dogmes religieux. Encore une fois, les grands enseignants spirituels de l’humanité, toutes traditions confondues, n’ont jamais appelé à de telles restrictions et condamnations au sujet du corps et de la dimension matérielle. Tout au plus ont-ils établi des règles de modération et de tempérance, qui s’inscrivent dans la recherche d’un « juste milieu », afin d’éviter le piège des extrêmes.

Il semblerait que la voie ascétique soit le fruit d’une incompréhension du fonctionnement de la nature humaine. Si le recours à la stimulation sexuelle ainsi que l’ingestion compulsive d’aliments sont d’origine névrotique, c’est-à-dire utilisées à des fins de compensations et d’inhibition d’un mal-être, d’une angoisse ou de toute forme de souffrance morale, ils relèvent de la « tentation » et il est justifié de s’efforcer d’y renoncer pour éviter de renforcer l’emprise de la structure névrotique et de perdre en conséquence en maîtrise de soi.

Les religieux n’ont pas compris que le problème ne vient pas des besoins naturels, dont la sexualité et la nourriture font partie, mais du réflexe névrotique lui-même, qui en déclenche le désir[6] pour échapper au mal-être.

C’est ainsi qu’en luttant contre ces choses somme toute naturelles, ils ne font qu’approfondir le conflit en eux-mêmes, conflit qui engendra inévitablement d’autres névroses à d’autres niveaux encore, dans un cercle vicieux infernal.

Lorsqu’une impulsion se manifeste par une appétence pour ce qui relève de la sexualité ou de l’alimentation, elle doit être accueillie, ressentie et transmutée s’il s’agit d’un désir, alors qu’elle doit être honorée et si possible satisfaite s’il s’agit d’un besoin. En aucun cas elle ne devrait être refoulée ou combattue au motif qu’elle serait malsaine.

Encore aujourd’hui, dans les formes les plus extrêmes de l’ascétisme, pour endiguer les pulsions jugées « démoniaques », des individus vont jusqu’à se punir en s’infligeant de violents châtiments corporels, croyant qu’ainsi leurs pulsions finiront par disparaître et qu’ils seront en conséquence « lavés » de leurs péchés. C’est évidemment une grande illusion qui ne fait que diviser et fragiliser leur âme déjà meurtrie davantage.

La Création n’est pas un « mal »

Rien de ce qui a été créé par Dieu n’est mauvais en soi. Tout est bon, comme en témoigne ce passage de la Genèse :

« Dieu vit tout ce qu’il avait fait et voici, cela était très bon. » Genèse 1:31

Tout ce qui appartient à la dimension matérielle de la Création, donc le corps, la sexualité et la nourriture inclus, ne peut par conséquent être mauvais en soi. C’est l’homme et lui seul qui, par inversion de l’Ordre naturel des choses, en est arrivé à considérer la matière comme quelque chose d’impur et comme un obstacle à la Libération spirituelle. Cette croyance[7] a été pour lui la cause de sa déportation dans les extrêmes.

Ainsi, la sexualité et la nourriture sont de bonnes choses, voulues par Dieu et créées par lui. Il n’y a donc pas à vouloir s’en couper. Encore une fois, tout l’enjeu est de faire la différence entre un besoin naturel de l’âme qui doit être honoré et autant que possible satisfait, et une impulsion névrotique prenant racine dans la structure mentale et se manifestant sous la forme d’un désir compensatoire.

Lorsque le bon sens et le discernement spirituel permettent de déterminer qu’il s’agit d’une impulsion qui relève du désir et non du besoin, il est alors nécessaire de faire l’effort d’y renoncer. En conséquence de cet effort de volonté, la souffrance de l’âme se révèle et peut être accueillie avec équanimité, afin d’être transmutée. En conséquence de cette transmutation, elle se libère et retrouve son mouvement. L’ombre devient lumière, l’énergie est libérée…

Si un tel effort de renoncement n’est certainement pas agréable, il est assurément utile dans la mesure où il permet, en plus de la transmutation des ombres intérieures, la libération graduelle des réflexes conditionnés qui avaient été mis en place pour les maintenir occultées. C’est ainsi qu’à mesure que la souffrance de l’âme parvient à être transmutée, couche par couche, l’emprise de la structure mentale diminue et l’être est de plus en plus libre d’être lui-même, bien dans sa peau et bien dans sa tête.

