Le Cours du Vivant
Monographie n°4 - Le trouble névrotique
Le trouble névrotique
Théorie
Parmi les personnes qui ont vécu une expérience spirituelle d’illumination, beaucoup témoignent qu’à la suite de celle-ci, les mécanismes de fonctionnement de leur psyché leur sont apparus sous un jour nouveau, avec plus de clarté.
Que l’expérience en question ait été une expérience de mort imminente, un éveil spontané et temporaire de type satori ou samâdhi dont parlent respectivement les méditants zen et les hindouistes, une montée de Kundalinî telle que la décrivent les adeptes de la voie tantrique ou encore un instant de grâce ou d’extase mystique, cette expérience d’éveil s’accompagne d’un phénomène de dissociation entre l’être et le fonctionnement habituel propre au mental et à l’ego. En conséquence, l’être se perçoit à partir d’un angle de vue entièrement nouveau, changeant de ce fait radicalement le rapport à la réalité, tant en ce qui le concerne « lui-même » que le monde extérieur. Il devient capable de se regarder avec un certain recul ; il est davantage conscient de sa « structure mentale » égotique, donc aussi de ses schémas de fonctionnement psychologiques ; il fait la différence entre sa véritable essence, l’Esprit, qu’il a pu connaître de manière directe au cours d’une telle « expérience » transcendante, et son identification aux multiples composantes psychiques qui alimentent l’ego en lui, c’est-à-dire son « faux moi », induit précisément par le phénomène d’identification à sa nature inférieure[1].
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette meilleure connaissance de soi-même n’est pas à l’origine d’une plus grande liberté d’être, d’un plus grand amour de soi et d’un plus grand bonheur. Au contraire, cette lucidité accrue s’accompagne presque toujours d’une vraie culpabilité[2], très souvent mêlée à des sentiments d’indignité et de dépression.
Il faut croire que le fait de devenir davantage conscient des voiles qui embrument la conscience individuelle contribue à les rendre moins opaques, ce qui a pour effet de révéler les ombres qu’ils avaient pour fonction de protéger et de maintenir cachées.
La nuit obscure de l’âme
Cette « levée de voile », avec la mise en lumière des ombres qu’elle produit, peut être très désagréable. C’est la « nuit noire de l’âme », correspondant à l’ « œuvre au noir » alchimique, qui commence alors et qui est d’autant plus difficile à vivre qu’elle impose à la conscience un immense contraste par rapport à l’expérience spirituelle qui l’a précédée.
Les Maîtres spirituels authentiques avertissent généralement leurs disciples au sujet de cette étape particulièrement « ténébreuse » afin qu’ils puissent comprendre le phénomène et ainsi, par le fait même de cette compréhension, réduire l’intensité de la souffrance qu’il occasionne dans leur psyché.
L’auteur américain Dan Millman a été instruit à ce sujet par son Maître qu’il avait pris l’habitude d’appeler « Socrate », comme il en témoigne dans l’un de ses ouvrages :
« Lorsqu’un instant d’illumination s’estompe, tu vois plus clairement ce qui te sépare de cet état – tes habitudes compulsives, tes croyances désuètes, tes fausses associations et tes autres structures mentales. » Ce à quoi l’auteur ajoute : « Au moment même où notre vie commence à s’améliorer, nous avons parfois le sentiment que les choses empirent – parce que pour la première fois, nous voyons ce qu’il reste à faire. »[3]
C’est très vrai ! l’être qui a pu faire l’expérience de sa véritable essence spirituelle voit avec d’autant plus de clarté et de détachement tout ce qu’elle n’est pas et qui lui cause tant de souffrance. La structure mentale était déjà là mais elle devient soudainement beaucoup plus visible, évidente, avec des réactions qui semblent désormais exacerbées, disproportionnées.
C’est ainsi que, du jour au lendemain, l’être devient hypersensible. Sa sensibilité émotionnelle augmente considérablement et cela dans tout le spectre au sein duquel elles sont susceptibles de se manifester. C’est ainsi qu’il peut passer de la colère à la joie, du rire aux larmes, de la confiance à la peur, de manière extrêmement rapide, en précisant toutefois que ce sont les émotions « négatives » qui ont tendance à prendre le dessus et à durer le plus longtemps.
Évidemment, il y a de quoi en être très perturbé sur le plan psychologique. L’être qui n’est pas conscient du phénomène peut perdre ses repères au point de croire qu’il devient fou, en conséquence de quoi il peut se replier sur lui-même et prendre des médicaments pour anesthésier son mal-être. Ce passage difficile est un « mal nécessaire ». Comme l’a dit le poète Khalil Gibran :
« Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit. »
Ce que le Maître spirituel va également dire à son disciple, c’est que ce passage douloureux ne dure fort heureusement pas éternellement et qu’il sera d’autant moins long et pénible à vivre qu’il se donnera les moyens de ne pas se blâmer de vivre tous ces « remous intérieurs » et qu’il fera l’effort de lâcher prise en cherchant le juste positionnement intérieur, celui de la « bienveillante neutralité » face aux manifestations de sa nature inférieure (voir exercice en fin de monographie).
Ainsi, son expérience d’illumination spirituelle aura ainsi été le point de départ d’un long processus de purification intérieure[4], graduel, au cours duquel sa nature inférieure, sa materia prima, sera lentement rectifiée, transmutée.
Ceci dit, il n’est pas nécessaire pour autant d’avoir vécu une telle expérience spirituelle éphémère pour devenir lucide et s’engager sur la voie spirituelle.
En étudiant le fonctionnement de la psyché comme vous allez pouvoir le faire avec la partie théorique de cette quatrième monographie et les suivantes, mais aussi et surtout grâce aux exercices méditatifs de l’ensemble du Cours du Vivant, vous deviendrez apte à faire la différence entre tout ce qui relève du fonctionnement de l’ego séparé et ce qui correspond à l’état de paix, de joie et d’émerveillement de la conscience individuelle réintégrée dans son état édénique, dans l’état de pureté qui résulte de la réflexion parfaite de la lumière de l’Esprit sur le miroir de l’âme (en l’occurrence, le mental).
