Le Cours du Vivant
Cours n°3 - La culpabilité et l’ombre en soi
La culpabilité et l’ombre en soi
Théorie
Comme nous l’avons vu au précédent cours, avant d’être chassés du jardin d’Éden, Adam et Ève y vivent en unité, en harmonie et en équilibre. Dans l’état de conscience édénique qui est celui de l’être primordial (dont Adam et Ève sont le symbole comme nous l’avons vu), la lumière spirituelle est constamment projetée sur les élans de vie de l’âme, dans l’accueil inconditionnel de sa nature, dans la considération de ses besoins et dans le ressenti équanime des émotions qui témoignent de leur degré de satisfaction.
De par le positionnement qui est le sien, l’être avant la « chute » est « parfait comme le Père céleste est parfait ». La dynamique qui est la sienne sert l’éveil du vivant, conformément à la Volonté divine, sur laquelle il est aligné, et c’est en cela qu’il est spirituellement parfait. Il vit dans le mouvement même de la vie, dans la simplicité et la fluidité, en phase avec le Tao, l’Ordre naturel des choses.
Puis, apparaît soudainement la dualité dans sa propre conscience après qu’il a fait usage de son libre arbitre en goûtant au fruit défendu de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, désobéissant à Dieu qui l’avait pourtant mis en garde sur le fait que s’il y goûtait, il mourrait.
En acquérant la faculté de connaître le bien et le mal sur le plan relatif, l’être devient capable de porter un jugement sur sa propre nature. Il y a désormais une division entre ce qui est bien et ce qui est mal, alors qu’avant l’acquisition de cette faculté mentale, tout était l’expression d’un Bien suprême absolu, sans opposé.
Cette désobéissance, dont la conséquence directe est la rupture de l’unité dans la conscience individuelle de l’être, constitue le péché originel, qui s’accompagne du tout premier sentiment issu de cette dualité : la culpabilité. Souvenez-vous en effet qu’Adam et Ève se sentent coupables d’être nus, alors qu’ils l’étaient déjà auparavant sans éprouver pourtant le moindre sentiment de honte ou de culpabilité. Ayant peur de se sentir à nouveau coupables à cause de leur nudité, ils se cachent désormais du regard de Dieu au milieu des arbres du jardin d’Éden. Identifié à un voile mental de croyances au sujet de ce qui est bien et mal, l’être se sent coupable d’être nu, cette nudité étant ici le symbole des élans de vie de son âme, désormais jugés mauvais.
Menteur comme le mental
Cette « chute », au sens de la perte de l’état de conscience édénique, nous l’avons tous vécue lorsque nous étions petit enfant, dès que notre mental fut suffisamment formé pour nous permettre d’associer des jugements erronés à nos élans de vie.
Dans l’état de simplicité et d’innocence qui était le nôtre avant que la dualité ne survienne ainsi dans notre conscience, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de douze mois environ, nous vivions nous aussi en unité avec notre âme, dans l’accueil inconditionnel de ces élans de vie. Puis, progressivement, la connaissance mentale du bien et du mal nous a fait faussement interpréter que certains de ses élans étaient mauvais et qu’ils nous exposaient à une privation d’amour, à une punition ou à toutes sortes d’inconforts physiques et psychologiques. Nous avons alors nous aussi ressenti le sentiment de culpabilité et fait l’expérience de la peur et de la souffrance inextricablement liées à celle de la dualité.
Pour mieux comprendre en quoi le mental et la connaissance du bien et du mal associée à son fonctionnement sont responsables de la perte de la pureté et de la simplicité propres à la toute petite enfance, voici la retranscription des propos de Christian Le Dimna, tirés de son livre Chant d’expérience :
« Le mental est un fonctionnement erroné de l’intellect [1] qui repose sur le refus, la négation de ce qui est. Le mot “mental” possède la même étymologie que mens et mentiri en latin qui ont donné “mensonge” et “menteur”. Ce processus est mis en place par l’ego, afin d’assurer sa protection en tant qu’individu. Il organise la réalité en couple d’opposés favorable-défavorable, bon-mauvais, bien-mal, créant ainsi un monde de dualités en fonction de ses propres critères et de ses propres références. Le mental se développe à la naissance à partir des sensations physiques mal interprétées par le bébé et refusées. […]
Pour répondre à son désir de survie, l’individu choisit le plaisir et refuse la douleur qui devient alors une souffrance [2]. La souffrance est en effet une émotion puisque c’est le refus d’une sensation douloureuse que le mental juge comme ne devant pas être. Le rôle du mental consiste en effet à recouvrir ce qui est de ce qui n’est pas, de ce qui devrait être ou ne devrait pas être, de ce qui pourrait être, engendrant ainsi toute la gamme des émotions heureuses et malheureuses selon le mécanisme présenté par Arnaud Desjardins : “Le mental, c’est la non-adhésion à ce qui est, l’intervention d’une image irréelle qui se superpose à la réalité et par un mécanisme de comparaison, déclenche soit l’émotion douloureuse, soit l’émotion heureuse [3].” [4] »
En effet, par sa faculté à connaître le bien et le mal, le mental forme un voile, une image irréelle qui s’interpose entre ce qui est et l’esprit, créant ainsi l’illusion de la réalité. Dès lors, il y a le réel, l’unité, au-delà du bien et du mal, et l’illusion de la réalité, la dualité, avec d’un côté ce qui est « bien » et plaisant pour l’ego et, de l’autre côté, ce qui est « mal » et donc déplaisant pour ce même ego. Naturellement, l’être identifié au mental de l’âme ne peut faire autrement que de souffrir de cette dualité, qui prend la forme d’un conflit permanent entre ce qui est et ce qui pourrait être ou devrait être.