Telle est la véritable ascèse à laquelle doit se consacrer l’être qui veut progresser sur la voie spirituelle, progression qui ne peut être que la conséquence de l’opération alchimique de transmutation interne.

Ne pas confondre ascétisme et ascèse

Si l’ascétisme représente le plus souvent une forme de déviance et de perversion sur la voie spirituelle, il ne faut donc pas le confondre avec l’ascèse qui s’avère être de toute évidence une dynamique intérieure dont il n’est pas possible de faire l’économie. Voici à ce sujet les explications éclairantes apportées par René Guénon :

« Le terme d’ “ascèse”, tel que nous l’entendons ici, est celui qui, dans les langues occidentales, correspond le plus exactement au sanscrit tapas ; il est vrai que celui-ci contient une idée qui n’est pas directement exprimée par l’autre, mais cette idée n’en rentre pas moins strictement dans la notion qu’on peut se faire de l’ascèse. Le sens premier de tapas est en effet celui de “chaleur” ; dans le cas dont il s’agit, cette chaleur est évidemment celle d’un feu intérieur[8] qui doit brûler ce que les kabbalistes appelleraient les “écorces”, c’est-à-dire en somme détruire tout ce qui, dans l’être, fait obstacle à une réalisation spirituelle ; c’est donc bien là quelque chose qui caractérise, de la façon la plus générale, toute méthode préparatoire à cette réalisation, méthode qui, à ce point de vue peut être considérée comme constituant une “purification” préalable à l’obtention de tout état spirituel effectif.

Si tapas prend souvent le sens d’effort pénible ou douloureux, ce n’est pas qu’il soit attribué une valeur ou une importance spéciale à la souffrance comme telle, ni que celle-ci soit regardée ici comme quelque chose de plus qu’un “accident” ; mais c’est que, par la nature même des choses, le détachement des contingences est forcément toujours pénible pour l’individu, dont l’existence même appartient aussi à l’ordre contingent. Il n’y a là rien qui soit assimilable à une “expiation” ou à une “pénitence”, idées qui jouent au contraire un grand rôle dans l’ascétisme entendu au sens vulgaire, et qui ont sans doute leur raison d’être dans un certain aspect du point de vue religieux, mais qui ne sauraient manifestement trouver place dans le domaine initiatique, ni d’ailleurs dans les traditions qui ne sont pas revêtues, d’une forme religieuse.

Au fond, on pourrait dire que toute ascèse véritable est essentiellement un “sacrifice”, et nous avons eu l’occasion de voir ailleurs que, dans toutes les traditions, le sacrifice, sous quelque forme qu’il se présente, constitue proprement l’acte rituel par excellence, celui dans lequel se résument en quelque sorte tous les autres. Ce qui est ainsi sacrifié graduellement dans l’ascèse, ce sont toutes les contingences dont l’être doit parvenir à se dégager comme autant de liens ou d’obstacles qui l’empêchent de s’élever à un état supérieur ; mais, s’il peut et doit sacrifier ces contingences, c’est en tant qu’elles dépendent de lui et qu’elles font d’une certaine façon partie de lui-même à un titre quelconque. Comme d’ailleurs l’individualité elle-même n’est aussi qu’une contingence, l’ascèse, dans sa signification la plus complète et la plus profonde, n’est en définitive pas autre chose que le sacrifice du “moi” accompli pour réaliser la conscience du “Soi”. »[9]

La nécessité d’éviter les extrêmes

Le Bouddha historique, Siddhârta Gautama, a expérimenté la voie de l’ascétisme extrême. S’étant rendu compte de ses illusions et de l’impasse dans laquelle il s’était engagé, il a fini par en revenir. Réalisant que cette voie était autant inutile que nuisible, il renonça à cet extrême en acceptant à nouveau de vivre les choses agréables qui se manifestèrent à lui, tant à l’intérieur de lui-même qu’à l’extérieur, en refusant cependant simplement de s’y attacher.