Cette capacité à reconnaître l’état de conscience relatif au Royaume de Dieu et tout ce qui s’en éloigne, peut être mise en rapport avec le fameux « Connais-toi toi-même » qui marquait l’entrée du Temple d’Apollon à Delphe, dans la Grèce antique. Acquérir ce discernement spirituel est essentiel si l’on souhaite progresser sur la voie de l’éveil de façon sûre.
Demeurer ignorant-e des mécanismes qui vous influencent le plus souvent de manière totalement inconsciente ou continuer de vous méprendre à leur sujet, ne peut que vous maintenir dans une forme d’illusion et renforcer par conséquent ce dont vous aimeriez pouvoir vous rendre libre. C’est pourquoi nous allons maintenant entrer un peu plus dans les détails en explorant l’une des dimensions pathologiques principales de la structure mentale : le trouble névrotique.
Les impulsions d’attraction et de répulsion
Comme nous l’avons vu dans les précédentes monographies, tout ce qui appartient au domaine de la manifestation formelle, celui du vivant, est régi par l’influence complémentaire des impulsions opposées d’attraction et de répulsion.
Elles sont absolument indispensables à la croissance et à la protection de chaque forme de vie, qu’il s’agisse d’un micro-organisme, d’une plante ou d’un être humain.
En ce qui concerne ce dernier plus particulièrement, elles exercent en lui leur action dès la formation de l’embryon dans le ventre maternel, en attirant ce qui est nécessaire à sa croissance et en repoussant tout qui est susceptible de l’entraver.
D’une manière générale, tout ce qui participe à l’éveil de l’âme vivante est attiré (sous l’influence des impulsions d’attraction) et, à l’inverse, tout ce qui est susceptible de nuire à ce même éveil est repoussé (sous l’influence des impulsions de répulsion). Autrement dit, tout ce qui est utile à la croissance et à la protection de l’âme vivante est attiré et tout ce qui ne l’est pas est repoussé.
Suivant le degré de satisfaction des besoins vitaux de l’âme, un même élément peut être repoussé à un instant T et attiré à un autre moment. L’élément en question n’a pas changé, mais le besoin n’étant plus le même, c’est le rapport que ce besoin entretient avec cet élément qui devient différent.
Prenons l’exemple de l’eau jaillissant d’une source. Si l’individu a soif, il va éprouver le besoin de boire cette eau de source et c’est l’impulsion d’attraction qui est active. Mais une fois sa soif étanchée, cette même eau n’est plus désirée (aimée) et c’est l’impulsion de répulsion qui prend le relais. Tant que l’individu a besoin de l’eau pour étancher sa soif, il a envie de cette eau, mais dès que son besoin est satisfait, il n’en n’a plus envie et éprouve de l’aversion vis-à-vis d’elle. L’eau de source n’a pas changée, mais le besoin en rapport, si.
On peut donc en conclure que les impulsions d’attraction et de répulsion auront été actives en fonction du degré de satisfaction de ce besoin, donc de l’utilité de l’eau en rapport.
Si l’impulsion de répulsion ne prenait pas le dessus au moment où la soif est étanchée, l’individu n’aurait aucun moyen de savoir que le besoin est satisfait et pourrait se faire du mal en continuant à boire cette eau, quand bien même celle-ci serait la plus pure et la plus cristalline qui soit.
Comme nous l’avons vu, les impulsions d’attraction et de répulsion relèvent de l’instinct de survie de l’âme vivante. Si elle n’en était pas pourvue, elle n’aurait aucune chance de survivre dans son environnement. Ces impulsions contraires sont donc au service de l’Ordre naturel des choses et participent de manière parfaite à l’harmonie et à l’équilibre, tant sur le plan microcosmique que macrocosmique.
Le besoin d’amour de l’âme
Intrinsèquement, l’âme vivante est purement instinctive, duelle. Elle n’est capable d’aimer que de manière conditionnelle, contrairement à l’esprit qui est quant à lui doté de la faculté d’aimer inconditionnellement. En effet, étant sous l’influence des impulsions d’attraction et de répulsion, l’âme est uniquement dans la capacité d’aimer ce dont elle a besoin.
Dans l’exemple précédemment cité, l’individu aime l’eau de source dont il a besoin pour étancher sa soif, et ne l’aime plus dès qu’il en a bu suffisamment. La satisfaction du besoin fait que le goût de l’eau change. Une fois le besoin satisfait, elle devient beaucoup moins agréable et l’impulsion de répulsion prend le dessus.
Dès que l’embryon commence à se former dans le ventre de la mère, et ce jusque dans les premiers mois de la vie du nouveau-né, l’instinct de survie de l’âme est actif et opérationnel. Les impulsions d’attraction et de répulsion jouent parfaitement leur rôle pour assurer la survie de l’âme et lui assurer un développement harmonieux.
L’exemple de l’eau de source peut être transposé aux besoins de nourriture du petit enfant. Tant qu’il a besoin du lait maternel, il reste collé au sein de sa mère et l’attire à lui, mais dès qu’il est repu, il cesse de le téter et un réflexe de répulsion apparaît en réaction. Autrement dit, le lait est à son goût (il l’aime) tant et aussi longtemps que son corps en a besoin et il ne l’est plus (il ne l’aime plus) dès que ses besoins ont été comblés. Les impulsions s’inverseront quelques heures plus tard, lorsqu’il en aura à nouveau besoin. La vie du petit enfant est ainsi entièrement rythmée par elles et cela est juste et parfait ainsi.
Pour croître dans les bonnes conditions et avoir toutes les chances de s’épanouir dans l’expression de sa nature, les besoins vitaux de l’enfant doivent être satisfaits. Leur dénominateur commun, c’est l’amour !…
L’enfant a un besoin vital d’amour, au sens large, qui comprend la nourriture, la protection, la sécurité, l’interdépendance, la reconnaissance, la célébration, etc. Tout ce qui favorise l’épanouissement de ses élans de vie par la satisfaction de leurs besoins, relève de l’amour.
Lorsque l’âme se sent indigne d’être aimée
Dans la psyché du petit enfant, toutes les choses et tous les êtres dont il peut avoir besoin pour croître sont considérés comme utiles pour lui, en conséquence de quoi il les aime et cherche à les attirer à lui (tant aussi longtemps qu’il en aura besoin). De même, ces choses et ces êtres qui viennent à lui pour satisfaire ses besoins vitaux doivent de son point de vue forcément l’aimer également puisqu’ils lui font du bien et sont utiles à son épanouissement.