Lorsque ce qui est est plaisant pour l’ego, il s’y attache et rejette tout ce qui pourrait mettre un terme à son plaisir et produire un état émotionnel opposé. À l’inverse, si ce qui est ne plaît pas l’ego, il le rejette et désire ce qui est susceptible de lui permettre d’échapper à son déplaisir.
Dans un cas comme dans l’autre, ce sont les impulsions de désir et d’aversion qui déterminent l’état de conscience de l’être lorsqu’il est identifié au mental. Les circonstances étant sans cesse changeantes, l’être ne peut faire autrement que d’osciller constamment entre plaisir et déplaisir. C’est pourquoi l’insatisfaction est inévitable dans un tel mode d’identification au mental et aux impulsions contraires qui s’y manifestent, identification qui condamne l’être à faire beaucoup d’efforts pour éviter la souffrance, sans jamais y parvenir durablement.
En revanche, sans l’interférence du mental, l’esprit détaché ou désidentifié est pleinement attentif à ce qui est et l’être embrasse ainsi la réalité, en unité avec elle. Aucun voile, aucune image irréelle ne s’interpose pour induire le désir ou l’aversion. Dans ces conditions, ce qui pourrait être (le mal) et ce qui devrait être (le bien) n’existent plus. L’être fait seulement l’expérience directe de ce qui est, en pleine conscience. Alignée sur l’Esprit, sa conscience dévoilée se laisse remplir de lumière, d’amour, et le bonheur en est la conséquence. Telle est l’expérience du Bien suprême, qui ne dépend pas des circonstances, mais uniquement de la concentration juste de l’attention, pleinement éveillée, équanime.
Apparition de la culpabilité
Avant de faire l’expérience de la dualité, lorsque nous étions encore un tout petit enfant, nous pouvions être animés par des émotions, bien entendu, mais nous ne nous sentions pas coupables. Par exemple, lorsque nous avions faim et que notre besoin de nourriture se manifestait par des pleurs, cet élan de vie était l’expression d’un Bien suprême, juste et utile pour nous, puisque grâce à ce mouvement de vie librement vécu, nos parents pouvaient comprendre que nous avions besoin de nourriture et satisfaire ce besoin en conséquence.
En aucun cas, nous ne nous sentions coupables d’avoir un tel comportement, même si nos pleurs provoquaient des réactions de jugements réprobateurs et de la virulence à notre encontre. Plus tard, en revanche, lorsque nous sommes devenus capables d’associer mentalement de telles réactions répulsives à notre manière d’être, la culpabilité a fait son apparition dans notre psyché et, à partir de là, la dualité s’est progressivement intensifiée dans notre conscience, séparant de plus en plus la lumière spirituelle de notre âme.
La perte de l’état de conscience édénique et le sentiment de culpabilité qui lui est associé ne sont en réalité que la conséquence de la séparation entre la lumière spirituelle et l’âme vivante ou, ce qui revient au même, entre l’être en soi (l’esprit) et la personnalité.
Parce que la culpabilité est le tout premier sentiment fondé sur la dualité apparue dans notre conscience, elle est à la racine du rejet de soi-même, de la souffrance de l’âme et de toutes les stratégies égotiques mises en place pour y échapper, la compenser, l’anesthésier ou l’occulter.
Dans une démarche spirituelle visant à la guérison et à l’éveil de l’âme, il est par conséquent essentiel d’en saisir le plus intégralement possible la nature et les incidences. Sans libération du voile de la culpabilité, aucune progression n’est possible sur la voie spirituelle menant à la réintégration de l’état de conscience édénique et de la félicité qui lui est associée.