L’histoire raconte que le Bouddha avait un disciple nommé Sona qui était sur le point de quitter la vie monastique pour retourner à sa « vie d’avant ». Ce disciple était démoralisé car il pensait que sa pratique de la méditation ne le menait à rien, en dépit de toute l’énergie et de la concentration qu’il y investissait. Sachant qu’il jouait d’un instrument à cordes appelé vīna dans la langue commune de l’époque, le Bouddha lui dit ceci :

« Qu’en penses-tu, Sona, lorsque les cordes du vīna sont trop tendues, est-ce qu’à ce moment-là le vīna est bien accordé et prêt à être joué ? Lorsque les cordes du vīna sont trop détendues, est-ce qu’à ce moment-là le vīna est bien accordé et prêt à être joué ? Lorsque les cordes du vīna ne sont ni trop tendues ni trop détendues, qu’elles sont ajustées à une tonalité équilibrée, est-ce qu’à ce moment-là le vīna est bien accordé et prêt à être joué ? De la même manière, Sona, une énergie trop active mène à l’agitation, et une énergie trop détendue mène à la torpeur. [10] »

Cet enseignement du Bouddha, sous la forme d’une parabole, fait allusion à la voie médiane, celle du juste milieu, grâce à laquelle l’être est aligné sur l’Ordre naturel des choses, en phase avec le Dharma.

Si, à un extrême, nous trouvons l’absence totale d’effort et un mode de vie où l’être est sous l’emprise constante de ses conditionnements, esclave de ses pulsions, à l’autre extrême, nous avons l’ascétisme pour lequel les efforts accomplis génèrent énormément de répressions et de tensions, qui deviennent autant d’entraves à l’éveil des énergies de l’âme.

S’imposer une telle pression ne peut qu’aller à l’encontre du but recherché, si l’on part du principe que l’ascétisme est une voie pratiquée par des êtres qui cherchent précisément à se libérer de la souffrance et à atteindre l’Illumination spirituelle.

Le philosophe allemand Nietzsche livra une critique radicale de l’ascétisme et de ceux qui le recommandent, dénonçant une pratique construite sur de vulgaires croyances philosophiques et théologiques sans fondement, s’opposant au principe même de la vie et ruinant la santé de celui ou celle qui s’y consacre, ce en quoi il n’avait pas tort.

Au sujet de la chasteté, qui est une forme d’ascétisme, il écrivit dans Ainsi parlait Zarathoustra[11] : « Si la chasteté pèse à quelqu’un, il faut l’en détourner, pour qu’elle ne devienne pas le chemin de l’enfer − c’est-à-dire la fange et la fournaise de l’âme. »[12]

Dans la tradition chrétienne, saint Paul tenait des propos similaires au sujet de l’abstinence sexuelle : « S’ils manquent de continence, qu’ils se marient ; car il vaut mieux se marier que de brûler [de désir, NdA]. »[13]

Le cas particulier du prânisme

Il existe des êtres qui ont pu, à un moment donné de leur existence, vivre sans boire ni manger, se nourrissant exclusivement de « souffle vital », cette énergie extrêmement subtile présente dans l’atmosphère, appelée prāna dans la tradition hindoue.

Cette énergie véhicule en potentiel tout ce dont l’âme et le corps ont besoin pour être en équilibre et en harmonie, à condition bien sûr de pouvoir en assimiler correctement l’essence et métaboliser, à partir d’elle, les nutriments nécessaires au bon fonctionnement de la physiologie du corps.

Cette capacité extrêmement rare, appelée « inédie », est le fruit d’une condition particulière, souvent obtenue par « grâce divine » ou en tant que conséquence d’un cheminement spirituel ayant permis de rendre l’incarnation particulièrement réceptive à cette quintessence subtile qui constitue la véritable trame énergétique de l’univers manifesté.