En résumé, de façon très basique et je pourrais même dire « viscérale », pour le petit enfant, les choses et les êtres qui s’attirent s’aiment alors que les choses et les êtres qui se repoussent ne s’aiment pas.
C’est un point fondamental à comprendre, car c’est précisément ici que le principe de la division commence à corrompre la psyché de l’enfant, par le jeu des impulsions d’attraction et de répulsion désormais capables de l’infiltrer via la structure mentale en formation.
Dans la mesure où l’âme repousse ce qu’elle n’aime pas parce qu’elle n’en a pas besoin, l’enfant désormais sous l’influence des impulsions contraires va naturellement être enclin à interpréter instinctivement que lorsqu’un des besoins vitaux de son âme n’est pas satisfait, c’est parce qu’il est lui-même repoussé par la chose ou l’être dont il a besoin, et donc qu’il n’est pas aimé par eux.
En d’autres termes, si son besoin vital n’est pas satisfait, il va ressentir que l’attraction n’est pas réciproque et que si la chose ou l’être dont il a besoin ne l’attirent pas à lui tout comme lui cherche à les attirer à lui, c’est parce qu’ils le repoussent, donc qu’il leur est inutile et qu’il n’est pas aimé par eux.
Ainsi, lorsqu’un besoin de nourriture, de sécurité, de jeu ou toute autre forme de besoin d’amour et de « bientraitance » ne peut être satisfait, l’enfant croit que c’est parce qu’il n’est pas digne d’être aimé et bien traité.
En effet, pour lui, si la chose dont il a besoin et qu’il attire à lui l’aimait comme il l’aime, elle serait aussi attirée par lui, et il pourrait « fusionner » tous les deux dans un mouvement harmonieux agréable et bienfaisant. Par conséquent, il interprète que s’il en est privé, c’est parce qu’elle le repousse, et donc qu’il n’est pas digne d’être aimé. Il s’agit bien sûr d’une erreur d’interprétation, mais dont les conséquences sont toutefois bien réelles dans la psyché de l’enfant.
Dans un monde idéal, « édénique », les élans de vie de l’âme seraient honorés, considérés, et leurs besoins satisfaits dès qu’ils se manifestent. L’enfant se sentant ainsi aimé constamment, pourrait s’épanouir et grandir en étant bien dans sa peau. Or, il ne vient pas au monde dans un tel contexte et, très rapidement, il va vivre cette « chute » hors de l’état édénique, en commettant le « péché », c’est-à-dire en portant un jugement erroné sur ses élans de vie, les considérant comme « mauvais » et indignes d’être aimés parce que leurs besoins ne peuvent être satisfaits.
À cette croyance fallacieuse dans sa psyché sera associé le sentiment de la culpabilité. Si l’enfant était capable d’exprimer ce qu’il ressent à ce moment-là, il le ferait probablement avec ces mots : « si on ne satisfait pas mes besoins, c’est parce que je ne mérite pas d’être aimé. Et si je ne suis pas digne d’être aimé, c’est parce que je suis coupable de quelque chose. Alors, c’est normal que je sois puni et qu’en conséquence, je souffre ! »
Alors que, jusque-là, l’enfant était doté d’un esprit simple, aligné sur ses élans de vie, en unité avec eux, il va désormais s’identifier à un voile de refus et en couvrir certains d’entre eux. Considérés comme indignes d’être aimés, il va lui-même éprouver de la répulsion à leur égard. C’est ainsi que, dans sa propre conscience, l’unité cède la place à la dualité relative à la connaissance du bien et du mal et qu’une division apparaît dans sa psyché.
Au fil des mois et des années, cette division deviendra d’autant plus forte que l’enfant cumulera des expériences au cours desquelles ses besoins vitaux n’auront pu être honorés, reconnus et satisfaits.
Peur de mourir et accusation mensongère
Il faut comprendre que le petit enfant n’a pas la capacité de relativiser et de prendre du recul sur sa situation. Il n’est pas encore capable de reconnaître que ce n’est pas de sa faute si ses besoins vitaux ne peuvent être satisfaits par le monde extérieur et par ses parents en particulier.
À chaque fois qu’un de ses besoins vitaux n’est pas satisfait, le petit enfant vit un manque qui s’accompagne d’une peur de mourir, dont l’ampleur dépend de l’importance du besoin vital et de la violence avec laquelle il est bafoué et méprisé par le monde extérieur.
Pour le petit enfant, le fait même de vivre est conditionné à la satisfaction de ses besoins vitaux. Il est dès lors compréhensible que leur insatisfaction lui donne l’impression de mourir et qu’une angoisse soit ressentie à ce moment-là.
Imaginez ce que le petit enfant ressentirait si son besoin d’air ne pouvait plus être satisfait lorsqu’il respire. Bien évidemment, il aurait peur de manquer d’air et de mourir asphyxié ! Eh bien cette peur de la mort liée au manque est éprouvée à chaque fois qu’un besoin vital ne peut être satisfait, avec une intensité bien entendu variable suivant l’importance du besoin en question.
Cette peur de mourir est vécue comme un véritable choc traumatique pour le petit enfant. Comme nous l’avons vu, il va lui associer un jugement accusateur erroné sur sa propre nature.
Par exemple, s’il est victime d’attouchements sexuels, il ne va pas considérer que c’est l’adulte qui a mal agi, mais que c’est de sa faute à lui et qu’il mérite d’être maltraité ainsi. Cette croyance est un mensonge qu’il va prendre pour une vérité. Cela vaut pour toutes les autres formes de manques (besoins insatisfaits) vécues par lui. Ainsi, si l’enfant est abandonné par un des parents (dans le cadre d’un divorce ou d’un décès par exemple), c’est de sa faute ; il est indigne d’être aimé et mérite donc cet abandon. S’il a manqué de nourriture, c’est de sa faute et il mérite d’en être privé. S’il est dévalorisé et humilié devant tout le monde, c’est qu’il n’est pas digne d’être traité avec respect et dignité. Si l’adulte ne le défend pas, c’est qu’il ne mérite pas d’être protégé et de vivre en sécurité.