L’ombre en soi et les blessures de l’âme
Chaque être aspire à recevoir l’amour, sous toutes ses formes, car il en a besoin pour croître dans les meilleures conditions possibles. Or, s’il interprète qu’un élan naturel de son âme l’expose à une privation d’amour, vécue sous la forme d’un rejet, d’une injustice, d’un jugement accusateur, d’une violence physique, d’une humiliation, d’une punition ou autre, il va nécessairement imposer lui-même un refus à cet élan de vie, cela pour se donner toutes les chances de recevoir l’amour dont il a besoin et pour ne plus risquer de revivre l’inconfort qui en avait résulté sur le plan physique et psychologique.
En effet, comme il se sent coupable et indigne d’être aimé lorsqu’il est aligné sur cet élan de vie, il va lui-même s’y opposer, le rejeter et le maintenir désormais bien caché par des mécanismes d’occultation et autres stratégies d’évitement, fondés sur les impulsions contraires de désir et d’aversion (ou de peur). C’est ainsi qu’il vit une séparation, une dualité, une division dans sa propre conscience et qu’il s’identifie désormais à un voile de croyances fallacieuses au sujet de son élan de vie.
Séparés de la lumière spirituelle par ce voile composé de croyances irrationnelles à leur sujet, les élans de vie brimés de l’âme vont former ce que j’appelle « l’ombre en soi ». Cette ombre intérieure n’existe que parce que l’être s’identifie à ce voile mental et qu’il s’interdit de considérer les élans de vie de l’âme avec amour et bienveillance, comme il le faisait spontanément lorsqu’il était encore pleinement aligné sur la lumière spirituelle.
Si l’être considère (à tort) que ces élans de vie sont indignes d’être aimés, il est compréhensible qu’à partir de cette croyance, il s’interdise de porter un regard aimant et bienveillant sur eux, et qu’il les maintienne cachés pour éviter que le monde extérieur le prive également de son amour et de sa bienveillance.
C’est ainsi que l’être va s’opposer à ces aspects de lui-même dont il va redouter le dévoilement, parce qu’il a en mémoire que cette mise en lumière est susceptible de l’exposer à une privation d’amour et, de même, aux sentiments de culpabilité et de honte, forcément désagréables en cela qu’ils sont de nature à dégrader le sentiment de soi propre à l’ego, soit l’image mentale qu’il a de lui-même.
L’ombre en soi peut également être assimilée à l’ensemble des blessures de l’âme. Lorsqu’un élan de vie est privé de la lumière spirituelle dont il a besoin pour s’éveiller et s’écouler librement, il se fige, s’immobilise, se bloque, et cette perte de la capacité à se mouvoir est bien l’une des conséquences de la blessure.
Tant que l’âme demeure blessée, meurtrie sous le voile du refus imposé par l’être devenu « diabolique » par son identification au mental « menteur » qui inverse l’Ordre naturel des choses, elle ne peut réaliser son plein potentiel et donner le meilleur d’elle-même ; elle ne peut pleinement s’éveiller et refléter, par sa nature ainsi élevée à sa plus haute condition, la lumière spirituelle dans le monde.
Toutefois, l’aspiration à l’éveil des élans de vie de l’âme maintenus dans l’ombre demeure irrépressible et immuable, car malgré le fait qu’ils soient contenus par le voile imposé par l’être identifié à son mental, il est dans leur nature de produire l’effort de s’éveiller et de solliciter l’accueil inconditionnel de la lumière spirituelle.
Par conséquent, l’individu qui s’identifie au voile d’illusion formé par ses croyances erronées au sujet de ce qui est bien et mal à l’intérieur de lui-même, se condamne à dépenser beaucoup d’énergie pour opposer une force contraire aux élans de vie qui chercheront à sortir de l’ombre pour retrouver leur mouvement ascensionnel vers la lumière.
Il faut considérer que les élans de vie de l’âme sont dotés d’une prodigieuse propension à s’élever pour s’épanouir dans l’expression libre de leur nature. En dépit des nombreuses couches qui composent le voile d’illusion auquel l’être s’identifie, les élans de vie produisent les efforts pour s’élever vers la lumière, à l’image de la graine qui déploie l’énergie à même de percer les couches épaisses et dures de bitume qui la séparent du grand air.