En Occident, nous pouvons citer le cas de certains saints, comme Nicolas de Flüe par exemple. En Inde, un sâdhu nommé Prahlad Jani se serait passé de nourriture solide et liquide durant la majeure partie de sa vie. Aux journalistes qui lui demandèrent pourquoi il avait renoncé à manger et à boire, il aurait simplement répondu : « Je n’ai pas renoncé à l’eau et à la nourriture, je n’en ressens plus le besoin ».

Bien entendu, des voix se sont élevées pour crier à la supercherie, ce qui est à peu près toujours le cas lorsque le mental n’est pas capable d’obtenir des réponses dans le cadre limité de sa grille de lecture scientifique conventionnelle.

De nos jours, cette possibilité de vivre sans manger ni boire suscite beaucoup d’intérêt dans le milieu new age. Il existe des ouvrages spécialisés proposant des protocoles pour apprendre à vivre exclusivement de prāna, en quelques jours seulement et sans nécessité d’être accompagné et encadré. Je déconseille fortement de telles pratiques, qui relèvent selon moi de l’ascétisme téméraire, déviant et malsain. Encore une fois, ce genre d’élan doit venir naturellement, sans l’avoir recherché, en tant que conséquence de l’éveil de l’âme.

Entre parenthèses, cette mise en garde au sujet de l’abstention de nourriture ne concerne pas le jeûne qui, lorsqu’il est effectué sur une courte durée et selon les règles de l’art bien sûr, constitue une technique parmi les plus efficaces de nettoyage du corps, comme nous aurons l’occasion de le voir dans la Monographie no18, qui lui est entièrement consacrée.

Le rapport à la sexualité

Comme cela a déjà été dit, les religions font peser beaucoup d’interdits sur le corps et la sexualité, cela depuis de très nombreux siècles. En conséquence, l’inconscient collectif est chargé de mémoires douloureuses, ainsi que de fausses croyances qui influencent grandement le rapport au corps, pour la femme surtout, et à la sexualité, pour les deux genres.

Un enfant venant au monde dans un environnement où les adultes ne vivent pas un rapport harmonieux avec leur propre sexualité, risque de recevoir une éducation répressive et moralisante. Si l’on ajoute à cela les humiliations et les moqueries, les abus, ainsi que les mémoires d’expériences douloureuses dont il a hérité avant même la naissance, il est compréhensible que l’enfant en vienne rapidement à nouer un lien conflictuel avec son sexe et avec les sensations qu’il ressent à cet endroit, voire à nier carrément son corps dans le pire des cas, c’est-à-dire à refouler les besoins naturels qui s’y manifestent.

Dans l’encyclopédie en deux volumes intitulée Amour, beauté, conseils, Marylène Vincent écrit : « Il est évident que l’acte sexuel assure le maintien de la vie humaine. Mais le sexe n’est pas seulement, au terme de l’évolution, un organe conçu pour prolonger la race humaine ; il a été voulu par la Nature comme un ensemble d’organes permettant à la femme et à l’homme de jouir, seuls ou ensemble.

Tout le monde peut admettre qu’il n’y a aucune notion morale attachée au fait de respirer[14]. Chacun aujourd’hui doit demeurer intimement convaincu que dans un état physiologique normal, à partir de la puberté, il est naturel qu’un garçon capable de produire des spermatozoïdes ressente le besoin d’éjaculer.

Il est normal aussi et même indispensable que l’adolescente bien composée, capable de produire un ovule, ressente le besoin de recevoir un pénis dans son vagin, l’organe qui par son érection, son introduction et son frottement, au cours de la plate-forme orgasmique, déterminera normalement une réaction de plaisir dont le cycle de réponses est aujourd’hui totalement clarifié.[15] »

Si un·e adolescant·e pouvait évoluer dans un environnement dans lequel de tels élans vitaux sont accueillis et considérés comme quelque chose de juste, d’utile et de naturel, il·elle aurait toutes les chances de vivre un rapport sain et épanouissant avec sa sexualité, lui assurant joie de vivre, vitalité et santé. Au lieu de cela, encore aujourd’hui, de tels élans sont enveloppés d’un voile d’interdit et de culpabilité. Dans ces conditions, le rapport à la sexualité devient forcément névrotique, conflictuel, aboutissant dans certains cas à des déviations sexuelles.