La liste des aspects de l’âme indignes d’être aimés, peut être très longue…
Définition de la névrose
La névrose, à laquelle on préfère aujourd’hui l’expression de « trouble névrotique », peut être définie comme un trouble mental (ou psychique) induit par un dysfonctionnement du système nerveux sans lésion anatomique connue, pouvant s’accompagner d’un trouble de l’expression et du comportement.
Contrairement aux cas de la psychose et de la perversion[5], la personne souffrant d’un trouble névrotique est totalement consciente du caractère maladif de ses symptômes, ce qui lui cause d’autant plus de souffrance qu’elle se sent incapable de s’en libérer par ses propres moyens.
Cette maladie regroupe quantité de troubles psychiques, comme par exemple : phobie, hystérie, hypocondrie, neurasthénie, mais elle peut également s’exprimer par des comportements beaucoup plus répandus et en apparence anodins, dont les personnes ne réalisent pas le caractère névrotique et donc pathologique, comme l’agressivité, l’entêtement, le mensonge, la timidité, la scrupulosité, le perfectionnisme, la procrastination et l’inertie, les dépendances et les obsessions, les troubles du comportement alimentaire, etc.
Pour faire le lien avec les considérations théoriques de cette monographie, le dysfonctionnement du système nerveux observé dans le cas du trouble névrotique est causé par l’énergie de peur[6] produite lors du traumatisme vécu durant l’enfance. L’individu en garde l’empreinte au niveau cellulaire, empreinte qui sera d’autant plus profondément « ancrée » en lui qu’elle aura souvent été réactualisée par les circonstances de sa vie.
Sur la base de ce qui précède, la névrose peut être définie comme une réaction psychique causée par une angoisse et destinée à lui échapper.
C’est précisément cette réaction psychique qui constitue le trouble névrotique qui va être mis en place pour protéger la personnalité et lui éviter toute possibilité de revivre la blessure de l’âme, donc aussi l’angoisse et le sentiment de culpabilité qui lui sont indissociablement liés.
Dans la monographie n°3, nous avons vu que les aspects brimés de l’âme chercheront toujours à retrouver leur mouvement pour s’épanouir conformément à leur nature. Or, comme nous venons de le voir, à ces blessures de l’âme sont liés un sentiment de culpabilité et une charge émotionnelle de peur. En grandissant, l’enfant vivra donc fréquemment un état de conflit à l’intérieur de sa psyché, entre d’un côté les élans de vie de son âme qui chercheront à s’élever et à sortir de l’ombre et, de l’autre, le réflexe névrotique de répulsion déclenché pour échapper à l’angoisse ainsi qu’au sentiment de culpabilité associés à ces mêmes élans de vie.
Ceci rejoint l’interprétation Freud, qui disait que la névrose est le résultat d’un conflit entre les pulsions du « ça » (que j’associe aux élans de vie de l’âme) et l’angoisse du « moi » dominé par le « sur-moi » qui les récuse.
Comme nous avons tous vécu notre lot de traumatismes durant l’enfance, nous sommes tous plus ou moins névrosés, bien que les stratégies et comportements mis en place pour échapper à l’angoisse et au sentiment de culpabilité peuvent grandement varier d’un sujet à l’autre.
Si certains d’entre nous s’accommodent parfaitement bien de leurs névroses et qu’elles ne les empêchent pas de bien vivre (encore faudrait-il toutefois s’entendre sur ce que signifie « bien vivre »…), d’autres parmi nous, en revanche, ont des névroses qui s’apparentent à de véritables boulets de prisonnier qui les handicapent considérablement, les empêchant de vivre la vie à laquelle ils aspirent puisque leurs élans de vie sont constamment « tués dans l’œuf » dès qu’ils cherchent à les laisser vivre.
Ces personnes-là vivent une grande souffrance psychologique qui, lorsqu’elle ne parvient plus à être compensée, peut parfois les mener à des décompensations, comme la dépression et, dans les cas les plus graves, le suicide.
Elles sont comme ce prisonnier traînant un boulet à ses pieds. Au fond de lui, il aspire à la liberté et au bonheur, mais il est toujours ramené à cette triste réalité : ses chaînes qui le relient au poids de ses névroses, l’en empêchent.
Pour vivre sa vie rêvée, il faut passer à l’action, entreprendre, faire des expériences, mais pour la personne névrosée, cette dynamique est susceptible de lui faire vivre la réactualisation de l’angoisse et du sentiment de culpabilité, qui vont toujours de pair.
Plutôt que de s’exposer à cette possibilité tant redoutée, la personne fuit, dévie de son idéal, s’isole socialement et se replie sur elle-même, sans jamais toutefois lâcher le contrôle mental pour véritablement se retrouver avec elle-même.
À défaut de pouvoir vivre le vrai bonheur apporté par l’éveil de son âme, elle se contente du sentiment euphorisant qu’elle ressent à chaque fois qu’elle parvient à échapper à son angoisse, sentiment dont elle devient dépendante, renforçant d’autant plus l’emprise de ses réflexes conditionnés, donc de ses troubles névrotiques.
Ce conflit intérieur entre les élans de vie de l’âme qui aspirent à l’éveil de leur nature et l’être identifié à des réflexes conditionnés destinés à les réprimer et les refouler sous le seuil de la conscience (dans le subconscient, plus précisément), est caractéristique de l’emprise de la structure mentale.
C’est elle qui nous fait porter un jugement accusateur et mentir au sujet de ce que nous sommes. À partir de ce jugement erroné, ce que nous sommes est « mauvais » et c’est la raison pour laquelle nous estimons que nous ne méritons pas l’amour, le bonheur, la paix, le respect, l’abondance, la santé, la plénitude, etc.
En allant au-devant de certaines expériences, nous savons que ce qui est jugé comme « mauvais » en nous risque d’être « dévoilé » et donc vu par les autres. Et lorsqu’une telle possibilité existe que nos ombres intérieures soient révélées et mises à nu, aux yeux de tous, nous avons très peur de revivre la culpabilité et la honte qui leur sont associées. Nous réagissons alors de manière névrotique pour nous prémunir de cette possibilité et atténuer ainsi notre angoisse.