Le voile structurel mental
Si les élans de vie aspirent constamment à sortir de l’ombre en sollicitant le regard aimant, bienveillant, de l’être pour vivre leur transmutation et, par-là, retrouver leur mouvement et manifester leur nature, pourquoi donc l’être ne lâche-t-il pas simplement prise en acceptant de s’aligner sur cet axe lumineux qui le traverse en son centre, pour ainsi les accueillir ?
Cette action intérieure lui permettrait en effet de rétablir l’unité et de réaliser la transmutation des blessures de l’âme, selon un processus de catharsis graduel qu’il n’est même pas nécessaire d’amorcer et de contrôler soi-même puisque la sortie des ombres hors du subconscient est gérée par l’intelligence de l’âme elle-même [5].
Eh bien, si cette dynamique d’accueil inconditionnel, qui est d’une simplicité enfantine puisqu’il suffit de placer dans un état de « bienveillante neutralité [6] » à l’égard de la réalité du vivant qui s’exprime en chaque instant, est si difficile à vivre dans les faits, c’est à cause de la peur de revivre la culpabilité et de l’inertie de tous les mécanismes de défense mis en place pour échapper à cette possibilité tant redoutée.
La peur ainsi que l’ensemble des mécanismes de défense auxquels l’être va s’identifier forme la structure mentale, dont le rôle est d’empêcher que les ombres soient mises en lumière et que leur exposition « au grand jour » nous fasse courir le risque de revivre, comme ce fut le cas dans le passé, le sentiment de ne pas être digne d’être aimé ainsi que la culpabilité et la honte qui l’accompagnent.
Tant que nous nous laissons hypnotiser par l’identification à ce voile structurel mental alimenté par l’énergie très « reptilienne » de notre instinct de survie (qui fonctionne, pour rappel, exclusivement sur la base des impulsions contraires de désir et d’aversion ou de peur), nous empêchons le processus cathartique de se produire, et nous approfondissons la division dans notre psyché.
Bien que la fonction de la structure mentale soit d’éviter autant que possible la réactualisation de la souffrance de l’âme, associée à la privation d’amour, au rejet, à l’humiliation, à l’abandon, et à toutes les formes de blessures psychologiques, elle empêche également la guérison de ces mêmes blessures, puisqu’elle s’oppose constamment à leur sortie de l’ombre et à leur accueil inconditionnel par la lumière spirituelle.
En cela, la structure mentale est le résultat direct de l’influence du principe de la division au sein de la psyché. Elle n’est pas le Mal en soi, mais elle le génère en empêchant le « dévoilement » de l’ombre et en tentant en permanence d’assurer la défense et la survie de cette identité psychologique que l’être s’est forgée, l’ego.
Lorsque l’être est identifié à la structure mentale, construite sur la peur de revivre la souffrance, il perçoit la réalité à partir du prisme de la dualité « bien versus mal ». Il y a d’un côté les aspects de l’âme qui sont dignes d’être aimés et qui sont par conséquent affublés de l’étiquette du « bien » et, de l’autre, tout un pan de la personnalité qu’il faut maintenir bien caché parce qu’il est assimilé au « mal ».
C’est ainsi que l’être, induit en erreur sur sa propre nature parce qu’il l’observe au moyen de la structure mentale, considère que certains aspects de lui-même sont mauvais et qu’il doit s’en séparer, s’en débarrasser ou du moins les maintenir bien cachés, pour être digne de recevoir l’amour et ainsi être assuré de ne plus vivre le sentiment de la culpabilité. Là est l’illusion fondamentale à l’origine de toute souffrance !
Le combat entre Thésée et le Minotaure
Dans la mythologie grecque, le Minotaure symbolise à la fois la structure mentale avec sa tête de taureau et ses deux cornes [7], et l’ombre intérieure de l’être représentée par le corps d’homme du Minotaure.
Thésée, quant à lui, représente l’être, qui doit vaincre son propre reflet ténébreux, son « double ombrageux », son gardien du seuil, sa nature inférieure, sa materia prima [8], composée à la fois de la souffrance de l’âme (l’ombre) et du voile structurel mental, dont la fonction, comme nous venons de le voir, est d’éviter par tous les moyens possibles de raviver cette souffrance, usant pour cela de tout l’arsenal de stratégie mentale défensive alimenté en force vitale par l’instinct de survie, soit les forces passionnelles et pulsionnelles formées par les impulsions contraires sur le plan psychique.
Cet affrontement est une véritable épreuve initiatique pour Thésée et l’être qu’il représente symboliquement. Pour affronter ses propres ténèbres intérieures personnifiées par le Minotaure, Thésée dispose de deux armes : une massue de cuir, symbole de bestialité relative au plan horizontal [9] – celui de la « connaissance du bien et du mal » – et une épée d’or, symbole de la lumière spirituelle relative au plan vertical – celui du Bien suprême ou de la Volonté divine – qui traverse l’être en son centre.