Si, aujourd’hui, très peu d’adultes peuvent se targuer de vivre une sexualité totalement épanouie et libérée (et je ne parle pas de la pornographie et du libertinage, bien entendu…), c’est à cause de l’influence de la structure mentale mise en place pour éviter de vivre le sentiment de honte et la culpabilité en lien avec la nudité, le sexe et le plaisir qu’il procure.

Il est navrant de constater que malgré l’ouverture des consciences et la perte de crédibilité des codes moraux des religions monothéistes dépassées, l’inconscient collectif reste à ce point « tenaillé » par autant de croyances issues d’un autre temps, qui influencent les êtres à leur insu à partir des zones les plus ténébreuses de la psyché.

Comme pour « exorciser ces démons » et pour échapper à ce « carcan castrateur » de la morale inversée, les masses basculent dans un autre extrême, en banalisant l’acte sexuel et en l’amputant de sa dimension sacrée. Briser les codes et les tabous, c’est bien, mais si c’est pour faire n’importe quoi et créer d’autres dérives sous couvert de la libération et de l’émancipation sexuelle, cela ne vaut pas beaucoup mieux.

Si autrefois les jeunes avaient pour contre-exemple des adultes coincés et pudiques à l’excès, la nouvelle génération est exposée à une sexualité débridée et sans âme, dans une industrie du sexe où le corps de la femme n’est certes plus considéré comme une chose inspirant dégoût et méfiance, mais où il apparaît comme un vulgaire objet de jouissance pour l’homme bestial dépourvu de sensibilité et d’empathie.

Il est évident qu’une sexualité inspirée par ce nouveau modèle ne peut être que disharmonieuse et chaotique pour l’être qui l’aborde avec une telle mentalité. Et on imagine sans peine l’impact qu’elle peut avoir sur l’ensemble de la société.

À ce niveau plus qu’à n’importe quel autre, un retour à l’Ordre naturel des choses est plus que jamais souhaité si l’humanité veut avoir une chance d’établir les fondations d’un monde de paix, de respect, d’unité, d’amour et de fraternité.

Peu d’êtres humains ont véritablement conscience de la nature exacte de l’énergie déployée lors d’un acte sexuel et encore moins de la puissance avec laquelle cette énergie peut être créatrice ou destructrice pour les partenaires qui l’émettent pendant leur rapport, suivant leur état de conscience, induit par l’orientation de leur attention et, bien entendu, par la qualité du respect et de l’amour qu’ils se vouent.

Sans entrer dans les détails pour ne pas sortir du cadre de cette Monographie, sachez qu’il est possible de canaliser l’énergie sexuelle en transformant des pulsions sexuelles en processus créatifs inspirés, sans risquer de les réprimer et de nuire à l’âme. C’est la théorie freudienne de la sublimation : l’énergie sexuelle étant puissamment créatrice, celui qui est capable de la maîtriser peut l’utiliser pour vivre l’épanouissement de l’âme dans ses aspirations essentielles.

Quelques citations à méditer

« Dans toute morale ascétique, l’homme adore une part de soi-même sous les espèces de Dieu, et il a besoin pour cela de changer en diable la part qui reste… » Friedrich Nietzsche

« Si quelque chose est sacré, le corps humain est sacré. » Walt Whitman

« Lorsqu’une femme ne vit pas suffisamment avec son corps, le corps finit par lui apparaître comme un ennemi. » Milan Kundera

« Sans l’âme, le corps n’aurait pas de sentiment ; et sans le corps, l’âme n’aurait pas de sensations. » Antoine de Rivarol

« La sexualité, c’est en fin de compte l’existence de formes qui cherchent l’une dans l’autre l’élément qui leur fait défaut. » Dick Hillenius

« La sexualité de la future femme, du futur homme, à ses balbutiements, est la pierre d’assise de la personnalité humaine. » Claude Jasmin

 

Pratique

Pour vivre en harmonie avec soi-même, il faut être en équilibre sur tous les plans, ce qui implique l’unité entre l’esprit, l’âme et le corps.