Cette structure mentale névrotique est « diabolique » en cela qu’elle crée une opposition conflictuelle à l’intérieur de notre psyché. Cependant, elle n’est pas mauvaise en soi pour autant. Je dirais même qu’elle est bien intentionnée puisqu’elle cherche à maintenir l’ego dans un état de sécurité et d’équilibre en le protégeant de toute nouvelle possibilité de revivre les blessures du passé.
Toutefois, comme l’exprime la sagesse populaire : « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». En protégeant obsessionnellement l’endroit de la blessure, l’être identifié au réflexe névrotique l’empêche également de recouvrer son mouvement et donc de guérir (ou renaître, c’est selon) et se condamne à vivre dans un enfer intérieur, dans un état de tension qui dégrade son humeur, sape son énergie et mine sa santé.
Aussi handicapants et destructeurs qu’ils puissent être, les comportements symptomatiques de la névrose servent à nous prémunir de l’angoisse et du sentiment de culpabilité. Ils ont donc leur raison d’être et la dynamique de la perfection spirituelle implique que nous en reconnaissions et en honorions la fonction, sans toutefois les laisser nous diriger à leur guise.
Si nous les considérons comme nos vilains démons intérieurs et que nous cherchons à nous en débarrasser, nous ne faisons qu’approfondir la dualité dans notre psyché, sans pour autant avoir résolu le problème. En effet, nos névroses ne sont que les symptômes apparents d’une cause sous-jacente : nos angoisses et nos sentiments de culpabilité. Si, comme le fait la médecine allopathique, nous nous acharnons à combattre, étouffer ou réprimer nos symptômes, sans traiter leur cause, ils ne feront que se déplacer et prendre une autre forme. Il convient donc d’éviter cet écueil en sortant de la dualité et en nous plaçant dans ce juste positionnement intérieur qu’est la « bienveillante neutralité ».
Répression des émotions et maladie
Les émotions sont des messagères de l’âme et plus précisément du degré de satisfaction des besoins liés à ses élans de vie.
Comme nous l’avons vu, chez le petit enfant, lorsqu’un besoin vital n’est pas satisfait, une émotion de peur apparaît et, quasiment instantanément, un sentiment de culpabilité est émis au sujet de l’élan de vie et du besoin qui lui est lié.
L’enfant s’accuse d’être coupable d’une faute pour justifier l’insatisfaction de son besoin. Il ne s’agit évidemment pas d’un raisonnement mental puisqu’à cet âge-là l’enfant n’est pas encore capable de raisonner, mais d’une réaction psychique instinctive inconsciente, soudaine et incontrôlable produite par le mental, que l’enfant impuissant doit subir de plein fouet.
Il s’agit-là de l’influence originelle du principe de la division dans sa psyché. C’est l’apparition du voile mensonger et accusateur qui s’interpose entre l’élan de vie et la lumière spirituelle sur lequel l’enfant était jusque-là aligné.
Étant soudainement identifié à cette réaction psychique hypnotique, il n’est plus capable d’accueillir inconditionnellement son élan de vie ni l’émotion qui témoigne de l’insatisfaction du besoin. S’il était capable de rester aligné sur la lumière spirituelle, il poserait un regard d’amour sur la souffrance de l’âme et ne se considérerait nullement coupable de quoi que ce soit. De même, il ressentirait l’émotion de peur dans l’état de bienveillante neutralité pour lui permettre de s’écouler librement.
Or, à cause du voile de culpabilité auquel il s’identifie, la lumière spirituelle ne peut plus pénétrer le vivant pour y accueillir l’émotion de peur. N’étant plus mise en lumière, celle-ci se fige et devient « ombre », au même titre que l’élan de vie qui lui est lié. Voilà en résumé le psycho-traumatisme à l’origine de toutes les formes de troubles névrotiques.
Cette émotion de peur réprimée, à laquelle vont venir s’ajouter d’autres émotions de même nature au fil des mois et des années, va affecter les voies nerveuses et rendre le système nerveux dysfonctionnel[7]. Ces dysfonctionnements et déséquilibres physiologiques sont l’expression de la maladie, qui est elle-même la conséquence du blocage des élans de vie et de l’énergie émotionnelle mobilisée pour témoigner de l’insatisfaction de leurs besoins.
La guérison implique donc de restaurer l’élan de vie dans son mouvement, de même que celui de l’énergie émotionnelle bloquée. Or, nous nous heurtons là à un dilemme, car sitôt que l’énergie vitale souhaite recouvrer son mouvement et se libérer, le sentiment de culpabilité survient et déclenche le réflexe conditionné névrotique.
En d’autres termes, l’identification à la structure mentale névrotique s’oppose à la restauration de l’énergie vitale. Par conséquent, pour que la guérison puisse avoir lieu, il faut impérativement que l’être prenne conscience de cette réaction psychique et qu’il l’accueille inconditionnellement. Par le simple fait de cet accueil synonyme d’acceptation, le voile est levé et la lumière spirituelle peut transmuter la souffrance de l’âme.
Guérison du trouble névrotique
Pour ce qui nous intéresse ici, lorsque l’énergie de peur a été libérée, le trouble névrotique disparaît car la personne n’en a plus besoin pour se protéger. Lorsque la cause a été traitée, le symptôme n’apparaît plus. En effet, si le trouble névrotique est destiné à échapper à l’angoisse et que celle-ci a pu être libérée, il n’a plus aucune raison d’être et s’efface. En cela, traiter la cause revient à supprimer ses conséquences !
D’un point de vue complémentaire, on comprendra que si le trouble névrotique est l’expression d’un conflit à l’intérieur de soi-même, donc d’une dualité, il convient de rétablir l’unité pour en guérir. Toute dynamique d’opposition et de refus au travers de laquelle on chercherait à contrôler la peur, à l’occulter, à y résister ou à s’en débarrasser, ne pourrait qu’approfondir la dualité et donc l’alimenter.
Lorsque la répulsion, le refus et l’opposition existent à l’intérieur de soi-même, entre deux aspects conflictuels qui s’opposent, une réconciliation est nécessaire. Ainsi, si la cause du trouble névrotique est la peur et que celle-ci vient de la dualité, c’est l’esprit d’unité, fondé sur l’amour inconditionnel de sa vibration en soi-même, qui seul est capable de rétablir la santé mentale.