Le mythe nous raconte que Thésée a tué le monstre à l’aide de sa massue de cuir. Ce faisant, bien qu’il ait triomphé sur le plan physique, il a perdu son combat spirituel puisqu’il a renforcé en lui-même ce qu’il a voulu détruire. S’il avait utilisé son épée d’or, il aurait triomphé spirituellement, car il se serait aligné sur la lumière spirituelle et aurait pu de ce fait intégrer sa propre nature inférieure en lui-même, rétablissant l’unité là où il y avait la dualité.
Cet affrontement est très symbolique du choix que nous avons à faire face à toutes les formes de manifestations de notre nature inférieure : soit nous acceptons de renoncer à faire usage des impulsions contraires pour nous débarrasser, compenser ou maintenir occulté ce dont nous avons honte, soit nous acceptons avec force et courage de nous aligner sur la lumière spirituelle qui nous traverse pour illuminer nos ténèbres intérieures et en résorber ainsi la nature duelle en l’unité de la conscience équanime, édénique.
« Les épreuves sont ces gardiens du seuil, dévoreurs de celui qui ne veut pas quitter sa prison, de celui qui a peur, et constructeurs de celui qui, lâchant ses prises illusoirement sécurisantes, devient l’Homme et le dieu qu’il était jusque-là en potentiel [10]. » Annick de Souzenelle
Logique binaire et logique ternaire
Sur le plan de la polarité, la lumière spirituelle (l’esprit), est de nature yang, électrique et masculine. L’ombre en soi, à savoir le potentiel non exprimé de l’âme, est de nature yin, magnétique et féminine.
Étant donné que les principes complémentaires s’attirent l’un l’autre, il est dans l’Ordre naturel des choses que la lumière spirituelle cherche à s’unir à l’ombre, et vice versa. Seule cette réunion des principes complémentaires peut apporter l’harmonie, l’équilibre et l’ordre que l’être aspire à vivre en son cœur, pour reconquérir sa nature primordiale édénique et faire l’expérience de la félicité, de la plénitude, de l’émerveillement et de l’amour.
L’être, identifié au voile mental présent en sa propre conscience, crée la division en lui-même, entre la lumière et l’ombre. Comme il considère (à tort) que l’ombre est quelque chose de mauvais qu’il faut éviter de dévoiler, pour se prémunir du risque de revivre le sentiment de la culpabilité, il va forcément s’y opposer dans l’état d’ignorance qui est le sien, dans une dynamique totalement contraire à celle de la Volonté divine qui cherche à s’y unir en permanence. Ce mode de fonctionnement est celui de la logique binaire.
La lumière spirituelle se reflète au sein du vivant par l’état de pleine conscience aimante focalisée sur lui, sans l’interférence de la « connaissance du bien et du mal » relative au mental conditionné et à la logique binaire qui en détermine le fonctionnement. Elle est la manifestation du Bien suprême qui ne s’oppose à rien, mais qui accueille tout à l’infini, conformément à sa volonté d’aimer inconditionnellement tout ce qui existe. C’est la logique de l’esprit, la logique ternaire, qui permet à l’être d’accéder à l’unité, en transcendant la logique binaire qui autrement le maintient constamment dans la dualité, celle du bien et du mal.
Lorsqu’il est identifié à sa structure mentale, l’être est sous l’influence de la logique binaire et appréhende uniquement la réalité à partir du prisme de la dualité. Il n’est capable de l’aimer qu’à condition qu’elle soit assimilée au « bien » selon un référentiel de valeurs forcément subjectif et relatif.
Selon la logique binaire, il est dans la nature du bien de s’opposer au mal, et inversement. Donc, selon cette logique, si les ombres intérieures sont associées à la croyance qu’elles sont l’expression d’un « mal », l’être illusionné va forcément entrer dans une dynamique de répulsion par rapport à elles. Mais, comme nous l’avons vu, s’opposer au mal a toujours pour effet de le renforcer, tant à l’extérieur, dans le monde, qu’à l’intérieur, en soi-même. C’est pourquoi plus l’être s’efforce de faire le bien pour échapper au mal, plus il le nourrit, en lui-même comme à l’extérieur.
Seul le réalignement de l’être sur l’axe vertical lumineux qui le traverse en son cœur peut lui permettre de transcender ce dualisme et permettre la réunion des principes complémentaires. Comme l’a très justement fait remarquer Carl Gustav Jung : « Tout ce à quoi l’on résiste persiste et tout ce que l’on embrasse s’efface. ».