Cette unité, gage d’harmonie et de bonheur pour celui qui la vit, est somme toute extrêmement simple à établir en soi-même puisqu’il suffit de ressentir les sensations qui surviennent dans le corps avec amour, inconditionnellement. Cela vaut pour toutes les sensations, qu’il s’agisse de vibrations très subtiles en rapport avec certains états de conscience[16], et plus denses telles que des picotements, des tensions, des douleurs, des émotions agréables ou désagréables, ou encore celles qui sont en rapport avec la sexualité.

Dans un tel rapport à soi-même, il n’est pas possible de nier son corps, car le seul fait de ressentir avec amour et bienveillance tout ce qui se manifeste au niveau du corps est un message envoyé à l’âme par l’esprit, lui signifiant qu’il fait bon être « incarné » dans ce corps.

Cette dynamique intérieure permet de vaincre l’identification à la structure mentale qui, pour rappel, est incapable d’unir. Elle est par nature un voile qui divise et sépare dans le but d’anesthésier, d’occulter et de compenser ce qui est mentalement refusé et rejeté par l’être illusionné, qui a oublié que son essence même est l’amour inconditionnel de ce qui est.

Ce regard bienveillant posé sur le vivant est la seule manière pour l’être de rétablir en lui-même les conditions de l’harmonie, même si cela doit passer temporairement par une phase qui n’est pas des plus agréables, puisqu’en renonçant aux mécanismes de défense habituellement activés pour échapper aux ombres de l’âme (honte, culpabilité, peur, tristesse, etc.), il lui faudra faire face et les éprouver.

S’il n’y a plus de refus et de déportation hors du vivant, alors les états d’âme se révèlent pleinement et peuvent ainsi être ressentis et transmutés.

Pour être bien dans sa peau et donc dans son corps, il y a lieu de se libérer du voile mental de refus névrotique et cela se fait donc tout naturellement par l’accueil inconditionnellement bienveillant de tout ce qui s’y manifeste.

Exercice : marche en conscience

En parallèle à la pratique de la méditation en position statique, il est recommandé d’être présent au corps lorsqu’il est en mouvement également. Pour cela, vous pouvez par exemple vous déplacer en ressentant les sensations que vos gestes vous procurent, ressentir le champ d’énergie du corps dans son intégralité, ou concentrer toute votre attention sur la zone du bas-ventre, le hara.

Lorsque vous pratiquez l’une de ces trois variantes de la présence méditative au corps, vous envoyez à ce dernier le message que vous acceptez d’être incarné, et vous résolvez ainsi le conflit entre le corps et certaines composantes de l’âme qui refuseraient l’incarnation par peur d’en souffrir.

Comme nous l’avons vu, cette résolution ne se fait pas forcément sans générer quelques remous. Il arrive en effet que des états d’âme sortent de l’ombre (c’est-à-dire de votre subconscient, symboliquement parlant…) pour solliciter l’accueil équanime de votre attention bienveillante. Le cas échéant, considérez qu’il s’agit là d’une opportunité de vous alléger encore plus en observant avec détachement votre état d’âme et en ressentant de la même manière les sensations qui le reflètent dans le corps.

Pour vous entraîner à ressentir le corps en mouvement, je vous propose une guidance audio à écouter lorsque vous marchez. Vous pouvez la pratiquer au cours de vos déplacements à pied, en ville ou dans la nature.

Pour démultiplier les bienfaits de cet exercice de marche en conscience, je vous recommande vivement de le pratiquer pieds nus, au contact d’un sol naturel de préférence. En plus de vous offrir une séance de réflexologie plantaire gratuite (grâce à la stimulation des zones réflexes situées sous vos deux pieds), cela vous offre une mise à la terre bénéfique pour rétablir l’homéostasie électromagnétique du corps et réduire certains états inflammatoires grâce aux ions négatifs présents en grande quantité à la surface de la Terre.