Le Dr. Leonard Laskow a écrit ceci : « À partir du moment où l’on s’aime soi-même, un lien s’établit avec tout le reste, la peur se dissipe. Quand l’illusion de la séparation se dissout au niveau spirituel, l’amour permet une unité qui met en harmonie même les schémas apparemment dissonants que sont les maladies et les blessures. »[8]
À la suite de ce passage, l’auteur cite la psychologue Frances Vaughan, dont les propos abondent en ce sens également : « L’intégrité repose sur un équilibre et sur une intégration des contraires ; elle ne consiste pas à se débarrasser de ce dont on ne veut pas. Lorsque l’on ressent une incohérence ou un conflit entre le vécu intérieur et son expression extérieure, entre persona et ombre, peur et amour, vie et mort, corps et esprit, ou entre tout autre couple de contraires, on connaît la douleur et les tensions.
Selon les anciennes écritures hindoues, les Upanishad, l’altérité engendre la peur, car la peur est issue de la dualité. On ne peut s’en libérer qu’en admettant la réalité de l’unité des contraires et en apprenant à équilibrer les polarités du vécu émotionnel dans un contexte de conscience thérapeutique. »[9]
Dans le même registre, citons encore les propos de Dennis Lewis : « Guérir, c’est redevenir entier. Pour redevenir entier, cependant, il faut d’abord, ainsi que Gurdjieff le dit, “savoir que nous ne sommes pas entiers”. Il faut sentir notre mal-aise, ou “mal-a-dit”, pour effectivement voir et accepter notre déséquilibre, notre fragmentation, nos illusions, nos contradictions et notre sensation incomplète de nous-mêmes.
L’autoguérison débute donc par la conscience et l’acceptation de “ce qui est”, avec la conscience de la réalité vivante de notre structure psychosomatique − les façons selon lesquelles nos pensées, nos émotions et nos sensations interagissent avec notre chimie, notre physiologie et notre psychologie. Être conscient de “ce qui est” n’est pas une chose que l’on peut forcer. Il faut tout d’abord découvrir une dimension personnelle intérieure de paix, de clarté − en quelque sorte une lentille limpide incolore à travers laquelle nous pouvons nous observer sans jugement, sans critique et sans analyse. »[10]
La « conscience thérapeutique » ou la « dimension personnelle intérieure de paix et de clarté » dont parlent ces auteurs, qui permet la guérison et donc le retour à l’ordre, l’harmonie et l’équilibre, n’est autre que la conscience individuelle alignée sur la lumière spirituelle et son amour inconditionnel projeté sur le vivant.
Là où il y a dualité, il y a souffrance et maladie. Là où il y a unité, il y a bonheur, guérison et santé. Pour guérir des troubles névrotiques qui nous coupent de nous-mêmes et des autres et qui nous empêchent de vivre une vie abondante, il convient de redevenir « entier », c’est-à-dire de recouvrer notre intégrité énergétique, par la réunion de l’esprit et de l’âme, séparés par le principe de la division, soit les impulsions contraires à l’œuvre au niveau du mental.
Vu sous cet angle, guérir semble être d’une simplicité enfantine et cela l’est effectivement. Mais simplicité ne rime pas toujours avec facilité. Toute la difficulté rencontrée en pratique provient du principe de la division qui, par l’identification aux schémas de fonctionnement qu’il induit de manière hypnotique au niveau de la psyché, parvient à dévier la lumière spirituelle hors du vivant, empêchant ainsi la réunion des principes complémentaires, donc la guérison.
Quelques citations à méditer
« La peur de la souffrance est pire que la souffrance elle-même. » Paolo Coehlo
« La malédiction de l’être humain, c’est la recherche de sécurité. » Eric Baret
« Et puis, qui donc de nos jours a la parfaite certitude de ne pas être névrosé ? » Carl Gustav Jung
« Ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire. » Carl Gustav Jung
« L’homme étant soumis aux instructions du conscient et aux pulsions du subconscient, s’il y a désaccord entre les deux, cela entraîne des torsions, des névroses… » Hamsananda
« C’est bien souvent en allant au fond de soi qu’on refait surface. » Jérôme Touzalin
« Très jeune, j’ai fait un constat négatif de ce monde. Et c’est dans l’effort pour échapper à la souffrance qui surgit de ce constat, que j’ai créé cet édifice qu’on appelle NÉVROSE. » Auteur anonyme
Pratique
Lorsque vous êtes identifié-e au réflexe conditionné névrotique, vous êtes en réaction par rapport à ce qui est dans votre réalité intérieure. Vous percevez cette réalité au travers du filtre teinté et déformant de la névrose, comme si c’était quelque chose de « mauvais » dont il fallait absolument vous débarrasser, ou tout du moins cacher, refouler, pour éviter de souffrir.
Pour avoir une chance de redevenir « entier » et ainsi rétablir l’unité en vous-même, il est impératif que vous preniez conscience de cette identification à la structure mentale, cela non plus à partir de cette structure elle-même puisque vous resteriez encore et toujours dans la dualité, mais à partir d’une perspective entièrement nouvelle, celle de la « lentille limpide incolore » de votre conscience individuelle alignée sur la lumière spirituelle, votre « moi profond », l’esprit. En vous alignant sur la lumière spirituelle, vous vous désidentifiez de facto du réflexe névrotique et le voile se lève sur l’ombre, qui peut dès lors être accueillie et transmutée. L’ombre ayant pu être transmutée, le réflexe névrotique qui lui était lié, disparaît.
Faire face à ses propres ombres
En pratique, vous constaterez que la frontière entre le symptôme et sa cause n’est pas clairement délimitée et qu’il est par conséquent difficile de différencier les réflexes conditionnés qui relèvent de la réaction psychique (le symptôme, la névrose) des sentiments culpabilisants et de l’angoisse (la cause, l’ombre).
En réalité, le symptôme et sa cause forment une seule composante psychique, dont les parties sont mêlées. Cette intrication n’est aucunement problématique en soi puisque la guérison n’est pas tributaire d’une « catégorisation » des états d’âme, mais du juste positionnement intérieur à leur égard, au-delà de tout processus analytique mental.