Bien évidemment, il ne faut pas commettre l’erreur de penser que la logique ternaire s’oppose à la logique binaire puisque cela la rendrait duelle et donc binaire également. La logique ternaire ne s’oppose à rien, elle transcende, intègre, embrasse, réunifie, cela grâce à la présence d’un troisième terme, qui n’est autre que l’esprit.
C’est en effet le rôle dévolu à l’esprit : être le médiateur, le conciliateur ou le « consolateur [11] » qui dépasse la logique binaire en intégrant en lui le bien comme le mal, à valeur égale. Il s’agit de la fonction essentielle de l’amour autant que de la justice divine, en tant que facteur de conciliation, de réintégration et de réunification de ce qui avait été séparé par le mental. En effet, essentiellement, l’esprit offre un espace d’amour pur ; il encourage ce que le mental considère comme l’ennemi en soi (l’ombre en soi) à se révéler et à se manifester dans toute son intensité, dans toute sa puissance, comme nous a invité à le faire le Christ avec son fameux « tendre l’autre joue [12] ». C’est ainsi, et seulement ainsi, que la magie de la transmutation peut survenir : l’ombre se sentant à nouveau aimée, elle peut se révéler dans sa dimension positive, lumineuse, agréable et bienfaisante. Quiconque a déjà pu vivre ce processus avec des émotions telles que la peur ou la tristesse, est convaincu que cette opération alchimique est potentiellement toujours possible. De ce fait, il ne craint plus les expériences que la vie lui propose, car il sait que, quoiqu’il arrive, il lui sera toujours possible de faire de l’or avec du plomb, c’est-à-dire de transmuter le mal en soi en Bien suprême, la souffrance en Bonheur. C’est pourquoi, aussi, il ne craint plus la mort. Il sait que, quoi qu’il arrive, une renaissance est toujours possible.
Vraie culpabilité et réalignement
La véritable faute qu’ont commise Adam et Ève n’était pas liée au fait d’être nus, bien évidemment, mais d’avoir désobéi à Dieu en faisant usage de leur libre arbitre. C’est là le sens du péché originel, dont l’expression est attribuée à saint Augustin.
La reconnaissance de ce péché est salutaire, car c’est grâce à elle que l’être peut opérer sa repentance, sa métanoïa, et qu’il peut ainsi se réaligner sur la Volonté divine, transcendant de ce fait le dualisme inhérent à la connaissance du bien et du mal. Cette reconnaissance est la condition sine qua non pour vivre la rédemption, c’est-à-dire le rachat des péchés qui permet d’obtenir le Salut. En effet, si l’être ne prend pas conscience qu’il « manque la cible », comment peut-il corriger le tir et permettre ainsi la réunion des principes complémentaires selon l’Ordre naturel des choses ?
Si la reconnaissance de cette culpabilité véritable est nécessaire pour revenir sur la voie du juste milieu et faire ainsi la Volonté divine, ce réalignement implique toutefois de ne pas considérer que notre identification au mental conditionné est quelque chose de mauvais pour autant, dont nous devrions absolument nous débarrasser pour atteindre l’état de perfection spirituelle auquel nous aspirons. Car, en effet, en émettant un tel jugement, nous resterions enlisés à ce niveau de conscience inférieur, incapables de nous extraire de la dualité et donc de progresser sur la voie spirituelle.
Voici un exemple pour bien comprendre ce point crucial :
Imaginons que nous soyons identifiés à un schéma de pensées erroné au sujet d’un élan de vie. Nous nous sentons honteux, coupables de ressentir cet élan de vie et nous nous accablons. À ce moment-là, nous nous souvenons qu’il ne faut pas juger notre réalité intérieure, mais au lieu de nous réaligner sur l’axe vertical de la lumière spirituelle, nous nous jugeons d’avoir fauté. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, nous voilà à nouveau pris au piège d’une nouvelle identification, plus subtile, mais relevant encore et toujours du mental et de sa connaissance du bien et du mal.
Au moyen de cette nouvelle identification, nous nous entendrions dire, par exemple : « Je ne devrais pas avoir honte, me sentir coupable, être triste, avoir peur, m’accabler, penser et ressentir ceci ou cela, etc. ». Sans nous en rendre compte, nous nous sentons encore et toujours coupables de quelque chose qui ne devrait pas exister en nous, avec la volonté sous-jacente de nous en débarrasser pour être « bien », atteindre la paix et correspondre à l’idée mentale que nous nous faisons de la perfection ou de l’Éveil spirituel.