Bien entendu, si vous avez la peau des pieds sensibles, choisissez un sol suffisamment « doux » pour éviter de vous faire mal et de vous crisper en réaction à la douleur. Et si vous pratiquez la marche pieds nus dans la nature, prenez garde également aux tiques…

Exercice audio

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[1] Le théologien Tertullien alla jusqu’à déclarer que la femme était « la porte du diable », accusée d’être responsable de la perdition du genre humain. Jusqu’à une certaine époque pas si reculée, les femmes étaient persuadées que dans leurs organes génitaux se trouvait le lieu des enfers… Quelles folies !

[2] Par exemple, le voile intégral, considéré comme un devoir moral par certains musulmans.

[3] Je veux parler notamment de la circoncision, qui est absolument contre nature. Comme l’a dit saint Paul : « La circoncision est celle du cœur, dans l’Esprit, et non dans la lettre. » (Romains 2:29)

[4] La pornographie en est sans nul doute l’exemple le plus révélateur.

[5] En lien avec le premier chakra, situé à la base de la colonne vertébrale. Le blocage des énergies sexuelles, par leur répression morale, compte parmi les facteurs de déséquilibres physiques et psychiques les plus importants.

[6] Notez bien la différence entre « désir » et « besoin ». Ici, le « désir » est de nature névrotique, alors qu’un besoin est toujours naturel, vital et essentiel, en cela qu’il participe à l’épanouissement de l’âme. S’il est salutaire de renoncer à la tentation de satisfaire un désir, il est en revanche malsain et destructeur de renoncer à satisfaire un besoin. On comprend dès lors toute l’importance de savoir distinguer les deux.

[7] Cette croyance, selon laquelle la dimension matérielle de la Création serait impure et mauvaise, créée par un démiurge lui-même mauvais, est considérée comme la « fausse gnose ». Elle est à l’origine du gnosticisme, tel qu’on le rencontrait chez les cathares et, de manière beaucoup moins recommandable, parmi certaines sectes satanistes qui sont allées jusqu’à voir en Satan le « rédempteur » venu libéré l’être humain de ce démiurge mauvais. Voir à ce sujet la Monographie no38, chapitre Gnose chrétienne et gnosticisme.

[8] Dans son étude, René Guénon précise que ce feu intérieur est en rapport avec le « Soufre » des hermétistes, considéré comme un principe de nature ignée que l’on peut mettre en rapport avec la lumière spirituelle, celle de l’Esprit. Ce feu intérieur correspond en effet au « feu d’en haut », l’un des trois feux internes actifs dans le Grand Œuvre alchimique (voir Monographie no22, chapitre Les trois feux internes).

[9] Initiation et Réalisation spirituelle, Éditions traditionnelles, 1967.

[10] L’histoire de Soṇa Koḷivisa, Anguttara Nikāya, 6.55.

[11] Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, 1903, vol. 9, pp.75-77.

[12] Je suis tout à fait d’accord avec cette vision de l’enfer. La fange et la fournaise traduisent symboliquement l’idée de la structure mentale, diabolique et infernale en cela qu’elle bloque, brime et étouffe les élans de vie de l’âme. La chasteté, comme toute autre forme d’ascétisme, si elle vient s’opposer aux aspirations de l’âme, est bel et bien nuisible.

[13] 1 Corinthiens 7:9.

[14] Sous-entendu : il n’y a rien d’immoral non plus lorsque la nature s’exprime au moyen d’élans sexuels harmonieux et équilibrés.

[15] Tome II, Éditions Sofradif, 1971, p.530.

[16] L’ego lui-même, en tant qu’impression ou sensation d’être, « je suis », peut être ressenti, de même que toutes les « teintes » qu’il est possible de prendre en fonction de la nature des pensées qui le traversent.

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Dernière mise à jour : 07.03.2024