Comprenez par là que le symptôme et sa cause sont présents en même temps dans votre psyché : vous êtes identifié-e en surface au réflexe névrotique et en arrière-plan, vous ressentez un mal-être.
Concrètement, à l’instant même où vous renoncez au phénomène d’identification au réflexe névrotique en vous (ré)alignant sur la lumière spirituelle, vous allez probablement constater une intensification du mal-être en arrière-plan.
Comme vous ne cédez pas à la tentation d’échapper à l’ombre en vous, elle se révèle et se fait sentir, vous donnant ainsi l’opportunité de l’accueillir. Cela peut se manifester par des sentiments lourds, comme de la culpabilité et de l’angoisse bien sûr, mais aussi de la colère, de la honte, du désespoir, de la tristesse, etc.
Lorsque vous prenez conscience de cette impression dans votre psyché, le juste positionnement implique que vous lui accordiez votre présence aimante. Au lieu de chercher à vous couper de votre réalité intérieure en tournant le dos à la souffrance qui s’y manifeste, vous lui faites face ; vous la sondez avec la vision intérieure pénétrante et lumineuse de l’esprit, celle de la « bienveillante neutralité ».
Comme le disait Carl Gustav Jung : « ce n’est pas en regardant la lumière qu’on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire. »
Ce travail est en effet désagréable et vous vous en êtes peut-être déjà rendu-e compte. Toutefois, bien qu’il soit inconfortable et souvent déstabilisant, vous n’avez rien à craindre de ce processus de mise en lumière de vos ombres intérieures, car il est absolument sans danger.
Si vous vous contentez d’accueillir ce qui est au fur et à mesure que cela remonte à la surface du conscient sous la forme de sensations, d’émotions ou de pensées, il n’y a aucun risque de vivre un état de décompensation.
Seules les souffrances que vous êtes capable d’accueillir vous sont présentées, au compte-gouttes. Tout ce qui est trop anxiogène pour vous dans l’état de conscience qui est le vôtre, demeure maintenu dans le subconscient, jusqu’à ce que vous soyez prêt-e à les accepter.
Le phénomène spectaculaire et douloureux de la décompensation ne peut survenir que lorsque l’on force la sortie des ombres intérieures hors du subconscient, comme c’est parfois le cas dans certaines démarches thérapeutiques mal orientées ou lorsque les circonstances de la vie font que certaines ombres intérieures très lourdes jusque-là maintenues bien cachées, refoulées, sont soudainement dévoilées au grand jour, sans que la personne y soit préparée.
L’art de vivre spirituellement, c’est l’art de vivre en étant aligné sur la lumière spirituelle, réalisant ainsi l’union entre les principes divins complémentaires que sont l’esprit et l’âme, la lumière et l’obscurité, le conscient et l’inconscient, le masculin et le féminin, le ciel et la terre, etc.
C’est par l’intermédiaire de ce positionnement intérieur que vous pouvez sortir du conflit et de la dualité induits par l’identification à la structure mentale, et avoir ainsi une chance de guérir de vos névroses et de purifier votre subconscient.
Bien entendu, la structure mentale est épaisse et composée de nombreuses couches qui sont en lien avec de nombreuses souffrances de l’âme. Ce n’est donc pas en quelques jours que vous parviendrez à recouvrer la liberté d’être totalement vous-même, bien dans vos baskets et épanoui-e. Cependant, souvenez-vous que c’est le juste positionnement intérieur qui vous permet d’être spirituellement parfait-e, et non le stade où vous seriez totalement éveillé-e.
Vigilance, détermination et persévérance
Entretenir la dynamique de la perfection spirituelle est tributaire de ces trois qualités. De la vigilance en premier lieu, car si vous êtes constamment dispersé-e mentalement et que vous n’accordez pas une attention soutenue à ce qui se passe dans votre psyché, avec détachement, vous n’aurez aucune chance de vous extraire de l’identification hypnotique aux schémas de fonctionnement inhérents à la structure mentale.
Être vigilant-e une fois par jour durant quelques secondes seulement, c’est déjà mieux que rien bien entendu mais c’est loin d’être suffisant pour espérer progresser sur la voie spirituelle. Souvenez-vous à ce titre que le temps est une ressource précieuse et qu’il est préférable de l’utiliser à bon escient plutôt que de la dilapider vainement.
Considérez que tous les efforts que vous ne faites pas pour vous placer dans le juste positionnement intérieur, c’est votre nature inférieure qui les fera pour vous maintenir dans la dualité et renforcer ainsi son emprise sur vous. Dès lors, si vous voulez redevenir maître de vous-même et donner une chance à votre âme de développer ses plus belles qualités, cultivez la vigilance, sans tension ni violence, dans la tendresse et la douceur de l’amour de soi.
La quête spirituelle est aussi une affaire de détermination et de persévérance, car la mise en lumière des ombres intérieures est un travail de longue haleine durant lequel on ne récolte pas toujours les fruits souhaités aussi rapidement qu’on le voudrait.
On peut s’attendre à vivre des remous émotionnels tant et aussi longtemps que le subconscient n’aura pu être purifié de ses scories, cela d’autant plus fréquemment que la vie ne manque pas de nous offrir des opportunités de faire ce travail d’illumination de la psyché, lorsque l’on est engagé dans une telle démarche.
Lorsqu’un voile aura été levé et qu’une ombre intérieure aura pu être transmutée, d’autres couches se révéleront et d’autres souffrances remonteront à la surface, et ainsi de suite. Toutefois, le subconscient n’est pas un puits sans fond et cette œuvre de purification de la psyché aura forcément une fin.
Persévérez donc dans la voie du juste milieu, avec détermination, sans vous attacher aux moments d’accalmie passagers, qui ne sont en rien synonymes de « progrès ». Le progrès sur la voie spirituelle est déterminé non pas par le degré de purification de votre subconscient, mais par votre capacité à accueillir vos remous intérieurs lorsqu’ils se manifestent, à partir de l’arrière-plan lumineux de l’esprit.