À ce moment-là, le juste positionnement intérieur, qui nous rend véritablement parfaits spirituellement, est l’alignement sur la lumière spirituelle, soit l’accueil inconditionnel de cette réalité intérieure, tant pour les élans de vie de l’âme que pour les schémas de rejet apparus en réaction à ces mêmes élans de vie.
Le Verbe divin, ainsi projeté sur la réalité intérieure, pourrait s’exprimer en ces mots : « Tout a le droit d’exister en moi, la honte, la culpabilité, la tristesse, la peur, le désespoir, la colère », « j’encourage mes états d’âme à se révéler dans toute leur intensité, dans toute leur puissance », « j’aime tout ce que je suis, inconditionnellement », « merci, pardon [13] ».
La véritable maîtrise de soi
Dans cet état de conscience-là, il y a automatiquement désidentification des schémas duels inhérents au mode de fonctionnement du mental, du simple fait qu’il n’est pas rejeté ou refusé, mais intégré et transmuté dans l’unité de la conscience pure.
Il y a unité en effet, car la lumière spirituelle n’est plus séparée de la réalité du vivant par le voile mental de la dualité bien versus mal, tant et si bien qu’elle peut pénétrer cette réalité, l’éclairer et lui apporter ordre, harmonie et équilibre.
Dans un tel état de conscience, il n’y a plus de lutte, de contrôle ou de volonté que les choses soient différentes de ce qu’elles sont. C’est un abandon, un grand OUI à la réalité telle qu’elle est qui ouvre la porte de l’incarnation à la lumière spirituelle, qui peut ainsi y descendre et l’illuminer par sa réflexion en elle. Dans ces conditions, la magie opère et la transmutation a lieu.
Vous l’aurez compris, cette transmutation n’est possible que si l’accueil est véritablement inconditionnel. Si nous acceptons notre réalité intérieure à condition qu’elle veuille bien se transmuter et que nous soyons enfin débarrassés de toutes nos blessures et de cette « satanée » nature inférieure, un jugement indirect est encore et toujours porté sur cette réalité, et la lumière spirituelle reste voilée par le mental qui s’est interposé de manière très subtile entre elle et nos ombres intérieures.
C’est là toute la difficulté de l’opération, pourtant si simple dans l’absolu, puisqu’il « suffit » d’aimer toutes les formes de souffrance qui surviennent dans notre réalité intérieure, sans vouloir qu’elles soient différentes de ce qu’elles sont.
À ce stade, vous seriez en droit de vous demander si le fait d’accueillir et d’aimer inconditionnellement vos ombres intérieures ne serait pas de nature à les renforcer et même à leur donner les pleins pouvoirs sur vous. Vous pourriez effectivement vous demander si, en accordant une telle bienveillante neutralité à vos pensées de jugement, votre colère, votre tristesse, votre culpabilité, vos désirs, vos peurs, vos ambitions, vos vices, etc., vous ne donneriez pas plus prise sur vous à votre nature inférieure, avec pour conséquence une perte de contrôle de vous-même. Si cela est de nature à vous rassurer pleinement, alors sachez qu’il n’y a absolument aucun risque que cela se produise. En vérité, c’est même tout le contraire qui se produit…
Votre gardien du seuil ne peut vous maintenir sous son influence qu’à la seule condition que vous vous identifiiez à lui et que vous fonctionniez à travers lui, sous l’emprise du jeu des impulsions contraires, soit le désir ou l’attachement à ce qui est jugé comme étant plaisant, agréable et « bien », et l’aversion ou le rejet face à ce qui est jugé comme étant déplaisant, désagréable et « mal ».
L’accueil inconditionnel que vous, en tant qu’esprit, vous vous efforcez de vivre, implique nécessairement une désidentification des schémas duels du mental, qui prive de facto votre nature inférieure de l’énergie dont elle a besoin pour vous influencer.
Au contraire d’une perte de contrôle, c’est donc une véritable maîtrise de soi que vous confère ce positionnement intérieur. Grâce à ce positionnement dans l’invariable milieu, l’énergie qui alimentait la nature inférieure réintègre la conscience, vous apportant une confiance et une force nouvelles.
C’est ainsi que la lumière spirituelle triomphe de la nature inférieure, en intégrant et conciliant en elle-même l’énergie d’opposition dont elle a besoin pour se nourrir et subsister grâce à son hôte. C’est là tout le symbolisme profondément alchimique contenu dans la 11e lame du tarot de Marseille (voir illustration ci-dessous), que je vous invite à toujours bien garder en tête.