Comme l’a très justement expliqué José Le Roy : « La pratique consiste à vivre notre quotidien à partir de l’espace de la conscience impersonnelle [l’esprit, NDA]. Et cette partie-là, même si elle reste simple, peut être difficile, car beaucoup de forces nous décentrent, comme des émotions, des pensées, du stress, des douleurs physiques… Il faudra ici beaucoup de motivation et d’ardeur pour que l’éveil s’installe durablement dans nos vies. C’est ici que l’éveil devient un chemin. »[11]
Exercice : catharsis psychique
Dans les exercices des précédentes monographies, vous avez pu entraîner la capacité à vous établir dans le juste positionnement intérieur : l’équanimité. Dans ce quatrième exercice, vous allez pouvoir mettre à profit cette faculté pour réaliser une catharsis des conflits présents sous le seuil de votre conscience.
Le mot catharsis vient du grec et signifie « purification ». C’est par l’accueil inconditionnellement bienveillant de tout ce qui se manifeste en vous-même, que ces conflits jusqu’ici réprimés et occultés par votre identification aux schémas de fonctionnement de la structure mentale, vont pouvoir s’extérioriser, couche par couche.
Il s’agit-là du phénomène de transmutation de l’ombre en lumière, rendu possible par le dévoilement qui résulte de l’observation détachée, équanime, synonyme ici de non-identification. En effet, si la présence du voile induite par l’identification de l’esprit à la structure mentale, s’efface, ce qui était séparé (par la présence du voile) peut à nouveau être réuni, et le processus de purification, survenir.
Au terme de ce processus, l’ombre est transmutée en lumière et le mécanisme de défense qui avait pour fonction de la maintenir « voilée » n’a plus de raison d’être, en conséquence de quoi le conflit interne qui était source de névroses disparaît, permettant à l’individu de gagner en liberté d’être pleinement lui-même.
Vous pouvez pratiquer cet exercice dans la position que vous voulez, mais si vous vous allongez, faites en sorte de ne pas vous endormir, car la catharsis ne peut produire ses effets qu’à l’état de veille méditative.
Réaliser cet exercice en marchant est excellent dans la mesure où le mouvement physique et l’oxygénation favorisent la circulation des énergies, donc aussi la « remontée » de certaines ombres intérieures. D’où, entre parenthèse, la dimension initiatique et thérapeutique du pèlerinage, qui était précisément utilisé à des fins de purification intérieure par les pèlerins. En Europe, nous avons l’exemple célèbre du pèlerinage de Compostelle, où la destination est totalement secondaire par rapport au parcours du chemin qui y mène, conformément à cette noble vérité que le but est le chemin lui-même. Car c’est au cours de ce dernier que le pèlerin, face à lui-même, va être remué, confronté, bousculé, et qu’il aura ainsi l’opportunité de s’abandonner, dans l’accueil inconditionnel de tout ce qui se manifeste en lui.
Quelle que soit la posture choisie, tournez votre regard vers l’intérieur et observez très attentivement ce qui se passe dans votre psyché. Cherchez le juste positionnement intérieur face à toute forme de mouvement que vous pouvez observer et ressentir à ce niveau, y compris les formes de jugement qui pourraient survenir en réaction au constat que vous avez de la peine à rester équanime.
En levant ainsi le voile sur vos états d’âme, il est possible que le processus de catharsis se manifeste sous la forme de « remontées » émotionnelles, même un peu de temps après l’exercice : colère, angoisse, culpabilité, honte, tristesse accompagnée ou non de sanglots, etc. Cela fait aussi partie du processus. Par conséquent, vous pouvez accueillir également tout cela dans la confiance que vous êtes en train de vous alléger.
Si cela peut vous aider, sachez que vous pouvez également vous servir de certaines phrases pour soutenir votre regard détaché, telles que celles-ci : « je t’aime », « je suis avec toi », « il fait bon être avec toi », « sois béni-e », « pardonne-moi », « je t’écoute attentivement », « tu es libre d’être tel-le que tu es », « j’accueille ta nature », « je te laisse vivre », « j’honore ta présence, en moi ». Aussi, si cela s’accorde à votre sensibilité, vous pouvez même utiliser le mantra « Om » ou le mot « Amen », de la même manière.
Pratiquez cet exercice afin de renforcer cette capacité accorder l’état de « bienveillante neutralité » à tout ce qui se manifeste à l’intérieur de vous, jusqu’à ce que cela devienne une seconde nature et un véritable art de vivre…
[1] Pour rappel, la nature inférieure est composée de l’ombre intérieure (les blessures de l’âme) et de la structure mentale mise en place pour en assurer la protection, par l’intermédiaire des impulsions contraires de désir et d’aversion sur le plan psychologique.
[2] Pour un rappel sur la notion de « vraie culpabilité », dans la monographie n°3.
[3] La Voie du Guerrier Pacifique, Dan Millman, Éditions Vivez Soleil, 1994, p.37.
[4] Je vous recommande à ce sujet l’excellent ouvrage de Jack Kornfield intitulé Après l’extase, la lessive, aux Éditions Pocket.
[5] La structure psychotique et la structure perverse peuvent également être mises en place au niveau du mental. J’en parle plus spécifiquement dans les monographies n°28 et n°31.
[6] Si des causes psychiques comme la peur peuvent affaiblir le système nerveux et le rendre vulnérable et dysfonctionnel, des causes purement physiques peuvent également avoir cet impact nuisible sur lui et déclencher des troubles névrotiques. C’est le cas, par exemple, lors d’intoxications alimentaires, d’une hyperacidité du terrain, d’épuisement physique (burn out), d’infections, de troubles digestifs, de l’ingestion de certaines substances (drogues, café, sucre raffiné, tabac, alcool, médicaments, etc.), etc.
[7] C’est ainsi que la répression des émotions sur le plan psychique, peut aboutir à des troubles fonctionnels du système nerveux et, par voie de conséquence, à des maladies organiques, sans qu’il y ait nécessairement de lésions structurelles. On parle alors de maladies psychosomatiques et, dans le cas des troubles névrotiques, de neurasthénie (ou névrose d’organe).
[8] Guérir par l’Amour, Éditions Jouvence, 2015, pp.74-75.
[9] The inward arc, Éditions iUniverse, 2001, traduit de l’anglais par Gilles Chertier.
[10] Le Tao de la Respiration, Éditions Le jour, 2007, p.55.
[11] L’appel de l’éveil, Éditions Almora, 2022, p.61.
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Dernière mise à jour : 21.10.2023
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