Le cours 25 est plus spécifiquement consacré à cette thématique.
Quelques citations à méditer
« Car deux catégories d’Hommes se présentent devant le monstre : les uns, tel Thésée, munis du Fil d’Ariane que leur ont remis leur Églises respectives, atteignent sans mal l’ennemi et tirent de leur sac la massue de cuir qu’est le courage ; un courage inouï, il est vrai, mais pour tuer le mangeur d’Hommes. Et grâce au fil déroulé pour venir jusqu’à lui, ils retournent en arrière chez eux, où ils sont fêtés comme des rois. Mais le monstre peut aussi voir se dresser devant lui l’Homme qui se situant dans une telle intimité avec son Seigneur dégaine l’Épée d’or, l’Épée royale, celle que Thésée avait mais qu’il n’était pas devenu. » Annick de Souzenelle
« La culpabilité engendre la peur. Et la peur conduit à la paranoïa. Finalement, la paranoïa mène à la violence. » Robert Ludlum
« Eh bien moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » Matthieu 5:44-45
« Une once de pratique vaut mieux qu’une tonne de théorie. » Swāmi Sivānanda
« Tout ce que nous avons à décider, c’est ce que nous devons faire du temps qui nous est imparti. » Gandalf le Blanc
« Soyez à vous-même votre propre refuge. Soyez à vous-même votre propre lumière. » Siddhārta Gautama
Pratique
Les trois premiers cours constituent en quelque sorte l’axe central du Cours du Vivant. Ils contiennent les éléments fondamentaux à comprendre et à intégrer sur la voie spirituelle.
Ces connaissances ainsi divulguées sont toutefois susceptibles d’être approfondies pour vous donner toutes les chances d’en saisir le sens le plus pleinement possible. C’est pourquoi, dans les prochains cours, je prendrai soin de vous apporter des précisions et des compléments d’informations que j’estime utiles sur cet enseignement, en présentant également les choses à partir d’angles de vue différents, mais complémentaires.
Aussi, nous continuerons à explorer les différentes composantes de la nature humaine, ainsi que son fonctionnement, afin que vous puissiez bien comprendre les causes de la souffrance et les moyens de la transmuter pour réaliser l’éveil de l’âme.
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Chapitres supplémentaires :
- Éviter la dispersion, aller à l’essentiel
- Exercice : la bienveillante neutralité
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[1] « L’intellect » dont parle l’auteur est ce que j’appelle pour ma part « l’esprit ».
[2] Je souligne ici la pertinente distinction faite par cet auteur entre « douleur » et « souffrance ». Effectivement, la souffrance n’est pas identique à la douleur ; elle est la réaction du mental à la douleur, ce qui veut dire qu’il est tout à fait possible de ressentir une douleur sans réagir mentalement, donc sans souffrir. C’est précisément ce à quoi permet d’aboutir l’entraînement à l’équanimité dans la méditation, telle que vous pouvez vous y entraîner grâce aux exercices proposés dans le Cours du Vivant.
[3] Un grain de sagesse, Éditions La Table Ronde, 1986, p. 121.
[4] Éditions Publibook, 2003, pp. 88-89.
[5] Voir le cours 4, chapitre « Exercice : catharsis psychique ».
[6] Voir le cours 22, chapitre « La bienveillante neutralité ».
[7] Nous retrouvons ici la dualité et l’animalité relatives à l’instinct de survie, soit les deux grandes catégories d’impulsions psychiques : le désir et l’aversion (ou la peur).
[8] Expression issue du langage alchimique, la materia prima est la « matière brute ». C’est l’équivalant de la « pierre brute » de la tradition maçonnique. C’est la personnalité humaine qui doit être rectifiée, transmutée, pour que l’être puisse renaître et incarner pleinement sa véritable essence spirituelle, l’Esprit.
[9] Pour rappel concernant la signification du « plan horizontal », voir le cours 2, chapitre « Bien suprême et connaissance du bien et du mal ».
[10] Le Symbolisme du Corps humain, Éditions Dangles, 2005, p. 170.
[11] Faire le rapprochement avec le « Consolateur » (ou « Paraclet ») dont parlait le Christ, n’est ici pas dénué de sens.
[12] Lire à ce sujet l’article Faut-il tendre l’autre joue ? : https://cutt.ly/FedPDIIK
[13] La reconnaissance de la vraie culpabilité nous place dans une posture de pardon face aux composantes de notre réalité intérieure qui, jusque-là, avaient pu être jugées, dévalorisées, rejetées, brimées, détestées ou méprisées.
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- Dernière mise à jour : 18 janvier 2025
- 14:50
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